Cet article a été publié il y a 10 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.
La Cour de cassation a rendu récemment un arrêt, précisant que le temps de trajet qu’effectue un salarié entre le domicile d’un client et celui d’un autre devait être considéré comme un temps de travail effectif et non un temps de pause comme l’imaginait l’employeur.
Cet arrêt a fait l’objet d’une publication, le 11 septembre 2014, sur le site de la Direction de l'information légale et administrative (Premier ministre) et nous vous proposons d’en prendre connaissance dans le présent article.
L’affaire concernée
Temps de déplacement non rémunérés
Dans cette affaire, une entreprise, spécialisée dans l’aide à domicile pour personnes âgées dépendantes, fait l’objet d’un contrôle par l’inspection du travail.
Au vu des bulletins de paie et des plannings, le contrôle révélait que les temps de déplacement effectués par les salariés pour se rendre du domicile d’un client à un autre, au cours d’une même journée de travail, n’avaient pas été pris en compte pour le calcul de la rémunération.
Temps de pause
En d’autres termes, ce temps avait été considéré par l’employeur comme un véritable temps de pause.
Dans son argumentation, l’entreprise reprend les termes de l’article L 3121-4 du code du travail, selon lesquels le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu de travail ne constitue pas du temps de travail effectif.
Article L3121-4
Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.
Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.
D’autre part, l’employeur indique que les salariés n’avaient aucun compte à rendre et ne se trouvaient pas à sa disposition durant ces temps de déplacement entre 2 clients.
Il ajoute également que les rendez-vous espacés de plusieurs heures, organisés en tenant compte des convenances des salariés, permettaient alors à ceux-ci de rentrer chez eux et de vaquer à leurs occupations personnelles sans avoir de compte à rendre.
Extrait de l’arrêt :
(…) mais pour toute la plage de temps entre deux interventions, font plaider que ce temps de « pause » ne peut correspondre à du temps de travail puisque les salariés de la société n'ont aucun compte à rendre et ne se trouvent pas à la disposition de leur employeur au sens du texte précité ; qu'ils observent qu'il en est particulièrement ainsi dans l'hypothèse où les rendez-vous, organisés par l'employeur en tenant compte des convenances des salariés, sont espacés de plusieurs heures, ce qui permet alors au salarié de s'affranchir plus encore des instructions de son employeur, de rentrer chez lui, de vaquer à ses occupations personnelles et d'organiser son emploi du temps à sa guise sans avoir à rendre compte à son employeur
L’arrêt de la Cour de cassation
Dans son arrêt du 2 septembre 2014, la Cour de cassation ne retient pas les arguments de l’employeur et confirme l’arrêt de la cour d’appel.
Les juges indiquent que l’article L. 3121-4 du Code du travail précité ne s’applique pas dans ce cas.
En effet, la reconnaissance d’une marge de liberté ne permet pas aux salariés de se soustraire, durant le trajet, à l’emprise de l’employeur responsable de l’organisation de leur emploi du temps.
En l’occurrence, ce temps de trajet entre 2interventions, fussent-elles espacées de plusieurs heures, constitue toujours du travail effectif et en aucun cas un temps de pause.
Ces temps doivent être pris en compte au titre de :
- La rémunération ;
- Des éventuelles heures supplémentaires qui pourraient en découler.
Extrait de l’arrêt :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du procès-verbal de l'inspection du travail, base de la poursuite, qu'un contrôle effectué le 3 novembre 2010 par les services de ladite inspection du travail au sein de la société D…, spécialisée dans l'aide à domicile des personnes âgées dépendantes ou handicapées, dont le gérant est M. X..., a fait apparaître, au vu des bulletins de paie et des plannings des auxiliaires de vie ou aides à domicile, que les temps de déplacement passés par ces salariés pour se rendre du domicile d'un client à un autre au cours d'une même journée de travail n'étaient pas pris en compte dans le calcul de leur salaire ; que, poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef de travail dissimulé, la société D…et son gérant ont été renvoyés des fins de la poursuite ; que le ministère public a relevé appel de cette décision ;
Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris et déclarer les prévenus coupables de travail dissimulé, l'arrêt énonce que le temps de déplacement professionnel entre le domicile d'un client et celui d'un autre client, au cours d'une même journée, constitue un temps de travail effectif et non un temps de pause, dès lors que les salariés ne sont pas soustraits, au cours de ces trajets, à l'autorité du chef d'entreprise ; que les juges ajoutent que l'intention coupable des prévenus se déduit de leur refus persistant de se soumettre à la législation en vigueur malgré deux rappels de l'administration compétente ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que ne sont pas applicables à la présente espèce les dispositions de l'article L. 3121-4 du code du travail, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Travail dissimulé
Dans cette affaire, tous les éléments sont réunis pour caractériser l’infraction de travail dissimulé, à savoir l’élément matériel et intentionnel :
- Elément matériel : dissimulation sur les bulletins de paie des heures de trajet effectués entre 2 clients, qui doivent être considérés comme temps de travail effectif conduisant à rémunération ;
- Elément intentionnel: refus délibéré et persistant de se soumettre au procès-verbal de l'administration du travail analysant ces périodes comme du temps de travail effectif.
Article L8221-5
Modifié par LOI n°2011-672 du 16 juin 2011 - art. 73
Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Un arrêt de la Cour de cassation qui confirme l’arrêté du 3 avril 2014
Dans son arrêt du 2 septembre 2014, la Cour de cassation ne retient pas les arguments de l’employeur et confirme l’arrêt de la cour d’appel.
Le présent arrêt de la Cour de cassation du 2 septembre 2014 ne devrait pas surprendre les employeurs soumis à la CCN des entreprises de services à la personne, dont dépend l’entreprise concernée par la présente affaire.
En effet, l’article 1 de l’arrêté du 3 avril 2014 indique très précisément que doivent être considérés comme temps de travail effectif, les temps de trajet pour se rendre d’un lieu de travail à un autre, et par là même doivent être rémunérés.
Extrait de l’arrêté du 3/04/2014 :
Article 1
Sont rendues obligatoires, pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans son propre champ d'application et à l'exclusion des entreprises relevant du régime de protection sociale agricole, les dispositions de la convention collective des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012.
L'article 2 du chapitre IV de la partie I est étendu, sous réserve de l'application des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 2261-10 du code du travail.
Les termes : « signataires ou adhérentes » et « signataire ou adhérente » figurant à l'article 1.2 et à l'article 2.1 du chapitre VII de la partie I sont exclus de l'extension comme étant contraires au principe d'égalité tel que défini par la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc. 29 mai 2001, Cegelec).
L'article f de la section 2 du chapitre II de la partie II est étendu, sous réserve que le temps de trajet pour se rendre d'un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue bien un temps de travail effectif, et à ce titre rémunéré comme tel, quelle que soit sa durée, conformément à l'article L. 3121-4 du code du travail tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc. 16 juin 2004, n° 02-43685).
Références
Cour de cassation chambre criminelle Audience publique du mardi 2 septembre 2014
N° de pourvoi: 13-80665
Arrêté du 3 avril 2014 portant extension de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne (n° 3127), JO du 30 avril 2014