Cet article a été publié il y a 9 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.
Un récent arrêt de la cour d’appel a retenu toute notre attention.
En effet, les juges se sont intéressés à la rupture anticipée d’un CDD pour force majeure et l’indemnisation du salarié dans ce cas.
Rupture anticipée du CDD
Avant d’aborder l’affaire concernée par l’arrêt de la cour d’appel, rappelons les 6 cas de ruptures anticipées d’un contrat CDD.
En aucun cas, ne peuvent être évoqués les termes de « démission » ou « licenciement » pour un contrat CDD, ces « appellations » sont réservées au contrat de droit commun (le seul), à savoir le contrat CDI (Contrat à Durée Indéterminée).
A la demande du salarié et pour un CDI
Le salarié à qui un autre employeur propose la conclusion d’un contrat CDI, a toute faculté de rompre le contrat CDD, sous réserve de respecter un préavis dont la durée est calculée à raison d’un jour par semaine, et dans la limite de 2 semaines.
Article L1243-2
Par dérogation aux dispositions de l'article L. 1243-1, le contrat de travail à durée déterminée peut être rompu avant l'échéance du terme à l'initiative du salarié, lorsque celui-ci justifie de la conclusion d'un contrat à durée indéterminée.
Sauf accord des parties, le salarié est alors tenu de respecter un préavis dont la durée est calculée à raison d'un jour par semaine compte tenu :
1° De la durée totale du contrat, renouvellement inclus, lorsque celui-ci comporte un terme précis ;
2° De la durée effectuée lorsque le contrat ne comporte pas un terme précis.
Le préavis ne peut excéder deux semaines.
Accord des deux parties (employeur et salarié)
Il ne s’agit en aucun cas d’une rupture conventionnelle, mode de rupture auquel ne peut accéder le salarié en CDD, mais bien d’un accord des parties concernées.
Article L1243-1
Modifié par LOI n°2014-1545 du 20 décembre 2014 - art. 6
Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail. (…)
Pour un motif réel et sérieux
Spécifiquement réservé au contrat CDD à objet défini, la rupture anticipée peut être prononcée par l’une ou l’autre partie, pour un motif réel et sérieux, 18 mois après sa conclusion puis à la date d’anniversaire de sa conclusion.
Article L1243-1
Modifié par LOI n°2014-1545 du 20 décembre 2014 - art. 6 (…)
Lorsqu'il est conclu en application du 6° de l'article L. 1242-2, le contrat de travail à durée déterminée peut, en outre, être rompu par l'une ou l'autre partie, pour un motif réel et sérieux, dix-huit mois après sa conclusion puis à la date anniversaire de sa conclusion.
Faute grave (ou lourde) du salarié
La rupture anticipée est possible en cas de faute grave ou lourde du salarié.
Le code du travail n’évoque que la faute grave, mais la faute lourde (plus conséquente que la faute grave est sous entendue).
Article L1243-1
Modifié par LOI n°2014-1545 du 20 décembre 2014 - art. 6
Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail. (…)
Force majeure
La rupture anticipée est admissible en cas de force majeure (incendie usine,..) évènement imprévisible, insurmontable et étranger à l'entreprise qui l'invoque, ce sera ce cas de recours que nous aborderons plus en détails dans l’affaire abordée par la cour d’appel.
Article L1243-1
Modifié par LOI n°2014-1545 du 20 décembre 2014 - art. 6
Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail. (…)
Inaptitude du salarié et impossibilité de reclassement
Depuis la loi 2011-525 du 17/05/2011 (loi 2011-525), le contrat CDD peut être rompu suite à l’inaptitude (professionnelle ou pas) et impossibilité de reclassement.
Article L1243-1
Modifié par LOI n°2014-1545 du 20 décembre 2014 - art. 6
Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail. (…)
L’affaire abordée par la cour d’appel
Présentation du contexte
Une salariée est engagée en qualité de consultante en économie de la santé par CDD d’une durée de 5 mois, signé le 19 juillet 2009.
Il est prévu qu’elle exerce ses fonctions au sein d’un centre médical situé en Libye, du 20 juillet au 20 décembre 2010.
Le contrat est renouvelé par lettre du 17 décembre 2010, le nouveau terme étant fixé au 1er juillet 2011.
Par la suite, la suite prononce la rupture anticipée de son contrat de travail par lettre du 25 février 2011 énonçant le motif de la rupture dans les termes suivants :
Extrait de l’arrêt :
« Madame,
Nous avons le regret de vous notifier par la présente la rupture de votre contrat de travail pour cas de force majeure.
La société D… se trouve en effet aujourd'hui confrontée à une situation exceptionnelle à la suite de l'insurrection en cours à Benghazi depuis le 17 février dernier. Les violences qui ont placé Benghazi quasiment en état de guerre et le climat d'extrême insécurité dans lequel se sont trouvés les expatriés dans cette ville et en Libye ont conduit les autorités françaises ainsi que celles de nombreux autres pays à faire procéder au rapatriement de leurs ressortissants afin de les mettre à l'abri du danger.
Cette situation insurrectionnelle, tout à fait imprévisible et dont l'issue est bien sûr incertaine, ne nous permet pas d'envisager de renvoyer des expatriés à Benghazi et compromet la poursuite de l'exécution du contrat liant D…au B…, qui se trouve de fait au moins interrompu.
De plus D… est aujourd'hui et pour une durée indéterminée, privée d'interlocuteurs officiels au sein du B… pour continuer à exécuter le contrat liant D… au B…à la suite de la disparition de la direction du B….
Ce cas de force majeure nous contraint, à notre grand regret, de mettre fin au contrat de travail conclu avec vous qui s'inscrivait dans le cadre du contrat entre D… et le B…».
Saisine du conseil de prud’hommes
La salariée saisit la juridiction prud’homale, estimant que cette rupture anticipée du contrat CDD ouvre droit au versement d’indemnité.
Elle conteste par là le cas de « force majeure » revendiquée par l’employeur, constatant que l’évènement invoqué n’était pas imprévisible, ce dernier étant déjà en vigueur au moment de son embauche.
Extrait de l’arrêt :
Mme … conteste l'existence d'un cas de force majeure. Elle fait valoir
- que l'événement invoqué n'était pas imprévisible, les contestations populaires ultérieurement désignées sous l'expression de « printemps arabe » ayant déjà commencé en Tunisie au moment de son embauche,
- que l'article 13 de son contrat de travail prévoyant un rapatriement d'urgence en France de la salariée « en cas d'intervention de tout événement pouvant la mettre en danger dans le pays d'affectation », démontrerait que la société D…envisageait l'éventualité d'un tel risque, la situation de la Libye étant instable depuis plusieurs années,
- que la poursuite de son contrat de travail n'était pas rendue impossible, dès lors que ses missions ne s'effectuaient pas intégralement en Libye, qu'elle travaillait régulièrement au siège social à Paris et qu'au surplus, un autre travail aurait pu lui être confié dans d'autres pays dans lesquels intervient la société D….
Jugement du conseil de prud’hommes
Par jugement du 11 septembre 2012, le conseil de prud'hommes de Paris, déboute la salariée de l’ensemble de ces demandes.
Procédure d’appel
La salariée décide de faire appel du jugement du conseil de prud’hommes, et demande la condamnation de son ancien employeur au paiement de dommages et intérêts représentant 6 mois de salaire, soit 23.202,00 € et, à titre subsidiaire, de condamner la société à payer 17.529,36 € à titre d'indemnité pour rupture anticipée du contrat à durée déterminée.
L’arrêt de la cour d’appel
Dans un premier temps, la cour d’appel valide l’argumentation de l’entreprise, à savoir que les insurrections constituent un cas de force majeure justifiant la rupture anticipée du contrat.
Mais là où l’arrêt de la cour d’appel est important et significatif, les évènements en question ne relèvent pas d’un « sinistre » relevant d’un cas de force majeure.
C’est au seul titre de « sinistre » que la rupture anticipée aurait alors ouvert le droit au paiement d’une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux rémunérations que la salariée aurait perçues jusqu'au terme du contrat.
Précision supplémentaire, la notion de « sinistre » doit être entendue au sens du droit des assurances, c’est-à-dire comme la réalisation d’un risque contre lequel l’employeur aurait pu s’assurer.
Extrait de l’arrêt :
« La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.
Toutefois, lorsque le contrat de travail est rompu avant l'échéance du terme en raison d'un sinistre relevant d'un cas de force majeure, le salarié a également droit à une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat. Cette indemnité est à la charge de l'employeur » ;
Considérant que si la mention, au premier alinéa de l'article L. 1243-4 du code du travail, du cas de force majeure qui exclut du bénéfice des dommages et intérêts le salarié dont le contrat à durée déterminée est rompu avant l'échéance du terme ne visait pas une situation différente de celle don t il est question au deuxième alinéa de ce texte qui ouvre droit pour le salarié à une indemnité compensatrice lorsque la rupture intervient avant l'échéance du terme du contrat à durée déterminée en raison d'un sinistre relevant d'un cas de force majeure, elle aurait disparu du premier alinéa du texte issu de la loi de modernisation sociale ; que la formulation de cette disposition, dont le second alinéa est au demeurant introduit par l'adverbe « toutefois », marquant une relation d'opposition restrictive avec la phrase précédente, suffit à établir la volonté du législateur d'établir une distinction entre les deux propositions et de ne pas renoncer, en cas de force majeure, à dispenser l'employeur du paiement des rémunérations que le salarié aurait perçues jusqu'au terme du contrat ;
Considérant que des événements insurrectionnels ne constituent pas un « sinistre » survenu dans l'entreprise et présentant les caractères de la force majeure, mais bien un cas de force majeure ;
Considérant que, dans ces conditions, par application de l'article L. 1243-1, alinéa 1, du code du travail, il y a lieu de débouter Mme …de ses demandes d'indemnisation, le jugement étant confirmé en ce qu'il a débouté Mme L. de toutes ses demandes.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Et la suite…
Nous attendrons donc avec beaucoup d’intérêt, l’éventuel arrêt de la Cour de cassation à ce sujet. Nous ne manquerons pas de vous informer alors…
Références
Extrait de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, du 20/01/2015 n°12-09002
LOI n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, JO du 18 mai 2011.