46.000 € de dommages-intérêts pour ne pas avoir indiqué les griefs dans la convocation à l’entretien préalable

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46.000 € de dommages-intérêts pour ne pas avoir indiqué les griefs dans la convocation à l’entretien préalable
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Cet article a été publié il y a 9 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.

Régulièrement, nous consacrons une actualité se rapportant à un arrêt de la Cour de cassation qui nous semble important de connaitre, afin d’éviter certains contentieux ou d’améliorer des pratiques d’entreprise.

Cette fois, c’est un jugement du Conseil de prud’hommes d’Evreux qui a retenu toute notre attention. 

Présentation du contexte

Une salariée est engagée sous contrat CDI en date du 29 juillet 2011, avec effet au 22 août 2011, en qualité d’ingénieur assurance qualité.

Son contrat prévoit une période d’essai de 3 mois, renouvelable une fois.

Au terme de la période d’essai de 3 mois, son employeur lui confirme qu’elle est confirmée à la fois dans son poste et ses fonctions.

Au mois de mars 2012, la salariée bénéficie d’une augmentation de 3%.

A nouveau, cette fois au mois d’avril 2012, une augmentation de près de 4% lui est octroyée. 

En juin 2012, l’entreprise est rachetée par une autre société.

Le 2 juillet 2012, le nouvel employeur adresse à la salariée un courrier de reproches concernant des « difficultés à assurer les missions de sa fonction ». 

La salariée répond par courrier daté du 1er aout 2012, point par point aux reproches formulés.

Par courrier non daté, mais signé au 6 août 2012, la salariée est convoquée à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à son licenciement.

L’entretien préalable est fixé tout d’abord au 13 août 2012, puis en accord avec les 2 parties au 17 août 2012. 

Finalement, par lettre recommandée avec avis de réception datée du 17 août 2012, la salariée est licenciée pour « insuffisance professionnelle ». 

Saisine du conseil de prud’hommes

La salariée saisit la juridiction prud’homale, afin de :

  • Contester le bien-fondé de son licenciement, tant sur le fond que sur la forme ;
  • De faire reconnaitre que la procédure de licenciement n’a pas été respectée. 

Aucune conciliation n’ayant été possible, l’affaire est renvoyée devant le Bureau de Jugement pour y être plaidée. 

A cette occasion, la salariée demande au Conseil de condamner son employeur à lui payer les sommes suivantes :

  • 46.000 € au titre du préjudice lié à son licenciement irrégulier ;
  • 3.600 € à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;
  • 1.500 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile. 

Le jugement du conseil de prud’hommes

Dans son jugement du 26 mai 2015, le conseil de prud’hommes aborde plusieurs points comme suit :

Procédure de licenciement 

A titre liminaire, le conseil de prud’hommes rappelle les termes des articles L 1232-2 et R 1231-1 du code du travail qui stipulent que :

  • Un délai de 5 jours ouvrables doit être respecté entre la convocation à l’entretien préalable et la tenue de l’entretien ;
  • Que si ce délai expire un samedi, dimanche ou jour férié, il est reporté jusqu’au 1er jour ouvrable suivant.

Article L1232-2

L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable.

La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation.

L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.

Article R1231-1

Créé par Décret n°2008-244 du 7 mars 2008 - art. (V)
Lorsque les délais prévus par les dispositions légales du présent titre expirent un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, ils sont prorogés jusqu'au premier jour ouvrable suivant.

Dans cette affaire, l’entretien préalable a eu lieu le 13 août 2012 et l’exemplaire de la lettre de convocation produit aux débats est signé et daté au 6 août 2012. 

Si nous reprenons le calendrier de l’année 2012, nous avons la situation suivante :

Lundi 6 aout

Mardi 7 aout

Mercredi 8 aout

Jeudi 9 aout

Vendredi 10 aout

Samedi 11 aout

Dimanche 12 aout

Jour convocation

Lundi 13 aout

Date entretien préalable

Selon le conseil de prud’hommes, le délai de 5 jours n’a pas été respecté. 

Lundi 6 aout

Mardi 7 aout

Mercredi 8 aout

Jeudi 9 aout

Vendredi 10 aout

Samedi 11 aout

Dimanche 12 aout

Jour convocation, ne compte pas dans le délai de 5 jours

1er jour

2ème jour

3ème jour

4ème jour

5ème jour : expiration du délai.

Ne compte pas, le dimanche n’est pas un jour ouvrable.

Lundi 13 aout

Date entretien préalable

Demande de la nullité du licenciement 

C’est sur ce point que le présent jugement du conseil de prud’hommes a retenu toute notre attention. 

La salariée indique en effet que la lettre de convocation à l’entretien préalable n’indiquait aucun motif.

En réponse, le conseil de prud’hommes rappelle que la lettre de convocation doit préciser l’objet de la convocation mais rappelle également les termes de l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Hommes (CESDH) qui indique que : 

Tout accusé a droit notamment à :

  • Etre informé dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
  • Disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. 

Le conseil indique qu’il y a lieu de «coupler » les dispositions de l’article 6 de la CESDH avec les dispositions de l’article 7 de convention de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) n° 158 qui dispose :

« Qu’un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées… ». 

Le conseil poursuit en considérant que la salariée, découvrant les griefs formulés à son encontre uniquement pendant l’entretien préalable, « n’a pu se défendre équitablement ».

Le conseil de prud’hommes annule le licenciement et condamne l’employeur à verser la somme de 46.000 € à la salariée en réparation du préjudice subi.

Les juges estiment en l’espèce que l’attitude de l’employeur, à savoir ne pas indiquer les griefs sur la lettre de convocation à l’entretien préalable, constitue une « une violation d’une liberté fondamentale ». 

Et maintenant ?

Alors que le gouvernement souhaite instaurer au travers de la loi Macron, un plafonnement des indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, certains observateurs analysent le présent jugement comme un véritable « pavé dans la mare ».

Sans que cela constitue une surprise, l’entreprise concernée dans la présente affaire a interjeté appel du jugement. 

L’avenir nous dira si l’arrêt de la cour d’appel confirmera le jugement du conseil de prud’hommes, nous ne manquerons pas de vous en informer.

Rappel arrêt Cour d’appel de Paris 

Rappelons qu’un récent arrêt de la Cour d’appel de Paris avait déjà indiqué que les griefs devaient être indiqués sur la lettre de convocation à l’entretien préalable.

Les juges évoquent dans leur arrêt le « non-respect des droits de la défense ». 

Extrait de l'arrêt:

Sur le non-respect des droits de la défense (…)

Elle rappelle que l'article 7 de la convention numéro 158 de l'OIT dispose « qu'un licenciement ne peut intervenir avant que le salarié n'ait la possibilité de se défendre contre les allégations formulées par son employeur ». Cette convention, ratifiée par la France, est d'application directe. Rappelant également les dispositions de l'article L 1232-2 du code du travail qui prévoit que la lettre de convocation à entretien préalable doit préciser « l'objet de la convocation », Mme (…) soutient que ceci doit s'entendre comme non seulement informer sur la sanction envisagée mais aussi sur les causes de l'entretien c'est-à-dire des raisons de cette sanction. La cour considère en effet que l'entretien préalable constituant la seule étape de la procédure pendant laquelle le salarié a, légalement, le droit de s'expliquer sur les faits qui lui sont reprochés, avec l'aide d'un défenseur, le respect des droits de la défense implique effectivement, que celle-ci puisse être préparée, dans la perspective de l'entretien préalable en connaissance de cause, c’est-à-dire en connaissant, non seulement la sanction que l'employeur envisage de prendre, mais surtout les reproches que l'employeur s'apprête à articuler à l'encontre de son salarié. S'agissant d'une garantie de fond, ce manquement dans le respect des dispositions de la Convention 158 de l'organisation internationale du travail, mais aussi d'un principe fondamental pour le respect des droits de la défense, entache également de nullité ledit licenciement. Cette atteinte aux droits de la défense justifie l'allocation à la salariée de la somme de 1 000 € qu'elle sollicite.

Arrêt Cour d’appel de Paris du 7 mai 2014 Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/02642-MPDL

Cet arrêt ayant fait l’objet d’un pourvoi en cassation, nous serons particulièrement attentifs à l’arrêt qui sera prononcé par la Cour de cassation.