Cet article a été publié il y a 9 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.
Le DRH d’Orange, Bruno Mettling, a remis mardi 15 septembre un rapport intitulé « Transformation numérique et vie au travail » à Myriam El Khomri, Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.
Nous avons pris connaissance de ce document de 69 pages, et y avons découvert plusieurs idées de réformes que le présent article vous propose de découvrir.
Réformer le régime du télétravail
Le constat
Malgré l’ANI du 19 juillet 2005 relatif au télétravail, le rapport constate que le travail à distance a tardé à se développer en France.
Il considère que ce retard est lié à une forte culture de la présence physique au travail, longtemps considérée comme une condition sine qua non de l’efficacité, du contrôle mais aussi du travail en équipe.
Néanmoins, l’évolution culturelle vis-à-vis de ce mode d’organisation promis à un bel avenir étant forte, mais aussi depuis la loi du 22 mars 2012 l’ayant légitimé en le faisant entrer dans le Code du Travail, le télétravail est désormais associé à une amélioration de la qualité de vie (spécialement dans les grandes agglomérations, mais également à la demande des jeunes générations) et de la productivité. Ce dernier semble se développer rapidement, y compris dans les PME.
La proportion de salariés concernés par le télétravail est ainsi passée de 8% en 2006 à 16,7% en 2012 (selon LBMG Worklabs, Le télétravail en France, 2012, indique le rapport).
Les préconisations
Elles se retrouvent au sein de la préconisation n° 26 du rapport, intitulée « Diffuser les bonnes pratiques d’organisation du travail à distance ».
Le travail à distance, dès lors qu’il est choisi et qu’il s’inscrit dans un certain nombre de bonnes pratiques, permet une réelle amélioration de la qualité de vie. La mission fait donc de son développement un enjeu pour la réussite de la transformation numérique.
De façon synthétique, les pistes d’évolutions sont les suivantes :
- Formuler des conditions d’éligibilité au travail à distance justes et claires ;
- Souligner l’intérêt de l’option de réversibilité réciproque pour le managé, afin que le travail à distance ne soit pas vécu comme pénalisant, mais aussi pour le manager, après dialogue avec l’intéressé en cas d’inadéquation manifeste ;
- Fixer une période initiale et réciproque d’adaptation (1 à 3 mois);
- Favoriser une modalité de télétravail avec quelques jours collectifs obligatoires de présence physique par semaine ;
- Définir les modalités de coordination (canal, créneaux horaires, etc.), ainsi que des outils d’interaction à distance, en laissant le collaborateur exprimer ses préférences ;
- Prévoir une ou des plages de disponibilités à distance du manager pour que le managé ne se sente pas isolé en cas de difficulté ;
- Établir de la confiance au sein de la relation managériale à distance par l’instauration d’une 1ère phase de travail en présentiel, avant de basculer en travail à distance, prendre en compte pour le manager la perception ressentie par le managé sur le contrôle de son engagement, déléguer une certaine autonomie et renoncer à une partie du contrôle, en insistant sur la nécessaire proactivité du managé s’il ressent une perte de confiance de la part de son manager ;
- Modes de contrôle du bon investissement du salarié, étant entendu qu’il appartient au managé de veiller à sa propre visibilité par un contrôle directement issu de l’exploitation des données de connexion du salarié : au-delà des contraintes légales (information-consultation du comité d’entreprise, du CHSCT, déclarations à la CNIL , etc…), il doit être encadré pour ne pas être vécu comme intrusif, un droit et devoir de déconnexion, une limitation des heures de disponibilité du managé à distance , un contrôle déclaratif et un contrôle des résultats : nécessité d’un encadrement qualitatif en amont et en aval des résultats fournis.
- Partager des informations entre membres de l’équipe pour que télétravailleurs et salariés sur site soient au même niveau d’information : point essentiel sur le plan managérial, qui repose beaucoup sur l’importance de la réunion d’équipe et de son contenu, même si certains sont à distance (par exemple, réunion de partage d’expérience, etc.).
De plus, s’agissant en fait d’une véritable question d’organisation du travail, et a fortiori depuis la loi du 22 mars 2012, la mise en œuvre d’une telle organisation repose sur une démarche collective au niveau d’une entité ou d’une équipe et non sur une simple décision entre un manager et un salarié.
Enfin, la mission préconise que les partenaires sociaux se saisissent d’une modification de l’ANI sur le télétravail de juillet 2005 pour viser à autoriser des expérimentations plus en adéquation avec l’état actuel des technologies.
Sécuriser le régime de la convention « forfait jour »
Le constat
Le rapport rappelle que le dispositif du forfait jours s’adresse aux seuls salariés dotés d’un niveau d’autonomie nécessaire à l’exercice de leurs responsabilités, cadres ou non cadres, qui ne peuvent donc prédéterminer leur temps de travail et/ou ne sont pas amenés à suivre l’horaire collectif applicable dans l’entreprise.
Cette définition se retrouve d’ailleurs au sein de l’article L. 3121-43 du code du travail.
Article L3121-43
Modifié par LOI n°2008-789 du 20 août 2008 - art. 19 (V)
Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 :
1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;
2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.NOTA : Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 JORF du 21 août 2008 art. 19 III : Les accords conclus en application des articles L. 3121-40 à L. 3121-51 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la publication de la présente loi restent en vigueur.
Le rapport rappelle également que pour les salariés placés sous convention de forfait annuel en jours :
- Le temps de travail se décompte alors en nombre de jours travaillés, et non plus en heures ;
- Les RTT se calculent également en jours de repos supplémentaires ;
- Ces salariés restent soumis aux obligations en heures de repos quotidien (11 heures minimum) et hebdomadaire (35 heures minimum).
Tout en constatant que le dispositif de forfait jours était globalement adapté aux salariés précités, directement concernés par la transformation numérique, son instauration en janvier 2000 s’est faite dans un environnement dans lequel l’usage du numérique était beaucoup moins intensif : absence de smartphone comme de web 2.0.
Enfin, le rapport souligne le fait que depuis 2 ans, 10 conventions collectives de branche sur les 12 ayant donné lieu à des contentieux ont été censurées par les juges.
Son utilisation est aujourd'hui devenue incertaine, nombre d’entreprises craignant d’être en infraction.
Les préconisations
Elles se retrouvent au sein de la préconisation n° 11 du rapport, intitulée « Adapter, pour les travailleurs du numérique concernés, le droit français pour sécuriser le forfait jours »
Il est ainsi proposé de :
- Modifier l’article L.3121-39, avec les précisions que devraient contenir les accords collectifs de branche ou d’entreprise autorisant l’accès au forfait jours pour satisfaire aux exigences de respect de la santé ;
- Version actuelle code du travail:
Article L3121-39
Modifié par LOI n°2008-789 du 20 août 2008 - art. 19 (V)
La conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
- Préciser à l’article L.3121-46 ce qu’il faut entendre par charge de travail ; en y ajoutant son suivi et un droit d’alerte individuel permettant de mettre rapidement fin à d’éventuelles dérives ;
- Version actuelle code du travail
Article L3121-46
Modifié par LOI n°2008-789 du 20 août 2008 - art. 19 (V)
Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.
NOTA : Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 JORF du 21 août 2008 art. 19 III : Les accords conclus en application des articles L. 3121-40 à L. 3121-51 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la publication de la présente loi restent en vigueur.
- Enfin s’agissant des temps de repos, le rapport préconise de pouvoir déroger au repos quotidien (actuellement de 11 heures consécutives) relevant le fait que les modes de travail des collaborateurs en forfait jours du secteur du numérique, concernés par la mission, conduisent à un décalage de plus en plus évident entre la réalité du travail et le cadre juridique. L’idée étant de gagner en réactivité, sans contrainte de temps, tout en satisfaisant aux exigences en matière de santé publique.
Supprimer les avantages en nature NTIC
La situation actuelle
NTIC= Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication.
Sont concernés les éléments suivants :
- L'équipement informatique, serveurs, matériel informatique ;
- La microélectronique et les composants ;
- Les télécommunications et les réseaux informatiques ;
- Le multimédia ;
- Les services informatiques et les logiciels ;
- Le commerce électronique et les médias électroniques.
L’avantage en nature peut être négligé selon l’administration lorsqu’il y a un usage raisonnable.
Circulaire DSS du 7/01/2003.
C’est un avantage en nature | Ce n’est pas un avantage en nature |
---|---|
Disposition permanente du salarié en dehors du temps de travail, résultant :
| Utilisation raisonnable en dehors du temps de travail et justifié par des besoins ordinaires de la vie professionnelle et familiale |
L’employeur peut, sur option, évaluer l’avantage :
- Sur la base des dépenses réellement engagées ;
- Ou sur la base d’un forfait en pourcentage du coût d’achat de ces outils ou de l’abonnement.
L’employeur peut, en fin d’exercice, réviser l’option pour l’année entière écoulée, salarié par salarié.
Il doit prendre sa décision en fin d’année, lors de l’établissement de la DADS-U.
Les préconisations
Il s’agit de la préconisation n° 14 du rapport, intitulée « Supprimer la référence aux avantages en nature pour les outils numériques».
Ainsi, le rapport suggère la simplification et l’allègement de la réglementation en supprimant toute référence aux avantages en nature pour les équipements des salariés (smartphones, tablettes) ainsi que pour certains frais liés au nomadisme.
Pour l’heure, le cadre réglementaire est contraignant et freine les entreprises qui ont besoin de développer les usages de leurs salariés afin de répondre aux besoins des clients.
Extraits du rapport :
Préconisation n°26 :
Diffuser les bonnes pratiques d’organisation du travail à distance. Le travail à distance, dès lors qu’il est choisi et qu’il s’inscrit dans un certain nombre de bonnes pratiques, permet une réelle amélioration de la qualité de vie. La mission fait donc de son développement un enjeu pour la réussite de la transformation numérique.
A titre d’exemple, il s’agit de :
formuler des conditions d’éligibilité au travail à distance justes et claires ;
souligner l’intérêt de l’option de réversibilité réciproque pour le managé, afin que le travail à distance ne soit pas vécu comme pénalisant, mais aussi pour le manager, après dialogue avec l’intéressé en cas d’inadéquation manifeste ;
fixer une période initiale et réciproque d’adaptation (un à trois mois);
favoriser une modalité de télétravail avec quelques jours collectifs obligatoires de présence physique par semaine ;
définir les modalités de coordination (canal, créneaux horaires, etc.), ainsi que des outils d’interaction à distance, en laissant le collaborateur exprimer ses préférences ;
prévoir une ou des plages de disponibilités à distance du manager pour que le managé ne se sente pas isolé en cas de difficulté ;
établir de la confiance au sein de la relation managériale à distance ; Ø instaurer une première phase de travail en présentiel, avant de basculer en travail à distance, afin de construire une relation de confiance et de créer le sentiment d’appartenance ; Ø prendre en compte pour le manager la perception ressentie par le managé sur le contrôle de son engagement ; Ø déléguer une certaine autonomie et renoncer à une partie du contrôle, en insistant sur la nécessaire proactivité du managé s’il ressent une perte de confiance de la part de son manager ;
modes de contrôle du bon investissement du salarié, étant entendu qu’il appartient au managé de veiller à sa propre visibilité : Ø contrôle directement issu de l’exploitation des données de connexion du salarié : au-delà des contraintes légales (information-consultation du comité d’entreprise, du CHSCT, déclarations à la CNIL , etc…), il doit être encadré pour ne pas être vécu comme intrusif ; ü droit et devoir de déconnexion ; ü limiter les heures de disponibilité du managé à distance ; Ø contrôle déclaratif : limiter le reporting à l’initiative du télétravailleur, en échange de l’engagement du managé de fournir un feedback régulier à son manager ; Ø contrôle des résultats : nécessité d’un encadrement qualitatif en amont et en aval des résultats fournis.
partager des informations entre membres de l’équipe pour que télétravailleurs et salariés sur site soient au même niveau d’information : point essentiel sur le plan managérial, qui repose beaucoup sur l’importance de la réunion d’équipe et de son contenu, même si certains sont à distance (par exemple, réunion de partage d’expérience, etc).
De plus, s’agissant en fait d’une véritable question d’organisation du travail, et a fortiori depuis la loi du 22 mars 2012 ayant très précisément fixé le cadre du télétravail officiel, la mise en œuvre d’une telle organisation repose sur une démarche collective au niveau d’une entité ou d’une équipe et non sur une simple décision entre un manager et un salarié. Enfin, la mission préconise que les partenaires sociaux se saisissent d’une modification de l’accord national interprofessionnel sur le télétravail qui a été signé en juillet 2005 pour viser à autoriser des expérimentations plus en adéquation avec l’état actuel des technologies.
Préconisation n°11 :
Adapter, pour les travailleurs du numérique concernés, le droit français pour sécuriser le forfait jours :
modifier l’article L.3121-39, avec les précisions que devraient contenir les accords collectifs de branche ou d’entreprise autorisant l’accès au forfait jours pour satisfaire aux exigences de respect de la santé ;
préciser à l’article L.3121-46 ce qu’il faut entendre par charge de travail ; en y ajoutant son suivi et un droit d’alerte individuel permettant de mettre rapidement fin à d’éventuelles dérives.
Face au constat dressé (…) sur l’adéquation du forfait jours avec les besoins des entreprises engagées dans la transformation numérique, particulièrement bien adapté aux travailleurs du savoir, la mission préconise des dispositions législatives permettant de sécuriser à court-terme ce dispositif.
Créé en janvier 2000, et assoupli en 2003et 2008 , le forfait jours couvre aujourd'hui 47% des cadres français, dont beaucoup y sont attachés en raison des jours de congés supplémentaires ainsi obtenus. Il a sans doute contribué à l’augmentation du temps de travail moyen des cadres concernés, qui atteint près de 46,4 heures par semaine.
Or, depuis deux ans, dix conventions collectives de branche sur les douze ayant donné lieu à des contentieux ; ont été censurées par les juges : son utilisation est aujourd'hui devenue incertaine. Nombre d’entreprises craignant d’être en infraction, il convient que la loi définisse mieux ses conditions d’accès. A défaut, elles pourraient être tentées d’externaliser leurs nouveaux emplois vers un travail non-salarié, en France mais aussi à l’étranger.
Pour la Cour de cassation centrant son analyse sur la santé, l’accord collectif donnant accès au forfait jours doit « garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables, et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé » (Soc. 7 juillet 2015).
Par ailleurs, les modes de travail des collaborateurs en forfait jours du secteur du numérique, concernés par la mission, conduisent à un décalage de plus en plus évident entre la réalité du travail et le cadre juridique, posé par la directive de 2003. C’est pourquoi, il faut, d’une part, assurer un cadre juridique stabilisé au forfait jours français, d’autre part, prendre en compte la réalité de ces modes de travail, s’agissant en particulier des temps de repos tout en satisfaisant, enfin, aux exigences en matière de santé publique.
Si l’on veut que l’Europe ne rate pas le tournant de l’économie numérique, il est indispensable de procéder aux adaptations nécessaires, au niveau européen comme au niveau national.
Prendre en compte la réalité des modes de travail des salariés connectés à distance et autonomes dans l’organisation de leur travail quotidien tout en respectant les dispositions proposées par la directive européenne est une des missions clés que les autorités publiques doivent se fixer pour les mois qui viennent afin de supprimer les déséquilibres observés au sein de la communauté des travailleurs du numérique, notamment en ce qui concerne les temps de repos.
Préconisation n°14 :
Supprimer la référence aux avantages en nature pour les outils numériques.
La mission recommande la simplification et l’allègement de la réglementation en supprimant toute référence aux avantages en nature pour les équipements des salariés (smartphones, tablettes) ainsi que pour certains frais liés au nomadisme. Pour l’heure, le cadre réglementaire est contraignant et freine les entreprises qui ont besoin de développer les usages de leurs salariés afin de répondre aux besoins des clients. Ainsi, la règlementation sur les moyens attribués aux salariés pour leur permettre d’effectuer leur mission dans le cadre du nomadisme devrait être redéfinie et élargie tant pour les prêts de matériels que pour les remises gratuites, sans pour autant impacter l’entreprise tant au niveau de l’IS90 et de la TVA91 que de la CVAE92 . Au-delà des besoins de l’entreprise, l’équipement des salariés des grandes entreprises peut jouer un rôle de catalyse pour développer la culture numérique à une échelle plus large.