La CJUE considère qu’il n’existe pas de protection particulière des salariées enceintes lors d’un licenciement économique

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La CJUE considère qu’il n’existe pas de protection particulière des salariées enceintes lors d’un licenciement économique
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Cet article a été publié il y a 6 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.

C’est avec beaucoup d’intérêt, que nous avons pris connaissance d’un communiqué de presse du 22 février 2018 de la CJUE.

Il y est confirmé que les travailleuses enceintes peuvent être licenciées en raison d’un licenciement économique, le présent article vous en dit plus à ce sujet… 

Présentation de l’affaire

L’affaire concerne une société espagnole, qui le 9 janvier 2013, lance une période de consultation des représentants des travailleurs en vue de procéder à un licenciement collectif.

Le 8 février 2013, le groupe spécial de négociation parvient à un accord établissant les critères à appliquer pour choisir les travailleurs à licencier ainsi que les critères établissant une priorité de maintien des postes dans l’entreprise. 

Le 13 novembre 2013, l’employeur notifie à une travailleuse, alors enceinte, une lettre de licenciement conformément à l’accord élaboré par le groupe spécial de négociation.

Cette lettre indique notamment que, dans le cas concret de la province dans laquelle elle travaillait, il était nécessaire de réduire fortement les effectifs et qu’il résultait de la procédure d’évaluation réalisée au sein de l’entreprise pendant la période de consultation qu’elle avait obtenu l’une des notes les moins élevées de la province. 

Mais la travailleuse conteste son licenciement devant le tribunal du travail espagnol, qui déboute la salariée et se prononce en faveur de l’employeur. 

La salariée a alors interjeté appel de ce jugement devant la « cour supérieure de justice de Catalogne, Espagne ».

Ce dernier demande à la Cour de justice d’interpréter l’interdiction de licencier les travailleuses enceintes, prévue dans la directive 92/85 sur la sécurité et la santé des travailleuses enceintes, dans le contexte d’une procédure de licenciement collectif au sens de la directive 98/59 sur les licenciements collectifs.

En effet, la directive 92/85 interdit le licenciement des travailleuses pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales.

Extrait communiqué de presse du 22 février 2018 :

Le 9 janvier 2013, la société espagnole (…) a lancé une période de consultation des représentants des travailleurs en vue de procéder à un licenciement collectif. Le 8 février 2013, le groupe spécial de négociation est parvenu à un accord établissant les critères à appliquer pour choisir les travailleurs à licencier ainsi que les critères établissant une priorité de maintien des postes dans l’entreprise.

Le 13 novembre 2013, (…) a notifié à une travailleuse, alors enceinte, une lettre de licenciement conformément à l’accord élaboré par le groupe spécial de négociation. Cette lettre indiquait notamment que, dans le cas concret de la province dans laquelle elle travaillait, il était nécessaire de réduire fortement les effectifs et qu’il résultait de la procédure d’évaluation réalisée au sein de l’entreprise pendant la période de consultation qu’elle avait obtenu l’une des notes les moins élevées de la province.

La travailleuse en question a contesté son licenciement devant le Juzgado de lo Social n° 1 de Mataró (tribunal du travail n° 1 de Mataró, Espagne), qui s’est prononcé en faveur de (…) . Elle a alors interjeté appel de ce jugement devant le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (cour supérieure de justice de Catalogne, Espagne). Ce dernier demande à la Cour de justice d’interpréter l’interdiction de licencier les travailleuses enceintes, prévue dans la directive 92/85 sur la sécurité et la santé des travailleuses enceintes, dans le contexte d’une procédure de licenciement collectif au sens de la directive 98/59 sur les licenciements collectifs .

En effet, la directive 92/85 interdit le licenciement des travailleuses pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales. 

L’arrêt de la CJUE

Par son arrêt du 28 février 2018, la CJUE dit pour droit que la directive 92/85 ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant le licenciement d’une travailleuse enceinte en raison d’un licenciement collectif.

La Cour rappelle tout d’abord qu’une décision de licenciement prise pour des motifs essentiellement liés à l’état de grossesse de l’intéressée est incompatible avec l’interdiction de licenciement prévue dans cette directive. 

En revanche, une décision de licenciement prise, pendant la période allant du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de maternité, pour des motifs non liés à l’état de grossesse de la travailleuse n’est pas contraire à la directive 92/85 si l’employeur donne par écrit des motifs justifiés de licenciement et que le licenciement de l’intéressée est admis par la législation et/ou la pratique de l’État membre concerné. 

Un licenciement économique sans nécessité de fournir d’autres motifs

Précision importante, selon nous, la CJEU déclare ensuite que la directive 92/85 ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant à l’employeur de licencier une travailleuse enceinte dans le cadre d’un licenciement collectif sans lui fournir d’autres motifs que ceux justifiant ce licenciement collectif, pour autant que soient indiqués les critères objectifs retenus pour désigner les travailleurs à licencier

Extrait communiqué de presse du 22 février 2018 :

Par son arrêt de ce jour, la Cour dit pour droit que la directive 92/85 ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant le licenciement d’une travailleuse enceinte en raison d’un licenciement collectif. La Cour rappelle tout d’abord qu’une décision de licenciement prise pour des motifs essentiellement liés à l’état de grossesse de l’intéressée est incompatible avec l’interdiction de licenciement prévue dans cette directive. En revanche, une décision de licenciement prise, pendant la période allant du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de maternité, pour des motifs non liés à l’état de grossesse de la travailleuse n’est pas contraire à la directive 92/85 si l’employeur donne par écrit des motifs justifiés de licenciement et que le licenciement de l’intéressée est admis par la législation et/ou la pratique de l’État membre concerné. Il s’ensuit que les motifs non inhérents à la personne des travailleurs, qui peuvent être invoqués dans le cadre des licenciements collectifs au sens de la directive 98/59, relèvent des cas d’exception non liés à l’état des travailleuses au sens de la directive 92/85. La Cour déclare ensuite que la directive 92/85 ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant à l’employeur de licencier une travailleuse enceinte dans le cadre d’un licenciement collectif sans lui fournir d’autres motifs que ceux justifiant ce licenciement collectif, pour autant que soient indiqués les critères objectifs retenus pour désigner les travailleurs à licencier. À cet effet, les deux directives combinées exigent uniquement que l’employeur : i) expose par écrit les motifs non inhérents à la personne de la travailleuse enceinte pour lesquels il effectue le licenciement collectif (notamment des motifs économiques, techniques ou relatifs à l’organisation ou à la production de l’entreprise) et ii) indique à la travailleuse concernée les critères objectifs retenus pour désigner les travailleurs à licencier.

Quelles conséquences du présent arrêt ?

La Cour de cassation s’est prononcée déjà sur le cas d’un licenciement économique d’une salariée enceinte, mais rappelons tout d’abord les notions importantes actuellement en vigueur, en matière de protection de la salariée enceinte vis-à-vis du licenciement. 

La protection relative

Pendant une période que l’on nomme « protection relative », la rupture du contrat de travail par l’employeur ne peut pas avoir lieu sauf pour les cas suivants : 

  • Faute grave ou lourde  non liée à l’état de grossesse de la salariée ;
  • Impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse. 

La protection absolue

Durant cette période, et toujours en application de l’article L 1225-4 du Code du travail, le licenciement ne peut prendre être signifié ni prendre effet (ni même être envisagé) pendant la période du congé de maternité donc pendant la période dite « protection absolue ».

Article L1225-4

Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 10

Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes.

Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.

Rappels de jurisprudences

Rappelons enfin quelques jurisprudences « remarquables » où le licenciement économique n’a pas été reconnu comme constituant en soi une « impossibilité de maintenir le contrat de travail d’une salariée enceinte », pouvant permettre le licenciement durant la période de protection relative. 

  • Arrêt du 17 janvier 2006 

Extrait de l’arrêt :

Mais attendu qu'ayant exactement retenu que l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs de licenciement dans la lettre de licenciement et qu'en application de l'article L. 122-25-2 du Code du travail, il ne peut résilier le contrat de travail de la salariée en état de grossesse médicalement constatée que s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée non liée à cet état ou de l'impossibilité où il se trouve, pour un motif étranger à la grossesse, à l'accouchement ou à l'adoption, de maintenir le contrat, la cour d'appel, qui, par motifs adoptés, a rappelé les termes de la lettre de licenciement visant une réorganisation de l'entreprise pour assurer sa survie et la suppression du poste de Mme X..., a, sans excéder ses pouvoirs, légalement justifié sa décision en énonçant à bon droit que le motif économique ne constitue pas en soi une impossibilité de maintenir le contrat de travail d'une salariée en état de grossesse ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les première et cinquième branches du moyen qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi :

REJETTE le pourvoi ;

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mardi 17 janvier 2006 
N° de pourvoi: 04-41413 Non publié au bulletin  

  • Arrêt du 6 janvier 2010 

Extrait de l’arrêt : 

Mais attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 1232-6 et L. 1225-4 du code du travail que l'employeur, lorsqu'il licencie une salariée en état de grossesse médicalement constatée est tenu de préciser, dans la lettre de licenciement, le ou les motifs non liés à la grossesse ou à l'accouchement pour lesquels il se trouve dans l'impossibilité de maintenir le contrat de travail pendant les périodes de protection dont bénéficie la salariée, l'existence d'un motif économique de licenciement ne caractérisant pas, à elle seule, cette impossibilité ; 
Et attendu que la lettre de licenciement, notifiée pendant la période de protection, se bornant, selon les termes rappelés par l'arrêt, à tirer l'impossibilité de maintenir le contrat de travail de la salariée de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, la cour d'appel, qui en a exactement déduit que cette lettre ne visait pas l'un des motifs prévus par l'article L. 1225-4 du code du travail, a légalement justifié sa décision ; 
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ; 

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 6 janvier 2010 
N° de pourvoi: 08-44626 Non publié au bulletin  

Nous serons donc très attentifs désormais, afin de vérifier si la Cour de cassation Française changera sa position actuelle, vis-à-vis du licenciement économique d’une salariée enceinte, prenant en considération le présent arrêt de la CJUE, l’avenir nous le dira et nous vous en informerons bien entendu…

Références




Cour de justice de l’Union européenne COMMUNIQUE DE PRESSE n° 15/18 Luxembourg, le 22 février 2018