Cet article a été publié il y a 5 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.
L’arrêt de la Cour de cassation du 11/07/2018
A l’occasion d’un arrêt du 11 juillet 2018 qui concernait le licenciement d’une salariée bénéficiant d’un congé parental à temps partiel, la Cour de cassation décidait de saisir la CJUE, émettant des réserves concernant la compatibilité entre :
- D’une part les dispositions du code du travail ;
- Et d’autre part l’accord-cadre l'accord-cadre sur le congé parental, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996.
La Cour de cassation pose à cette question les 3 questions suivantes :
- L’accord-cadre sur le congé parental, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application à un salarié en congé parental à temps partiel au moment de son licenciement d'une disposition de droit interne telle que l'article L. 3123-13 du code du travail, alors applicable, selon lequel "L'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise" ?
- Dans l'hypothèse où une réponse affirmative serait apportée, dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel et que la discrimination indirecte qui en résulte quant à la perception d'une indemnité de licenciement et d'une allocation de congé de reclassement minorées par rapport aux salariés n'ayant pas pris un congé parental à temps partiel n'est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ?.
Extrait de l’arrêt :
PAR CES MOTIFS :
RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne les questions suivantes :
1°) la clause 2, § 4 et § 6 de l'accord-cadre sur le congé parental, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application à un salarié en congé parental à temps partiel au moment de son licenciement d'une disposition de droit interne telle que l'article L. 3123-13 du code du travail, alors applicable, selon lequel "L'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise" ?
2°) la clause 2, § 4 et § 6 de l'accord-cadre sur le congé parental, qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, doit-elle être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à l'application à un salarié en congé parental à temps partiel au moment de son licenciement d'une disposition de droit interne telle que l'article R. 1233-32 du code du travail selon lequel, pendant la période du congé de reclassement excédant la durée du préavis, le salarié bénéficie d'une rémunération mensuelle à la charge de l'employeur, dont le montant est au moins égal à 65 % de sa rémunération mensuelle brute moyenne soumise aux contributions mentionnées à l'article L. 5422- 9 au titre des douze derniers mois précédant la notification du licenciement ?
3°) dans l'hypothèse où une réponse affirmative serait apportée à l'une ou l'autre des deux questions précédentes, l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à des dispositions de droit interne telles que celles des articles L. 3123-13 du code du travail, alors applicable, et R. 1233-32 du même code, dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel et que la discrimination indirecte qui en résulte quant à la perception d'une indemnité de licenciement et d'une allocation de congé de reclassement minorées par rapport aux salariés n'ayant pas pris un congé parental à temps partiel n'est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ? ;
SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée ;Réserve les dépens ;
Dit qu'une expédition du présent arrêt, ainsi qu'un dossier comprenant, notamment, le texte de la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier en chef de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille dix-huit.Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 11 juillet 2018
N° de pourvoi: 16-27825 Publié au bulletin
Rappel des dispositions légales
Les interrogations émises par la Cour de cassation concernent principalement l’article L 3123-13 du code du travail, selon lequel :
- L'indemnité de licenciement (et l'indemnité de départ à la retraite) du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise ;
- Sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise.
Article L3123-13
L'indemnité de licenciement et l'indemnité de départ à la retraite du salarié ayant été occupé à temps complet et à temps partiel dans la même entreprise sont calculées proportionnellement aux périodes d'emploi accomplies selon l'une et l'autre de ces deux modalités depuis leur entrée dans l'entreprise.
La décision de la CJUE
La CJUE répond par l’affirmative aux 2 questions posées.
Il en résulte donc que :
- L’indemnité de licenciement ainsi que l’allocation de congé de reclassement, versées dans le cadre d’un licenciement d’une salariée en congé parental d’éducation doivent être déterminées selon la rémunération qu’aurait perçue la salarié si elle avait exercé son activité à temps plein, et non sur la base de la rémunération à temps partiel comme le prévoit le code du travail à l’article L 3123-13 ;
- Que le traitement ici abordé constitue une « discrimination indirecte fondée sur le sexe ».
Extrait décision CJUE :
Compte tenu de ce qui précède, aux première et deuxième questions, la réponse à la question est que la clause 2.6 de l’accord-cadre sur le congé parental doit être interprétée comme interdisant, lorsqu'un travailleur employé à temps plein et pour une durée indéterminée est licencié au moment de son licenciement. est en congé parental à temps partiel, le montant de l'indemnité de licenciement et l'indemnité de congé de redéploiement à verser à ce travailleur étant déterminés au moins en partie sur la base du salaire réduit perçu au moment du licenciement. (…)
En outre, la juridiction de renvoi considère que l'article 157 TFUE est applicable dans un litige tel que celui de l'affaire au principal dans la mesure où les avantages concernés relèvent de la notion de «rémunération» au sens de cet article. Il souligne qu'un nombre beaucoup plus grand de femmes que d'hommes choisissent de prendre un congé parental à temps partiel, ce qui entraîne une discrimination indirecte à l'égard des travailleuses. (…)
Plus spécifiquement, la Cour a toujours soutenu qu'il existait une discrimination indirecte fondée sur le sexe lorsqu'une mesure nationale, même formulée en termes neutres, désavantage considérablement plus de travailleurs d'un sexe que d'un autre. Une telle mesure n'est compatible avec le principe de l'égalité de rémunération que si la différence de traitement entre les deux catégories de travailleurs qu'elle crée est justifiée par des facteurs objectifs dénués de toute discrimination fondée sur le sexe (voir à cet effet l'arrêt du 17 juillet 2014). , Leone , C-173/13, EU: C: 2014: 2090, point 41 et jurisprudence citée).
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:
- Clause 2.6 de l'accord-cadre sur le congé parental conclu le 14 décembre 1995 et annexé à la directive 96/34 / CE du Conseil du 3 juin 1996 concernant l'accord-cadre sur le congé parental conclu par l'UNICE, le CEEP et la CES, telle que modifiée par la directive 97/75 / CE du Conseil du 15 décembre 1997, doit être interprété comme interdisant, lorsqu'un travailleur employé à temps plein et pour une durée indéterminée, est licencié au moment où il est en congé parental à temps partiel, l'indemnité de licenciement et l'indemnité de congé de redéploiement à verser à ce travailleur étant déterminée au moins en partie sur la base du traitement réduit qu'il perçoit au moment du licenciement.
- L'article 157 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation telle que celle en cause au principal, selon laquelle, lorsqu'un travailleur employé à temps plein et à durée indéterminée est licencié au moment où il est en congé parental à temps partiel, reçoit une indemnité de licenciement et une indemnité de congé de redéploiement, déterminée au moins en partie sur la base du salaire réduit perçu au moment du licenciement, lorsqu'un nombre beaucoup plus grand de femmes que d'hommes choisissent de prendre un congé parental à temps partiel et lorsque la différence de traitement qui en résulte ne peut pas être expliquée par des facteurs objectifs, indépendants de toute discrimination sexuelle.
Affaire C-486/18 Arrêt de la Cour (première chambre) du 8 mai 2019
Quelles conséquences ?
Dans un premier temps, selon nous, il serait très étonnant que la Cour de cassation française ne suive pas la présente décision de la CJUE et devra statuer sur le fond de l’affaire dont elle était saisie.
A notre sens, l’incompatibilité du droit du travail français avec l’accord-cadre sur le congé parental (qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996) souligné ici semble applicable en matière de :
- Licenciement ;
- Départ à la retraite (départ volontaire ou mise à la retraite) ;
- Rupture conventionnelle.
En conséquence, au risque d’une décision prévisible de la Cour de cassation, il peut sembler prudent d’adopter la position de la CJUE en matière de chiffrage de l’indemnité de rupture.
Le mieux serait une modification des dispositions légales, mais cela pourrait prendre du temps.
Enfin, on peut légitiment se poser également la question de l’extension de la présente décision en cas d’activité à temps partiel pour raison médicale ou en lien avec un handicap.
Un rapprochement avec la présente décision de la CJUE en quelque sorte, avec le raisonnement qui pourrait consister à considérer comme discriminant le fait de diminuer l’indemnité de rupture en raison d’un état de santé.
Ce ne sont bien entendu que des conjectures, l’avenir nous en dire plus et nous ne manquerons pas de vous informer à ce sujet dans de prochaines publications.