Cet article a été publié il y a 12 ans, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.
- Heures supplémentaires : peuvent-elles être effectuées par le salarié de son propre chef ?
- Quand le salarié trompe l’employeur et obtient son accord pour une rupture conventionnelle
- Le non respect des durées maximales de travail ouvre droit à réparation
- Le sort d’un licenciement économique causé par une faute l’employeur
C’est en substance, ce que l’on serait tenté de retenir d’un arrêt récent de la Cour de cassation.
Outre cet élément, l’arrêt de la Cour de cassation du 13 juin 2012 constitue également un « revirement de jurisprudence » concernant la charge de la preuve concernant la prise des congés payés.
C’est sans nul doute, un arrêt très important que le présent article se propose d’aborder avec toutes ses conséquences.
L’affaire concernée
Un salarié est engagé en qualité de distributeur de prospectus par contrat du 1/09/1992.
Suite à sa démission en date du 12/01/1998, il décide de saisir la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de diverses sommes, parmi lesquelles figurent des dommages et intérêts concernant ses congés payés.
Privé de congés payés pendant 5 années
Le salarié demande en l’occurrence à bénéficier du paiement de dommages et intérêts, au motif qu’il a été privé de congés payés pendant une période de… 5 années, 4 mois et 12 jours ! (ce qui correspond à la durée de la relation de travail avec son employeur).
La Cour d’appel déboute le salarié
Pour la Cour d’appel, la demande de dommages-intérêts, d’un montant de 8.000 € doit être rejetée.
Pour étayer leur décision, les juges de la Cour d’appel relèvent les faits suivants :
- Le salarié bénéficiait du paiement, chaque mois, d’une indemnité de congés payés de 10% du salaire brut ;
- Que les bulletins de paie ne mentionnaient pas de date de prise de congés payés annuels mais attestaient du versement de la majoration de 10% ;
- Que le salarié ne démontrait qu’il s’était trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels, du fait de l’employeur, alors que ses congés lui ont été payés.
Extrait de l’arrêt :
«- dommages et intérêts pour défaut de congés payés annuels
Considérant que l'appelant fait valoir qu'il n'a pas pu prendre de congés annuels pendant toute sa période de travail.
Considérant selon l'accord d'entreprise applicable pour la période du litige que les distributeurs percevaient chaque mois au titre des congés annuels une indemnité de congés payés de 10 % du salaire brut.
Considérant que les bulletins de paie de l'intéressé ne mentionnent pas de date de prise de congés payés annuels mais attestent du versement de la majoration de 10 %.
Que Monsieur X... ne démontre pas qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés annuels du fait de l'employeur alors que ses congés lui ont été payés.
Considérant que la demande sera rejetée »
C’est à l’employeur de prouver qu’il a mis le salarié en mesure de prendre les congés payés
C’est ainsi que l’on peut résumer l’arrêt de la Cour de cassation, qui contredit celui de la Cour d’appel.
Pour les juges de la Cour de cassation, ce n’est nullement au salarié de prouver, qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés du fait de l’employeur.
A contrario, c’est à l’employeur de prouver qu’il a mis tout en œuvre pour permettre au salarié d’utiliser son droit aux congés.
En d’autres termes, la charge de la preuve ne pèse pas exclusivement sur le salarié, en cas de litige.
De plus, le versement d’une indemnité de congés payés, comme c’est le cas dans cette affaire, n’a pas pour conséquence de suppléer la prise effective des congés par le salarié.
Dans son argumentation, les juges de la Cour de cassation font référence à la directive européenne de 2003.
Il appartient à l’employeur de prendre les mesures permettant au salarié de prendre ses congés payés, et en cas de contestation de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent.
Extrait de l’arrêt :
Attendu qu'eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/ 88/ CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement ;
ALORS QUE l'employeur avait l'obligation expresse de fixer l'ordre des départs en congés annuels pour chaque salarié, y compris Monsieur X..., et aussi l'obligation expresse de communiquer ces ordres de départs en congés à chaque ayant droit, dont Monsieur X... faisait partie, quinze jours avant son départ au regard des obligations imposées par le décret D. 223-4 du code du travail en vigueur dès lors (devenu les articles D. 3141-5 et D. 3141-6 du code du travail) ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a énoncé pour débouter Monsieur X... de sa demande que Monsieur X... ne démontre pas qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés annuels du fait de l'employeur ; qu'en se déterminant ainsi, sans constater que l'employeur avait exécuté ses obligations consistant de fixer l'ordre de départ en congés annuels de Monsieur X..., et d'avoir aussi communiqué à Monsieur X... son ordre de départ en congés quinze jours avant les dates fixées par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et a violé ainsi le décret D. 223-4 du code du travail en vigueur dès lors (devenu les articles D. 3141-5 et D. 3141-6 du code du travail).
La cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel
Les juges de la Cour de cassation cassent et annulent l’arrêt de la Cour d’appel, et renvoient les parties devant une nouvelle cour d’appel.
Extrait de l’arrêt :
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de ses demandes en paiement, à titre de dommages-intérêts pour congés payés non pris (…)l'arrêt rendu le 30 juin 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Revirement de jurisprudence
Par la présente décision, la Cour de cassation pratique un « renversement de la charge de la preuve », considérant que ce n’est pas exclusivement au salarié d’apporter les preuves en cas de litige.
Des arrêts précédents avaient en effet considéré, que le salarié devait prouver qu’il n’avait pas été en mesure de prendre ses congés payés, du fait de l’employeur.
Arrêt du 14 janvier 2004
Mais attendu qu'ayant relevé dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation que la salariée n'établissait pas s'être trouvée, du fait de l'employeur, dans l'impossibilité de prendre ses congés payés, le conseil de prud'hommes a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen tel qu'il figure en annexe :
Attendu qu'il n'y a pas lieu à statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 14 janvier 2004 N° de pourvoi: 02-43575
Arrêt du 14 octobre 1998
(…) qu'il appartient au salarié d'établir qu'il a sollicité la prise des congés payés au titre des périodes de référence antérieures et qu'ils ont été refusés par l'employeur ; qu'en imposant à l'employeur d'apporter la preuve que les salariés avaient refusé de prendre leurs congés, le conseil de prud'hommes a violé les articles L. 223-1 et L. 221-7 du Code du travail ;
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 14 octobre 1998 N° de pourvoi: 96-43488
Conséquences
En prenant en considération le présent arrêt, il conviendra aux employeurs de veiller aux respects des articles suivants du Code du travail :
- Informer les salariés de la période des congés payés, au moins 2 mois avant son ouverture ;
- Communiquer à chaque salarié l’ordre des départs en congés, au moins 1 mois avant, en respectant les règles d’affichage.
Article D3141-5
Créé par Décret n°2008-244 du 7 mars 2008 - art. (V)
La période de prise des congés payés est portée par l'employeur à la connaissance des salariés au moins deux mois avant l'ouverture de cette période.
Article D3141-6
Créé par Décret n°2008-244 du 7 mars 2008 - art. (V)
L'ordre des départs en congé est communiqué à chaque salarié un mois avant son départ, et affiché dans les locaux normalement accessibles aux salariés.
Respecter le droit au repos
Comme nous l’indiquions dans les points précédents, la Cour de cassation fait référence à la directive européenne 2003/88 du 4/11/2003.
Il est important, selon nous, d’avoir en mémoire les termes de l’article 7 concernant les congés annuels, surtout sur le point que nous avons présenté en titre « les congés payés sont fait pour être utilisés ! » (sauf en cas de fin de relation de travail indique la directive).
Extrait de la directive 2003/88
Congé annuel
1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.
Références
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 13 juin 2012 N° de pourvoi: 11-10929 Publié au bulletin
Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail Journal officiel n° L 299 du 18/11/2003 p. 0009 - 0019