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Le Conseil d’État vient de rendre récemment un arrêt important concernant le contenu d’un règlement intérieur.
Est abordée dans cette décision, l’interdiction totale de consommation d’alcool dans l’entreprise.
Nous vous proposons dans le présent article de prendre connaissance de cet arrêt et de ses conséquences pratiques.
La consommation d’alcool selon le code du travail
Selon le code du travail, aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail.
Nota : le poiré est une boisson obtenue par fermentation du jus de poires
Article R4228-20
Créé par Décret n°2008-244 du 7 mars 2008 - art. (V)
Aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n'est autorisée sur le lieu de travail.
A en croire le code du travail, on serait tenté de considérer que les salariés sont théoriquement en droit de consommer certaines boissons alcoolisées sur leur lieu de travail.
L’affaire concernée
Le Conseil d’État devait se prononcer suite à la saisine du ministre du travail, de l’emploi et de la santé sur un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon.
Extrait décision Conseil d'État N° 349365 lecture du lundi 12 novembre 2012
Vu le pourvoi, enregistré le 17 mai 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre du travail, de l'emploi et de la santé ; le ministre du travail, de l'emploi et de la santé demande au Conseil d'Etat :
L’affaire concernait un règlement intérieur dans lequel la consommation d’alcool était strictement et totalement interdite.
Le règlement intérieur contenait en l’occurrence la clause suivante :
" La consommation de boissons alcoolisées est interdite dans l'entreprise, y compris dans les cafeterias, au moment des repas et pendant toute autre manifestation organisée en dehors des repas. "
Dans un premier temps, l’inspection du travail (à qui le règlement intérieur est obligatoirement transmis pour approbation) avait exigé le retrait de cette clause estimée contraire à la tolérance admise par le Code du travail (article R 4228-20 précité).
Article L1322-1
L'inspecteur du travail peut à tout moment exiger le retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles L. 1321-1 à L. 1321-3 et L. 1321-6.
Cette décision avait été ensuite annulée par le directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle de la région Rhône-Alpes.
Le comité d’entreprise avait de ce fait saisit la juridiction administrative.
Par la suite, la Cour d’appel de Lyon avait considéré que si l’employeur pouvait, lorsque des impératifs de sécurité le justifient, insérer dans le règlement intérieur des dispositions qui limitent la consommation de boissons de manière plus stricte que l’interdiction posée par l’article L 232-2 du code du travail (article abrogé par la nouvelle version du code du travail au 1er mai 2008), de telles dispositions devaient rester proportionnées au but de sécurité recherché (conformément à l’article L 122-35, ancienne numérotation).
La Cour d’appel de Lyon demandait donc à l’entreprise de retirer cette clause de son règlement intérieur, confirmant la position de l’inspection du travail.
Article L232-2
Abrogé par Ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007 - art. 12 (VD) JORF 13 mars 2007 en vigueur au plus tard le 1er mars 2008
Il est interdit à toute personne d'introduire ou de distribuer et à tout chef d'établissement, directeur, gérant, préposé, contremaître, chef de chantier et, en général, à toute personne ayant autorité sur les ouvriers et employés, de laisser introduire ou de laisser distribuer dans les établissements et locaux mentionnés à l'article L. 231-1, pour être consommées par le personnel, toutes boissons alcooliques autres que le vin, la bière, le cidre, le poiré, l'hydromel non additionnés d'alcool.
Il est interdit à tout chef d'établissement, directeur, gérant, préposé, contremaître, chef de chantier et, en général, à toute personne ayant autorité sur les ouvriers et employés, de laisser entrer ou séjourner dans les mêmes établissements des personnes en état d'ivresse.
NOTA:
Ordonnance 2007-329 2007-03-12 art. 14 : Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur en même temps que la partie réglementaire du nouveau code du travail et au plus tard le 1er mars 2008.
La loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 dans son article 2 X a fixé la date d'entrée en vigueur de la partie législative du code du travail au 1er mai 2008
Article L122-35
Modifié par Loi n°2001-1066 du 16 novembre 2001 - art. 1 JORF 17 novembre 2001
Abrogé par Ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007 - art. 12 (VD) JORF 13 mars 2007 en vigueur au plus tard le 1er mars 2008
Le règlement intérieur ne peut contenir de clause contraire aux lois et règlements, ainsi qu'aux dispositions des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement. Il ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
Il ne peut comporter de dispositions lésant les salariés dans leur emploi ou leur travail, en raison de leur sexe, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille, de leurs origines, de leurs opinions ou confessions, de leur apparence physique, de leur patronyme, ou de leur handicap, à capacité professionnelle égale.
Le règlement intérieur est rédigé en français. [Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n° 94-345 DC du 29 juillet 1994.] Il peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères.
NOTA:
Ordonnance 2007-329 2007-03-12 art. 14 : Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur en même temps que la partie réglementaire du nouveau code du travail et au plus tard le 1er mars 2008.
La loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 dans son article 2 X a fixé la date d'entrée en vigueur de la partie législative du code du travail au 1er mai 2008
Extrait arrêt Conseil d'État N° 349365 lecture du lundi 12 novembre 2012
Considérant, en premier lieu, que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Lyon a jugé qu'il résultait des articles cités ci-dessus que si l'employeur pouvait, lorsque des impératifs de sécurité le justifient, insérer dans le règlement intérieur des dispositions qui limitent la consommation de boissons alcoolisées de manière plus stricte que l'interdiction posée par l'article L. 232-2 du code du travail, de telles dispositions devaient, conformément à l'article L. 122-35 de ce code, rester proportionnées au but de sécurité recherché ;
La décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État confirme l’arrêt de la cour d’Appel de Lyon.
L’arrêt confirme également que le ministre du travail, de l’emploi et de la santé, n’est pas fondé à en demander l’annulation.
Extrait arrêt Conseil d'État N° 349365 lecture du lundi 12 novembre 2012
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 122-34 du code du travail, devenu l'article L.1321-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement : / - les mesures d'application de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans l'entreprise ou l'établissement (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 122-35 du même code, devenu l'article L.1321-3 : (...) " Le règlement intérieur (...) ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 230-2 du même code, devenu l'article L.4121-1 : " I. - Le chef d'établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l'établissement, y compris les travailleurs temporaires " ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 232-2 du même code, dont les dispositions ont été en partie reprises à l'article R. 4228-20 : " Il est interdit à toute personne d'introduire ou de distribuer et à tout chef d'établissement (...) de laisser introduire ou de laisser distribuer dans les établissements et locaux mentionnés à l'article L. 231-1, pour être consommées par le personnel, toutes boissons alcooliques autres que le vin, la bière, le cidre, le poiré, l'hydromel non additionnés d'alcool. " ;
3. Considérant, en premier lieu, que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Lyon a jugé qu'il résultait des articles cités ci-dessus que si l'employeur pouvait, lorsque des impératifs de sécurité le justifient, insérer dans le règlement intérieur des dispositions qui limitent la consommation de boissons alcoolisées de manière plus stricte que l'interdiction posée par l'article L. 232-2 du code du travail, de telles dispositions devaient, conformément à l'article L. 122-35 de ce code, rester proportionnées au but de sécurité recherché ; qu'en statuant ainsi, et alors même qu'il appartient à l'employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer, conformément à l'article L. 230-2 du même code, la santé des travailleurs de l'établissement, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;
4. Considérant, en second lieu, qu'en jugeant que les dispositions du règlement intérieur de l'établissement de … de la société X…, qui prévoient que " La consommation de boissons alcoolisées est interdite dans l'entreprise, y compris dans les cafeterias, au moment des repas et pendant toute autre manifestation organisée en dehors des repas. " n'étaient pas fondées sur des éléments caractérisant l'existence d'une situation particulière de danger ou de risque, et excédaient, par suite, par leur caractère général et absolu, les sujétions que l'employeur peut légalement imposer, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre du travail, de l'emploi et de la santé n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge, tant de l'Etat que de la société X…, le versement d'une somme de 1 500 euros chacun au comité d'entreprise de la société X…, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Les conséquences ?
Une clause plus restrictive que le Code du travail
Le Conseil d’État admet qu’un employeur puisse insérer dans un règlement intérieur, des dispositions limitant de façon plus restrictive que ce qui est prévu légalement, la consommation d’alcool sur le lieu de travail.
Cela doit toutefois être fait sous réserve que l’employeur soit capable de justifier d’un impératif de sécurité et de rester dans des dispositions proportionnées.
Une clause interdisant totalement la consommation
L’interdiction totale de consommation ne peut être envisagée qu’à titre exceptionnel, et sous réserve que l’employeur justifie d’éléments caractérisant l’existence d’une situation particulière de danger ou de risque (nota : le Conseil d’État considère que ce n’était pas le cas dans l’affaire présente).
Extrait arrêt Conseil d'État N° 349365 lecture du lundi 12 novembre 2012
(…) n'étaient pas fondées sur des éléments caractérisant l'existence d'une situation particulière de danger ou de risque, et excédaient, par suite, par leur caractère général et absolu, les sujétions que l'employeur peut légalement imposer,
Dans quelles situations ?
On pourrait ainsi imaginer une interdiction totale de consommation d’alcool pour des fonctions bien précises comme :
- Personnel en charge de la sécurité des personnes, des biens ou des locaux ;
- Salariés conduisant des véhicules ;
- Personnel travaillant dans un cadre où se trouvent des installations dangereuses (centrale nucléaire, etc.) ;
- Etc.
Le Conseil d’État admet cette interdiction totale, à titre exceptionnel, tout en rappelant qu’il appartient à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la santé des travailleurs dans l’entreprise, conformément à l’article L 4121-1 du Code du travail.
Article L4121-1
Modifié par LOI n°2010-1330 du 9 novembre 2010 - art. 61
L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes
Références
Conseil d'État N° 349365 lecture du lundi 12 novembre 2012
Arrêt n° 09LY01581 - 09LY01608 du 8 mars 2011 cour administrative d'appel de Lyon.