Quand un steward est sanctionné pour le port d’une coiffure avec tresses

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La Cour de cassation a publié sur son site un récent arrêt qui concerne un steward sanctionné par sa compagnie aérienne pour le port d’une coiffure avec des tresses. Notre actualité vous explique.

Quand un steward est sanctionné pour le port d’une coiffure avec tresses
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Cet article a été publié il y a un an, il est donc possible qu'il ne soit plus à jour.

Présentation de l’affaire

Exposé du litige

Nous avons consulté le texte de la décision, qui dévoile les informations suivantes :

Un salarié est engagé le 7 mai 1998 par une compagnie aérienne, en qualité de steward.

A compter de 2005, le salarié s'est présenté coiffé de tresses africaines nouées en chignon à l'embarquement, lequel lui a été refusé par l'employeur au motif qu'une telle coiffure n'était pas autorisée par le manuel des règles de port de l'uniforme pour le personnel navigant commercial masculin.

Par la suite et jusqu'en 2007, le salarié a porté une perruque pour exercer ses fonctions.

Soutenant être victime de discrimination, il saisit le 20 janvier 2012, la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Le 13 avril 2012, l'employeur notifie au salarié une mise à pied sans solde de 5 jours pour présentation non conforme aux règles de port de l'uniforme.

Le 17 février 2016, le salarié a été déclaré définitivement inapte à exercer la fonction de personnel navigant commercial, en raison d'un syndrome dépressif reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie.
Après avoir bénéficié d'un congé de reconversion professionnelle et confirmé qu'il ne souhaitait pas de reclassement au sol, il a été licencié le 5 février 2018 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.

Par la suite, le salarié saisit la juridiction prud’homale demandant à ce titre « la condamnation de l'employeur au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts pour discrimination, harcèlement moral et déloyauté, d'un rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2012 au 28 février 2014 et les congés payés afférents, la nullité de son licenciement et en conséquence la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts à ce titre, d'un solde de préavis avec les congés payés afférents et d'une indemnité de licenciement ».

Communiqué de presse de la Cour de cassation

La Cour de cassation, dans son communiqué de presse du 23 novembre 2022, expose l’affaire de la manière suivante : 

Une compagnie aérienne a établi un manuel du port de l’uniforme à destination de son personnel navigant. 

Ce manuel donne des consignes relatives à la coiffure :

  • Pour les hommes : « Les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur de la chemise. »
  • Pour les femmes : « Les tresses africaines sont autorisées à condition d’être retenues en chignon. » 

L’un des stewards de cette compagnie portait des tresses africaines nouées en chignon :

  • Il a été sanctionné pour avoir refusé de respecter les règles établies par le manuel ;
  • Puis a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement au sein de l’entreprise. 

La procédure

La Cour de cassation aborde la procédure comme suit : 

Le steward licencié a estimé être victime de discrimination : à ce titre, il a réclamé des dommages-intérêts.

Le conseil de prud’hommes puis la cour d’appel de Paris, par arrêt du 6 novembre 2019, ont rejeté sa demande. 

Il a été jugé que :

  • La présentation du personnel navigant faisait partie de l'image de marque de la compagnie aérienne ;
  • Cette image de marque imposait le port de l'uniforme ;
  • La différence de coiffure entre homme et femme reposait sur des codes en usage. 

La question posée à la Cour de cassation

La question qui était posée à la Cour de cassation était donc la suivante :

  • Le fait pour un employeur de restreindre la liberté de ses salariés de sexe masculin dans leur façon de se coiffer constitue-t-il une discrimination fondée sur le sexe?

L’arrêt de la Cour de cassation

Une différence de traitement

La différence de traitement qui consiste à :

  • Autoriser les femmes à porter des tresses africaines attachées en chignon ;
  • Mais à l’interdire aux hommes ;
  • Est uniquement fondée sur le sexe du salarié : elle n’est justifiée par aucune exigence essentielle et déterminante propre à l’exercice de la profession de steward.

Coiffure et uniforme

D’une part, c’est l’uniforme qui permet aux clients d’identifier le personnel navigant.

Contrairement à un chapeau, dont le port peut être imposé et qui contribue à cette identification, la manière de se coiffer n’est ni une partie de l’uniforme ni son prolongement.

Les codes sociaux

  • D’autre part, les codes sociaux ne sont pas des critères objectifs qui justifient une différence de traitement entre les hommes et les femmes.
  • La prise en compte d’une perception sociale courante de l’apparence physique des genres masculin et féminin n’est pas une exigence objective nécessaire à l’exercice des fonctions de steward.

Arrêt de la cour d’appel cassé

Dans le cadre de cette profession, il n’est donc pas possible d’interdire aux hommes une coiffure autorisée aux femmes.

La Cour de cassation casse la décision de cour d’appel.

Elle renvoie les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Extrait de l’arrêt :

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012-954 du 6 août 2012, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en œuvre en droit interne les articles 2, § 1, et 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail :

10. Il résulte de ces textes que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché.

11. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que par analogie avec la notion d'‘'exigence professionnelle essentielle et déterminante'‘ prévue à l'article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, la notion d'‘'exigence professionnelle véritable et déterminante'‘, au sens de l'article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause. Il résulte en effet de la version en langue anglaise des deux directives précitées que les dispositions en cause sont rédigées de façon identique : ‘'such a characteristic constitutes a genuine and determining occupational requirement'‘.

12. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la déloyauté, de ses demandes de rappels de salaire et tendant à la nullité du licenciement et au paiement de sommes subséquentes, l'arrêt, après avoir constaté que le manuel de port de l'uniforme des personnels navigants commerciaux masculins mentionne que ‘'les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise. Décoloration et ou coloration apparente non autorisée. La longueur des pattes ne dépassant pas la partie médiane de l'oreille. Accessoires divers : non autorisés'‘, retient que ce manuel n'instaure aucune différence entre cheveux lisses, bouclés ou crépus et donc aucune différence entre l'origine des salariés et qu'il est reproché au salarié sa coiffure, ce qui est sans rapport avec la nature de ses cheveux.

13. Il ajoute que si le port de tresses africaines nouées en chignon est autorisé pour le personnel navigant féminin, l'existence de cette différence d'apparence, admise à une période donnée entre hommes et femmes en termes d'habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage, qui reprend les codes en usage, ne peut être qualifiée de discrimination.

14. L'arrêt énonce encore que la présentation du personnel navigant commercial fait partie intégrante de l'image de marque de la compagnie, que le salarié est en contact avec la clientèle d'une grande compagnie de transport aérien qui comme toutes les autres compagnies aériennes impose le port de l'uniforme et une certaine image de marque immédiatement reconnaissable, qu'en sa qualité de steward, il joue un rôle commercial dans son contact avec la clientèle et représente la compagnie et que la volonté de la compagnie de sauvegarder son image est une cause valable de limitation de la libre apparence des salariés.

15. L'arrêt en déduit que les agissements de la société (…) ne sont pas motivés par une discrimination directe ou indirecte et sont justifiés par des raisons totalement étrangères à tout harcèlement.

16. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société (…) avait interdit au salarié de se présenter à l'embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon et que, pour pouvoir exercer ses fonctions, l'intéressé avait dû porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n'était pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin, ce dont il résultait que l'interdiction faite à l'intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l'apparence physique en lien avec le sexe, la cour d'appel, qui, d'une part, s'est prononcée par des motifs, relatifs au port de l'uniforme, inopérants pour justifier que les restrictions imposées au personnel masculin relatives à la coiffure étaient nécessaires pour permettre l'identification du personnel de la société (…) et préserver l'image de celle-ci, et qui, d'autre part, s'est fondée sur la perception sociale de l'apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l'article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, a violé les textes susvisés.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [T] de ses demandes de dommages-intérêts au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la déloyauté, de rappels de salaire du 1er janvier 2012 au 28 février 2014, ainsi que de sa demande tendant à la nullité de son licenciement et au paiement de dommages-intérêts à ce titre, de solde sur préavis et congés payés afférents et d'indemnité de licenciement, et en ce qu'il condamne M. [T] à payer à la société (…) la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 6 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; 

Références

Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale du 23 novembre 2022, pourvoi n° 21-14.060.