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Présentation de l’affaire
Une salariée est engagée en qualité de femme de ménage, suivant contrat de travail à temps partiel du 20 juin 2015, pour une durée mensuelle de travail de 60 heures.
La salariée a démissionné le 16 janvier 2017.
Mais elle décide, le 26 juin 2017, de saisir la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Elle souhaite concrètement que sa démission soit requalifiée en une prise d’acte, qui, si les griefs invoqués sont fondés produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle reproche ainsi à son employeur :
- Le fait de ne pas lui avoir fourni du travail ;
- Et de ne pas lui avoir payé les heures de travail contractuellement prévues, à savoir 60h/mois.
Arrêt de la cour d’appel
La cour d’appel de Rouen, par arrêt du 25 février 2021, déboute la salariée de sa demande.
Elle considère que la salariée doit être déboutée de sa demande de rappel de salaires et à sa demande tendant à ce que la démission soit analysé en prise d’acte aux torts de l’employeur, mettant en avant que :
- Il était constaté les conclusions des parties concordaient sur le fait que la salariée n'effectuait pas 60 heures de travail par mois, relève qu'il ressort d'échanges de SMS entre les parties qu'elle choisissait ses horaires en fonction de ses convenances ;
- Retenant que, dès lors que la salariée avait toute liberté pour organiser son emploi du temps, il lui appartenait d'assurer le nombre d'heures prévu par son contrat ;
- Qu’elle ne justifiait ni de ce que l'employeur lui aurait demandé de ne pas accomplir ce nombre d'heures, ni que celui-ci se serait opposé parfois ou régulièrement à sa venue, qu'elle ne démontre pas davantage avoir jamais réclamé le paiement des heures non accomplies ni payées ;
- Il était également relevé que, dans une lettre du 23 janvier 2017 en réponse au courrier de démission de la salariée et à un second courrier, le gérant lui déclare : « Comme je vous l'ai fait remarquer depuis un certain temps, vous n'effectuez plus 60 heures mensuelles comme il était demandé dans votre contrat de travail et le ménage n'était plus fait convenablement. Etant donné que vous aviez la clef, vous aviez décidé de venir le matin à 7 heures et, quand je me rendais sur les lieux à huit heures, vous étiez déjà partie ; plusieurs fois, vous n'êtes même pas venue pensant que vous étiez en congé. »
En conclusion, l’arrêt de la cour d’appel « en déduit qu'il n'est pas établi que le défaut d'exécution, par la salariée, du nombre d'heures de travail contractuel soit imputable à l'employeur qui ne lui aurait pas fourni de travail et non à sa propre carence ».
Arrêt de la Cour de cassation
La Cour de cassation n’est pas sensible aux arguments de la cour d’appel, dont elle casse et annule l’arrêt.
La Cour de cassation rappelle à cette occasion que :
- C’est à l’employeur de prouver qu’il a bien fourni du travail à sa salariée (NDLR : c’est une des 3 conditions fondamentales d’une relation contractuelle) ;
- Il incombe également à l’employeur de rémunérer sa salarié (NDLR : autre condition fondamentale du contrat de travail).
La liberté d’organiser son temps de travail ne pouvait avoir pour conséquence de renverser la charge de la preuve du manquement de l’employeur à fournir du travail à salariée.
La Cour de cassation renvoie les parties devant la cour d’appel de Caen, afin que l’affaire soit rejugée.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1221-1 et L. 1231-1 du code du travail :
- L'employeur est tenu de payer sa rémunération et de fournir du travail au salarié qui se tient à sa disposition.
- Pour débouter la salariée de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire et tendant à ce que sa démission soit analysée en une prise d'acte emportant les effets d'un licenciement injustifié, l'arrêt, après avoir constaté que les conclusions des parties concordaient sur le fait que la salariée n'effectuait pas soixante heures de travail par mois, relève qu'il ressort d'échanges de SMS entre les parties qu'elle choisissait ses horaires en fonction de ses convenances.
- Il retient que, dès lors que la salariée avait toute liberté pour organiser son emploi du temps, il lui appartenait d'assurer le nombre d'heures prévu par son contrat, qu'elle ne justifie ni de ce que l'employeur lui aurait demandé de ne pas accomplir ce nombre d'heures, ni que celui-ci se serait opposé parfois ou régulièrement à sa venue, qu'elle ne démontre pas davantage avoir jamais réclamé le paiement des heures non accomplies ni payées, évaluées à 258 en 2015 et à 116 en 2016, alors qu'elle avait une situation modeste, ni en avoir été contrariée.
- Il relève encore que, dans une lettre du 23 janvier 2017 en réponse au courrier de démission de la salariée et à un second courrier, le gérant lui déclare : « Comme je vous l'ai fait remarquer depuis un certain temps, vous n'effectuez plus 60 heures mensuelles comme il était demandé dans votre contrat de travail et le ménage n'était plus fait convenablement. Etant donné que vous aviez la clef, vous aviez décidé de venir le matin à 7 heures et, quand je me rendais sur les lieux à huit heures, vous étiez déjà partie ; plusieurs fois, vous n'êtes même pas venue pensant que vous étiez en congé. »
- L'arrêt en déduit qu'il n'est pas établi que le défaut d'exécution, par la salariée, du nombre d'heures de travail contractuel soit imputable à l'employeur qui ne lui aurait pas fourni de travail et non à sa propre carence.
- En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'employeur justifiait avoir satisfait à son obligation de fournir du travail à la salariée à hauteur de la durée de travail convenue et rapportait la preuve de ce que cette dernière ne s'était pas tenue à sa disposition ou aurait refusé d'exécuter le travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
- La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « que la cour d'appel ayant considéré que sa démission ne pouvait s'analyser en une prise d'acte, dès lors que, si cette démission est effectivement équivoque, " il a été exposé ci-dessus que le grief relatif aux heures non accomplies ni payées était mal fondé", la cassation qui interviendra dans le cadre des première et deuxième branches du moyen entraînera, par voie de conséquence, la cassation de sa décision en ce qu'elle a rejeté, au motif que le grief relatif aux heures non accomplies ni payées serait mal fondé, la demande de la salariée tendant à ce qu'il soit jugé que le manquement de l'employeur à ses obligations justifiait la prise d'acte litigieuse et ce, en application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
- La cassation prononcée sur le moyen pris en sa deuxième branche entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs du dispositif relatifs à la rupture du contrat de travail qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Ce qui définit un contrat de travail : rappel
Nous avons évoqué, concernant l’arrêt de la Cour de cassation, les conditions fondamentales d’une relation contractuelle, profitons de l’affaire présente pour faire un rappel à ce sujet :
- On dit parfois que le contrat de travail est un contrat « synallagmatique », c’est à dire que les obligations du salarié doivent être équivalentes à celles de l’employeur.
- Il faut avoir à l’esprit qu’il y a contrat de travail, à partir du moment où 3 éléments sont cumulativement respectés.
- Prestation : le salarié doit réaliser un travail pour lequel a été conclu le contrat de travail ET l’employeur doit lui fournir du travail ;
- Subordination : le salarié exerce son activité sous les ordres de son employeur ;
- Rémunération : toute personne ayant un contrat de travail doit être rémunérée selon le travail réalisé, sinon il s’agit d’un acte de bénévolat.
Références
Cour de cassation - Chambre sociale N° de pourvoi : 21-15.617 ECLI:FR:CCASS:2023:SO00210 Non publié au bulletin
Solution : Cassation Audience publique du mercredi 01 mars 2023 Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, du 25 février 2021