Un mail du gestionnaire de paie relatif au solde de tout compte ne constitue pas un licenciement verbal

Actualité
Paie Reçu pour solde de tout compte

Un arrêt de la Cour de cassation a attiré notre attention, raison pour laquelle nous proposons la présente actualité. Le salarié estimait dans cette affaire avoir fait l’objet d’un « licenciement verbal ».

Un mail du gestionnaire de paie relatif au solde de tout compte ne constitue pas un licenciement verbal
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Présentation de l’affaire

Un salarié est engagé en qualité de chargé de mission par une société d’assurance.

Il exerce en dernier lieu les fonctions de manager de domaine.

Licencié pour faute le 5 octobre 2018, il saisit la juridiction prud'homale de demandes en contestation de son licenciement. 

Il estime notamment avoir fait l’objet d’un licenciement verbal, mettant en avant un courriel du 1er octobre 2018, où un employé du service des paies et de la gestion administrative, répondant à la question posée par une juriste du service des ressources humaines relative à l'origine de fonds reçus par le salarié et adressé en copie à deux autres salariés de ce service, avait indiqué

« une mutation rétroactive a été finalisée [...] et cela a entraîné un calcul de paie sur 4 mois sur la nouvelle société. Nous regardons comment récupérer l'indu car celui-ci est sur l'ancien employeur (sinon nous récupérerons sur le STC) »,

L’acronyme STC signifiant « solde de tout compte », n’ayant lieu d'être que lorsque le contrat de travail est rompu, considère ici le salarié dans la présente affaire.

Arrêt de la cour d’appel

La cour d'appel de Poitiers, par arrêt du 2 juin 2022, donne raison au salarié estimant que :

« Les termes employés dans ce courriel ne laissent planer aucun doute quant au fait que son rédacteur connaissait la décision de licenciement de l'intéressé dès le 1er octobre 2018 cette décision n'étant pas, dans son esprit, une hypothèse mais une certitude et que son interlocutrice ne lui avait d'ailleurs pas fait observer que la décision de licenciement n'était pas prise ».

En conséquence, la cour d’appel estime ici le licenciement verbal dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Mais l’employeur décide de se pourvoir en cassation. 

Arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, renvoyant les parties devant la cour d'appel de Limoges.

Elle estime présentement que : 

Vu l’article L 1232-6 du code du travail :

  • La rupture du contrat de travail, en l'absence de lettre de licenciement, ne peut résulter que d'un acte de l'employeur par lequel il manifeste au salarié sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Ayant été constaté que :

  • Les propos tenus par un employé du service des paies et de la gestion administrative dans le courriel du 1er octobre 2018, relatifs à une possible répétition de l'indu, n'émanaient pas du titulaire du pouvoir de licencier ;
  • Ce dont il résultait que l'employeur n'avait pas manifesté la volonté de mettre fin au contrat de travail. 

La cour d’appel ne saurait alors considérer que le salarié avait fait l’objet d’un quelconque licenciement verbal, et considérer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Extrait de l’arrêt :

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1232-6 du code du travail :

4. Il résulte de ce texte que la rupture du contrat de travail, en l'absence de lettre de licenciement, ne peut résulter que d'un acte de l'employeur par lequel il manifeste au salarié sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

5. Pour juger le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir constaté que, dans un courriel du 1er octobre 2018, un employé du service des paies et de la gestion administrative, répondant à la question posée par une juriste du service des ressources humaines relative à l'origine de fonds reçus par le salarié et adressé en copie à deux autres salariés de ce service, avait indiqué « une mutation rétroactive a été finalisée [...] et cela a entraîné un calcul de paie sur 4 mois sur la nouvelle société. Nous regardons comment récupérer l'indu car celui-ci est sur l'ancien employeur (sinon nous récupérerons sur le STC) », retient qu'il n'est pas contesté que l'acronyme STC signifiait « solde de tout compte », qui n'a lieu d'être que lorsque le contrat de travail est rompu.

6. Il ajoute que les termes employés dans ce courriel ne laissent planer aucun doute quant au fait que son rédacteur connaissait la décision de licenciement de l'intéressé dès le 1er octobre 2018 cette décision n'étant pas, dans son esprit, une hypothèse mais une certitude et que son interlocutrice ne lui avait d'ailleurs pas fait observer que la décision de licenciement n'était pas prise.

7. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les propos tenus par un employé du service des paies et de la gestion administrative dans le courriel du 1er octobre 2018, relatifs à une possible répétition de l'indu, n'émanaient pas du titulaire du pouvoir de licencier, ce dont il résultait que l'employeur n'avait pas manifesté la volonté de mettre fin au contrat de travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt condamnant l'employeur à verser au salarié une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, entraîne la cassation du chef de dispositif le condamnant à payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, la cour d'appel ayant retenu le caractère vexatoire de l'attitude de l'employeur au regard des motifs de l'arrêt relatifs au licenciement verbal.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société (…)  à payer à M. [R] les sommes de 55 000 euros net à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 30 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et licenciement intervenu dans des circonstances vexatoires, dit que les dommages-intérêts alloués à M. [R] sont assortis d'intérêts au taux légal à compter de la décision, ordonne la capitalisation des intérêts année par année en application de l'article 1343-2 du code civil, et condamne la société (…)  aux dépens et à payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 2 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;

Références

Cour de cassation - Chambre sociale N° de pourvoi : 22-20.414 ECLI:FR:CCASS:2023:SO02141 Non publié au bulletin

Solution : Cassation partielle Audience publique du mercredi 06 décembre 2023 Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, du 02 juin 2022