Forfait jours et surveillance temps de travail : les rappels de la Cour de cassation

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Paie Convention forfait

Une nouvelle fois, la Cour de cassation aborde les conventions de forfait en jours, et la surveillance que doit obligatoirement réaliser l’employeur sur la charge de travail. Notre actualité vous explique.

Forfait jours et surveillance temps de travail : les rappels de la Cour de cassation
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Présentation de l’affaire

Une salariée est engagée en qualité d'assistante, le 7 octobre 2013, puis en qualité d'avocate suivant contrat de travail du 5 novembre 2013, soumis à la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 et comportant une convention de forfait en jours. 

Elle est promue au grade de senior 1 en juillet 2015, puis à celui de senior 3 en juillet 2017.

Elle est en congé de maternité, suivi d'un congé parental, du 2 mars au 28 septembre 2018, puis à nouveau du 31 mai 2019 au 15 janvier 2020.

La salariée est licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 27 mai 2020.

Soutenant avoir subi une discrimination en raison de son sexe et de son état de maternité, la salariée a saisi, le 29 janvier 2021, le bâtonnier de l'ordre des avocats de demandes tendant notamment à ordonner son repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, à condamner la société au paiement de rappels de salaires correspondants du 1er juillet 2019 au 11 novembre 2020, de rattrapages d'intéressement et de participation ainsi que de bonus sur cette période, de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier lié à la discrimination et de rappel d'heures supplémentaires, à prononcer la nullité de son licenciement, à ordonner sa réintégration et à condamner la société au paiement d'une somme provisionnelle à titre d'indemnité d'éviction à compter du 12 novembre 2020.

Arrêt de la cour d’appel

Concernant la demande de rappel d’heures supplémentaires, la cour d'appel de Montpellier, par arrêt du 22 juin 2022, déboute la salariée de sa demande. 

Pour cela la cour d’appel :

  • Retient que l'employeur soutient que la convention de forfait en jours est autorisée par l'avenant 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail de la convention collective des avocats salariés dans la limite de deux cents dix-sept jours ;
  • Que l'accord d'entreprise signé le 14 mai 2007 contient l'ensemble des mentions légalement prévues et mettant en place les garanties suffisantes ;
  • Et que l'avenant n° 15 du 25 mai 2012, relatif au forfait annuel en jours de la convention collective des avocats, qui est applicable au sein du cabinet, valide cette convention de forfait. 

En outre, dans l’affaire présente, il était constaté que :

  • L’employeur avait complété l'ensemble des dispositions conventionnelles applicables ;
  • Par une charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail et qu'il est inexact d'affirmer qu'aucun outil de contrôle de la charge de travail n'a été mis en place par l'employeur pour garantir le bon équilibre de la vie professionnelle et de la vie personnelle des salariés.

Arrêt de la Cour de cassation

La Cour de cassation n’est pas sensible aux arguments de la cour d’appel de Montpellier, dont elle casse et annule l’arrêt, renvoyant les parties devant la cour d'appel de Nîmes.

Pour cela elle rappelle que, selon les articles L. 3121-60 et L. 3121-65 I du code du travail, et l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 : 

  • Aux termes du premier de ces textes, dont les dispositions sont d'ordre public, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ;
  • Aux termes du deuxième, à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle peut être valablement conclue sous réserve des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération ;

  • Aux termes du troisième, l'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.

Il était constaté, dans l’affaire présente, que :

  • Nonobstant la mise en place d’une charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail ;
  • La cour d’appel n’en avait pas vérifié son contenu (notamment en lien avec des modalités d'évaluation et de suivi régulier de la charge de travail du salarié permettant notamment à l'employeur de s'assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires), ni l’efficacité des mesures prévues.

En d’autres termes :

  • La mise en place de « bonnes pratiques » visant à contrôler la surcharge de travail ne suffit pas ;
  • Il convient qu’elles soit réellement effectives.

Extrait de l’arrêt :

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3121-60 et L. 3121-65 I du code du travail, l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

  1. Aux termes du premier de ces textes, dont les dispositions sont d'ordre public, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.
  1. Aux termes du deuxième, à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle peut être valablement conclue sous réserve des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

  1. Aux termes du troisième, l'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.
  1. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que l'employeur a complété l'ensemble des dispositions conventionnelles applicables par une charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail et qu'il est inexact d'affirmer qu'aucun outil de contrôle de la charge de travail n'a été mis en place par l'employeur pour garantir le bon équilibre de la vie professionnelle et de la vie personnelle des salariés.
  1. En statuant ainsi, par des motifs généraux impropres à caractériser que

la charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail était de nature à répondre aux exigences de l'article L. 3121-65 du code du travail et que l'employeur avait effectivement exécuté son obligation de s'assurer régulièrement que la charge de travail de la salariée était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

  1. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt déboutant la salariée de ses demandes de repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, de ses demandes salariales subséquentes, de ses demandes de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier lié à la discrimination, de réintégration et au titre de l'indemnité d'éviction entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant la société à payer à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement nul qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
  1. La cassation des chefs de dispositif déboutant la salariée de ses demandes de repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, de ses demandes salariales subséquentes, de ses demandes de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier lié à la discrimination, de réintégration et au titre de l'indemnité d'éviction et condamnant la société à payer à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement nul et de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires effectuées et non payées, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [R] de ses demandes en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires effectuées et non payées, de repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, avec fixation de sa rémunération globale au niveau moyen des salariés situés au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, soit 7 112,50 euros mensuels bruts, de rappels de salaires correspondants entre cette date et le 11 novembre 2020, de rattrapage d'intéressement et de participation, ainsi que de bonus correspondants sur la période, de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier lié à la discrimination, de réintégration et d'indemnité d'éviction à compter du 12 novembre 2020, à parfaire au jour de la décision à intervenir, outre les augmentations moyennes individuelles et générales perçues par les salariés de la même catégorie ainsi que les avantages, primes et salaires de toute nature et en ce qu'il condamne la société (…) à payer à Mme [R] la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 22 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

Références

Cour de cassation - Chambre sociale N° de pourvoi : 22-20.539 ECLI:FR:CCASS:2024:SO00413 Publié au bulletin

Solution : Cassation partielle Audience publique du mercredi 24 avril 2024 Décision attaquée : Cour d'appel de Montpellier, du 22 juin 2022