Ne pas réduire les droits à congés payés
Jusqu’au 10 avril 2024, le Code du Travail prévoyait que la maladie ne faisait pas partie des périodes considérées comme travail effectif pour l'acquisition des congés payés. L'employeur pouvait donc, selon le Code du Travail, réduire proportionnellement les congés payés du salarié absent pour maladie, sauf usage ou clause conventionnelle contraire.
Mais ce principe du code du travail français était contraire à la directive européenne sur le temps de travail et a évolué le 13 septembre 2023 en fonction de la jurisprudence de la Cour de Cassation.
La directive européenne prévoit en effet un droit à congés payés d’au moins 4 semaines, sans distinguer selon l’origine des absences et donc y compris en cas d’arrêt de travail pour maladie non-professionnelle.
Jusqu’au 13 septembre 2023, la Cour de cassation a rappelé régulièrement au législateur la nécessité de se mettre en conformité avec la directive européenne sur le sujet de l’acquisition des congés payés pendant un arrêt maladie, en vain.
Elle a donc opéré une révolution par un arrêt rendu le 13 septembre 2023, en mettant en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congés payés en décidant d'écarter partiellement l'application de l'article L 3141-3 du Code du Travail.
Elle a ainsi posé le principe selon lequel les salariés malades ou accidentés acquièrent des droits à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle.
Les Cours d’appel se sont alors emparées de ce revirement jurisprudentiel pour reconnaître des droits à congés payés aux salariés en arrêt maladie :
- La Cour d’Appel de Paris a condamné, le 27 septembre 2023, une entreprise à verser 6000 € d’indemnité à une salariée pour des congés payés non acquis pendant plusieurs arrêts maladie de 2018 à 2020.
- La Cour d’Appel de Versailles ordonnait, le 5 octobre 2023, à un employeur d’alimenter le compteur de congés payés d’un salarié encore en poste pour les congés qu’il aurait dû acquérir pendant ses arrêts maladie en 2018 et 2019.
- La Cour d’Appel de Reims a également ordonné, le 18 octobre 2023, à un employeur de régulariser 20 jours de congés payés pour un salarié encore en poste et qui avait été en arrêt maladie en 2017 et 2018, l’employeur ne justifiant pas avoir pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé.
- La Cour d’Appel de Caen accordait, le 11 janvier 2024, à un salarié une indemnité compensatrice de congés payés pour un arrêt maladie s’étalant de 2013 à 2016, la prescription ne courant qu’une fois que l’employeur a mis le salarié en mesure d’exercer ses droits à congés payés.
- La Cour d’Appel de Lyon condamnait, le 26 janvier 2024, l’employeur à verser une indemnité compensatrice de congés payés qui auraient du être acquis durant un arrêt de travail en 2015.
Le 10 mars 2024, le Gouvernement a donc déposé un amendement au projet de loi d’adaptation au droit de l’union européenne, avec pour objectif de mettre en conformité le droit du travail français avec le droit européen.
Le projet de loi a été définitivement adopté par l’Assemblée Nationale le 10 avril 2024.
Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur dès publication de la loi, sous réserve d'une éventuelle saisine du Conseil Constitutionnel.
En cas de saisine du Conseil Constitutionnel, il nous semble peu probable que celui-ci censure les dispositions de la loi relative aux congés payés compte tenu du fait qu'il les a déjà jugées conformes à la Constitution dans une décision du 8 février 2024.
Calculer les droits à congés payés
Les salariés en arrêt de travail pour maladie acquièrent désormais 2 jours ouvrables de congés payés par mois, dans la limite de 24 jours ouvrables (soit 4 semaines) sur une période d'acquisition de congés de un an.
Le salarié ne bénéficie donc pas de la 5ème semaine de congés payés.
Calculer l’indemnité de congés payés
Un mois d’arrêt maladie ouvrant droit à 2 jours ouvrables de CP, soit 80 % de 2,5 jours ouvrables, il est appliqué le même rapport de 80 % pour le calcul de l’indemnité de congés payés.
La rémunération correspondant aux périodes d’arrêt maladie n’est donc prise en compte qu’à hauteur de 80 %.
Reporter les congés payés acquis avant l’arrêt et non pris
Les congés payés acquis avant l'arrêt de travail et non pris en raison de l'arrêt maladie sont reportés sur une période de 15 mois.
Un accord d'entreprise, la convention collective ou un accord de branche peuvent prévoir une durée de report supérieure à ces 15 mois légaux.
Les congés non pris au-delà de cette période de report sont définitivement perdus.
La période de report commence à partir du jour où l'employeur informe le salarié concerné sur ses droits à congés payés, après la reprise du travail.
Informer le salarié sur ses droits
L'employeur doit informer le salarié sur le nombre de jours de congé dont il dispose ainsi que sur la date jusqu’à laquelle ces jours de congé peuvent être pris.
Il est tenu de le faire dans le délai d'un mois à compter de la reprise du travail.
Cette information peut être effectuée par tout moyen conférant date certaine à sa réception, notamment au moyen du bulletin de paye.
La période de report des congés commence à la date de réception de cette information par le salarié (et non pas à la date d’envoi par l’employeur).
Particularité des arrêts d’une durée supérieure à 1 an
Lorsqu'un salarié est en arrêt de travail de plus d'un 1 an à la fin de l’année d’acquisition des congés payés :
Les congés payés acquis au titre de la période d’arrêt de travail sont reportés sur une période de 15 mois.
Cette période de report commence dès le terme de la période d’acquisition concernée.
La période de report de 15 mois peut donc démarrer alors que le salarié est toujours en arrêt de travail, sans attendre la reprise du travail et sans information du salarié, puisqu’elle débute dès la fin de la période d’acquisition des droits objets du report.
Si le salarié reprend le travail avant l’expiration de la période de report de 15 mois, celle-ci est suspendue jusqu’à ce que l’employeur remplisse son obligation d’information sur les droits à congés payés du salarié et la date jusqu’à laquelle il peut les prendre.
En revanche, le salarié perd ses droits à congés payés en cas de reprise du travail postérieurement au terme de la période de report de 15 mois.
Rétroactivité de l’acquisition des CP au 1er décembre 2009
La règle d'acquisition de 2 jours ouvrables de congés payés par mois d'arrêt maladie et 24 jours ouvrables par an, ainsi que la période de report des congés de 15 mois sont rétroactives au 1er décembre 2009.
Le 1er décembre 2009 est la date d’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, qui a donné une force juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne en vertu de laquelle la Cour de cassation a écarté les règles françaises contraires.
L’acquisition rétroactive de congés payés durant un arrêt maladie ne peut conduire à ce que le salarié bénéficie de plus de 24 jours ouvrables de congés payés par année d’acquisition, après prise en compte des jours déjà acquis sur cette période.
Délai de forclusion de 2 ans pour les salariés en poste
Les salariés en poste qui entendent réclamer à leurs employeurs des droits à congés payés au titre d’arrêts maladie survenus depuis le 1er décembre 2009 disposent d'un délai de 2 ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi.
Prescription de 3 ans pour les salariés ayant quitté l’entreprise
Le délai de forclusion de 2 ans n'est pas applicable aux salariés qui ont quitté l'entreprise.
Pour ces salariés, c'est le délai de prescription des salaires de 3 ans qui est applicable.
Les salariés dont le contrat de travail a été rompu depuis plus de 3 ans à la date d’entrée en vigueur de la future loi ne peuvent donc pas agir en justice pour obtenir le paiement d’indemnités compensatrices.
Si le salarié a quitté l’entreprise, mais depuis moins de 3 ans à la date d’entrée en vigueur de la loi, la DGT estime que pour ces salariés, les nouvelles règles de report s’appliquent.
Gérer l’arrêt maladie avant le départ en congés
Le salarié malade avant son départ en congés payés est considéré en arrêt de travail pour maladie.
Si sa maladie cesse avant la fin des congés, il est ensuite en CP jusqu’à la date de fin des congés prévue initialement et perçoit l'indemnité de congés payés correspondante.
Si la maladie dépasse la période de CP prévue, il n'est pas considéré en congés.
Le salarié conserve les congés qu'il n'a pas pris du fait de son arrêt maladie. Il pourra demander à en bénéficier ultérieurement, même après la période de référence. Une convention collective peut limiter ce droit, si la période de report est « substantiellement » supérieure à celle de la période de référence des congés payés (qui, en France, est de 12 mois). En l'absence de dispositions conventionnelles limitant le report, un salarié conserve les congés payés acquis, même s'il a été en arrêt de travail ininterrompu plus de 2 ans.
Gérer l’arrêt maladie pendant les congés
Si la maladie du salarié survient durant ses congés, le salarié est considéré en congés selon la Cour de Cassation.
Sauf dispositions conventionnelles ou usage plus avantageux, le salarié ne peut pas exiger de prendre ultérieurement le congé dont il n’a pu bénéficier du fait de son arrêt de travail.
Mais la jurisprudence européenne (CJUE) considère qu’un salarié tombant malade durant ses CP a droit au report des jours dont il n’a pas pu bénéficier en raison de son arrêt maladie.
Il n’est pas exclu que la Cour de cassation fasse évoluer sa jurisprudence si un litige lui en donne l’occasion, à l’instar de ce qu’elle a fait en matière d’acquisition des congés payés en septembre 2023…
A ce jour, la Direction Générale du Travail considère qu’« aucune disposition dans le code du travail n’interdit le report de congés payés lorsque les congés payés coïncident avec des arrêts maladie » et que « la directive européenne de 2003 sur le temps de travail et les arrêts de la CJUE n’imposent pas à un État membre d’adopter une disposition légale » ouvrant droit au report des congés coïncidant avec un arrêt maladie.
A noter : Quand la maladie du salarié, intervenue pendant les congés, se prolonge après leur terme, l’employeur maintient le salaire dans les conditions légales ou conventionnelles. La date de fin des CP constitue le point de départ de l’indemnisation (délai de carence applicable).
Références
Code du Travail : articles L 3141-3, L 3141-5.
Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, art. 7.
Cass. soc., 4 décembre 1996, n° 93-44.907 ; CJUE, 21 juin 2012, n° 78/11 (maladie pendant les congés).
CJCE, 20 janvier 2009, n° 350/6 ; CJUE, 22 novembre 2011, n° 214/10 ; cass. soc., 16 février 2012, n° 10-21.300 ; cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-24.022 ; cass. soc., 15 septembre 2021, n° 20-16.010 (maladie avant le départ en congés).
Cass. soc., 15 septembre 2021, n° 20-16.010 ; Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-22.214 (acquisition des congés payés pendant l’arrêt maladie).
Cass. soc., 2 février 2022, n° 20-19.014 (licenciement pendant un arrêt maladie).
Cass. soc., 13 septembre 2023, n° 22-17.340 (acquisition des CP en arrêt maladie).
CA Paris, 27 septembre 2023, n° 21/01244 ; CA Versailles, 5 octobre 2023, n° 22/02795 ; CA Reims, 18 octobre 2023, n° 22/01293 ; CA Caen, 11 janvier 2024, n° 22/00899 ; CA Lyon, 26 janvier 2024, n° 20/05547(acquisition des CP en arrêt maladie).
Conseil Constitutionnel, 8 février 2024, QPC 2023-1079 (acquisition des CP en arrêt maladie).
Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, adopté le 10 avril 2024, art. 37 (acquisition des CP en arrêt maladie).