Arrêt du 13 septembre 2023 : rappel
Présentation synthétique
De façon synthétique, l’arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 peut être présenté comme suit :
Dispositions actuelles | Arrêt de la Cour de cassation | Références |
Sauf dispositions conventionnelles ou usages plus favorables :
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| Arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, pourvoi n° 22-17.340 |
Un droit du travail non conforme à la directive européenne
Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans son arrêt, confirmant à cette occasion l’arrêt de la cour d’appel : « La cour d'appel, après avoir, à bon droit, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a exactement décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle. »
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés.
6. En application de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison notamment de son état de santé.
7. Aux termes de l'article L. 3141-3 du code du travail, le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur.
8. Le droit au congé annuel payé constitue un principe essentiel du droit social de l'Union (CJUE 6 novembre 2018, Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16, point 80).
9. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20).
10. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10).
11. Par arrêt du 6 novembre 2018 (Stadt Wuppertal c/ Bauer, C-569/16 et Willmeroth c/ Broßonn, C- 570/16), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée. La Cour de Justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.
12. La Cour de cassation a jugé que la directive 2003/88/CE ne pouvant permettre, dans un litige entre des particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire, un salarié ne peut, au regard de l'article L. 3141-3 du code du travail, prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de congés payés au titre d'une période de suspension du contrat de travail ne relevant pas de l'article L. 3141-5 du code du travail (Soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285, Bull. V, n° 73).
13. S'agissant d'un salarié, dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle, les dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail, qui subordonnent le droit à congé payé à l'exécution d'un travail effectif, ne permettent pas une interprétation conforme au droit de l'Union.
14. Dès lors, le litige opposant un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité de particulier, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale.
15. Il convient en conséquence d'écarter partiellement l'application des dispositions de l'article L. 3141-3 du code du travail en ce qu'elles subordonnent à l'exécution d'un travail effectif l'acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l'effet d'un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail.
16. La cour d'appel, après avoir, à bon droit, écarté partiellement les dispositions de droit interne contraires à l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a exactement décidé que les salariés avaient acquis des droits à congé payé pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
Notre article à ce sujet
Un article aborde l’arrêt de la Cour de cassation avec plus de détails, il est consultable au lien suivant :
Lire aussi : Congés payés : la Cour de cassation met en conformité le droit français avec le droit européen Actualité
A l’occasion de 3 arrêts, très importants, rendus le 13 septembre 2023, la Cour met en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congés payés. Notre actualité vous explique.
Questions-réponses
Ainsi que nous l’indiquons en préambule, nous avons décidé de réaliser un « questions-réponses » afin d’aborder les principales questions que les services RH et de paie peuvent légitimement se poser.
Faute d’intervention à l’heure actuelle du législateur, ce sont des interprétations que nous proposons se basant régulièrement sur le « principe de précaution » que certaines entreprises pourraient décider d’appliquer….
Questions | Réponses |
Les employeurs ont-ils l’obligation de suivre l’arrêt de la Cour de cassation ? | Non Si nous nous plaçons du côté légal, faute de modification du code du travail, les arrêts pour maladie « ordinaire » (NDLR : à ne pas confondre avec les arrêts pour maladie professionnelle) ne sont pas assimilés à du temps de travail effectif permettant l’acquisition de congés payés. L’article L 3141-5 du code du travail, listant les périodes de suspension du contrat de travail, ne cite actuellement pas les périodes de suspension pour cause d’arrêt de travail pour maladie.
Principe de précaution Toutefois, selon le principe de précaution, les employeurs doivent avoir à l’esprit qu’une action prud’homale d’un salarié, concerné par une réduction de son droit aux congés payés, faisant suite à des arrêts maladie, a de grandes chances d’aboutir, il serait étonnant que les conseils de prud’hommes ne suivent pas l’arrêt de la Cour de cassation… |
Sur quel droit aux congés payés porte l’arrêt de la Cour de cassation (4 ou 5 semaines, congés conventionnels) ? | La Cour de cassation apporte des précisions importantes à ce sujet, via la notice, qui accompagne le communiqué de la Cour de cassation et des 3 arrêts du 13 septembre 2023, on peut trouver la précision suivante, confirmant que ces arrêts s’appliquent à l’intégralité des congés payés (5 semaines et congés conventionnels compris) : « C’est pourquoi la chambre sociale a précisé que le salarié malade pouvait prétendre à l’intégralité des droits à congé payé, sans faire de distinction entre les quatre semaines minimales garanties par l’article 7 de la directive 2003/88/CE et les droits issus de dispositions purement nationales, telles que la cinquième semaine légale de congés payés et les congés payés d’origine conventionnelle ». Notice au rapport relative aux arrêts du 13 septembre 2023 Pourvois n°22-17.340 & 22-17.638 – Chambre sociale |
Quelles modifications pourraient intervenir sur le code du travail ? | Selon nos sources, le Ministre du travail a pris bonne note du présent arrêt de la Cour de cassation et devrait s’entretenir prochainement sur les conséquences à en tirer avec le Président de la République et la première ministre. Nombreuses sont les pistes envisageables, concernant une éventuelle future modification du code du travail : · Assimiler les arrêts de travail pour maladie à du temps de travail effectif permettant d’acquérir des congés payés, en limitant le droit à 4 semaines (suivant ainsi l’esprit de la directive européenne du 4 novembre 2003 et son article 7) ; · Assimiler les arrêts de travail pour maladie à du temps de travail effectif permettant d’acquérir des congés payés, en limitant ce nouveau droit aux arrêts de travail ayant donné lieu au maintien partiel ou total de l’employeur (s’inspirant ici de certaines dispositions conventionnelles actuellement en vigueur). |
Si l’entreprise suit l’arrêt de la Cour de cassation, des régularisations sont à prévoir ? | Oui Compte tenu du fait que délai de prescription triennale (3 ans), par ailleurs prévu en matière de paiement de salaires, s’applique ici en matière de paiement des congés payés. Si l’entreprise souhaite suivre l’arrêt de la Cour de cassation, elle devrait alors régulariser les droits aux congés payés des salariés concernés sur 3 ans. |
Si l’entreprise suit l’arrêt de la Cour de cassation, le délai de prescription de 3 ans débute à quel moment ? | Rappels de jurisprudences La Cour de cassation s’est déjà prononcée à ce sujet plusieurs fois, confirmant que :
Cour de cassation du 4 décembre 1996, pourvoi n°93-46408 : « Mais attendu que le point de départ de la prescription en matière d'indemnité de congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris » Cour de cassation du 12 mars 2002, pourvoi n°99-42993 : « Qu'en statuant ainsi, alors que le point de départ de la prescription des congés payés doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; » Cour de cassation du 14 novembre 2013, pourvoi n°12-17409 : « s'agissant de l'indemnité de congés payés, le point de départ du délai de la prescription doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris » Cour de cassation du 7 octobre 2015, pourvoi n°14-12122 : « Qu'en se déterminant ainsi, alors que , s'agissant de l'indemnité de congés payés visée par le moyen, le point de départ du délai de la prescription doit être fixé à l'expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle ces congés auraient pu être pris, la cour d'appel, qui n'a pas précisé quelle était cette date, n'a pas donné de base légale à sa décision » |
A ce niveau, il convient de revenir aux principes fondamentaux, reprenant à l’occasion des dispositions de « droit commun » :
En l’espèce, si l’entreprise décide de suivre l’arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, il conviendra de raisonner comme suit, selon nous « a minima » (l’entreprise pourrait décider de « remonter plus loin en arrière ») :
En appliquant la prescription de 3 ans, les services de paie devraient régulariser les congés payés acquis depuis la période suivante :
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Si l’entreprise suit l’arrêt de la Cour de cassation, la régularisation devrait s’appliquer uniquement aux salariés présents le 13 septembre 2023 dans l’entreprise ? | Non La logique serait d’appliquer cette régularisation à la fois : 1. Pour les salariés encore présents dans l’effectif de l’entreprise le 13 septembre 2023 ; 2. Mais également pour les salariés ayant quitté l’entreprise depuis le 1er juin 2019. Pour le point numéro 2, les employeurs pourraient être tentés de s’abriter derrière « le reçu pour solde de tout compte » à l’époque signé par le salarié lors de la rupture du contrat de travail, mais des incertitudes d’interprétation demeurent à ce sujet… |
Références
Arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2023, pourvoi n° 22-17.340