Contexte de l'affaire
Un salarié est engagé le 14 novembre 2011 en qualité de consultant sûreté, statut cadre, par une société qui assure des prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense à des gouvernements, organisations internationales non gouvernementales ou entreprises privées.
Le salarié, affecté au Yémen, pays connaissant une situation de guerre civile sur fond de querelle religieuse, est licencié pour faute grave le 13 août 2013, son employeur invoquant entre autres motif le fait que le salarié portait une « barbe, taillée d’une manière volontairement très signifiante aux doubles plans religieux et politique qui ne pouvait être comprise que comme une provocation par [le] client et comme susceptible de compromettre la sécurité de son équipe et de ses collègues sur place ».
Mais le salarié décide de saisir la juridiction prud'homale le 26 novembre 2013, estimant avoir été licencié pour un motif discriminatoire en ce qu'il lui était reproché le port de la barbe, de demandes tendant à la nullité de son licenciement, à sa réintégration et au paiement de diverses sommes indemnitaires.
Par arrêt du 27 septembre 2018, la cour d'appel de Versailles, donne raison au salarié.
Cet arrêt ne satisfaisant pas l’employeur, ce dernier décide de se pourvoir en cassation.
La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel et indique à cette occasion notamment (la réponse de la Cour de cassation vous est reproduite en intégralité ci-après) que :
- L’arrêt de la cour d’appel est approuvé d’avoir jugé que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l'employeur considérait comme l'expression par l’intéressé de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, de sorte que le licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail.
Nous remarquerons que la Cour de cassation indique également que :
- L'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L. 1321-5 du code du travail dans sa rédaction applicable, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients ;
- Mais ayant relevé que l'employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité invoqués, la cour d'appel en a déduit à bon droit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que l'interdiction faite au salarié, lors de l'exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu'elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l'injonction faite par l'employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre caractérisaient l'existence d'une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
4. Il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction applicable, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Au termes de l'article L. 1321-3, 2° du code du travail dans sa rédaction applicable, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
5. L'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L. 1321-5 du code du travail dans sa rédaction applicable, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
6. Ayant relevé que l'employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité invoqués, la cour d'appel en a déduit à bon droit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que l'interdiction faite au salarié, lors de l'exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu'elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l'injonction faite par l'employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre caractérisaient l'existence d'une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.
7. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que la notion d'« exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l'article 4, § 1, de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l'employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.
8. Dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que si les demandes d'un client relatives au port d'une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article 4, § 1, de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, l'objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l'entreprise peut justifier en application de ces mêmes dispositions des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l'employeur d'imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.
9. Ayant relevé que si l'employeur considérait la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse, il ne précisait ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés, la cour d'appel a constaté, appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans être tenue de s'expliquer sur ceux qu'elle décidait d'écarter, que l'employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l'exécution de la mission du salarié au Yémen de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié.
10. La cour d'appel en a déduit à bon droit, sans encourir le grief de la quatrième branche du moyen qui manque en fait, que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l'employeur considérait comme l'expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, de sorte que le licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Commentaire de LégiSocial
La présente affaire évoquant le licenciement discriminatoire d’un salarié, nous en profitons pour vous rappeler les notions importantes que tout employeur ou responsable RH doit avoir en tête concernant les situations situées dans le champ de la discrimination.
Le code du travail à ce sujet indique dans son article L 1132-1, modifié en dernier lieu par la loi du 28 février 2017, que nul ne peut être écarté d'une procédure de recrutement en raison de :
- Son origine ;
- Son sexe ;
- Son âge ;
- Ses mœurs ;
- Son orientation sexuelle ;
- Son identité de genre (au genre auquel une personne a le ressenti profond d'appartenir) ;
- Sa situation de famille ;
- Sa grossesse ;
- Ses caractéristiques génétiques ;
- Son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race ;
- Ses opinions politiques ;
- Ses activités syndicales ou mutualistes ;
- Ses convictions religieuses ;
- Son apparence physique ;
- Son nom de famille ;
- Son état de santé ;
- Sa perte d'autonomie ;
- Son handicap,
- Son lieu de résidence (nouveau motif de discrimination introduit par la loi du 21/02/2014) ou de sa domiciliation bancaire (nouveau critère ajouté par la loi n°2017-256 du 28/02/2017) *;
- De la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur (nouveau motif ajouté par la loi du 24 juin 2016) ** ;
- De la capacité du salarié « à s'exprimer dans une langue autre que le français » ;
- De son exercice d'un mandat électif (modification apportée par la loi n°2020-760 du 22 juin 2020).
* Nous rappelons que l’objectif visé par le présent ajout est de mettre fin aux difficultés que rencontrent les ultramarins présents en « métropole » du fait de leur domiciliation bancaire en « outre-mer ».
Article L1132-1
Modifié par LOI n°2020-760 du 22 juin 2020 - art. 15
Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.