Une convention forfait jours illicite ouvre droit au paiement d’heures supplémentaires

Jurisprudence
Paie 35 heures

Un salarié qui a été soumis à tort à un forfait annuel en jours, peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l'existence.

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Contexte de l'affaire

Un salarié est engagé à compter du 15 avril 2008, en qualité d'assistant technique puis en dernier lieu de chargé d'études, catégorie cadre de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils dite Syntec du 15 décembre 1987.
Par avenants du 21 mai 2013 et du 6 janvier 2014, les parties ont prévu une convention de forfait annuel en jours.
Le salarié saisit la juridiction prud'homale d'une contestation de son licenciement intervenu le 7 mars 2016 et de demandes de rappel d'heures supplémentaires.

La cour d'appel de Reims, à l’occasion de son arrêt du 12 décembre 2018, déboute le salarié de sa demande, compte tenu du fait qu’il n’était pas démontré « que la rémunération versée, largement supérieure au minimum conventionnel, n'a pas eu pour effet de payer ce faible solde d'heures, en ce compris la majoration, compte tenu du taux horaire pratiqué par l'entreprise pour les mêmes fonctions ».

Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis, cassant et annulant l’arrêt de la cour d’appel, selon les motifs suivants : 

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel, rejetant le pourvoi formé par les salariés, confirmant à cette occasion que :

  • Un salarié qui a été soumis à tort à un forfait annuel en jours ;
  • Peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l'existence ;
  • Et le versement d'un salaire supérieur au minimum conventionnel ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires.

Extrait de l’arrêt :


Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3121-22 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article L. 3171-4 du même code :

  1. Selon le premier de ces textes, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée par l'article L. 3121-10, ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %.
  2. Selon le second, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
  3. Il résulte de ces textes que le salarié qui a été soumis à tort à un forfait annuel en jours peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l'existence et le nombre conformément aux dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail et que le versement d'un salaire supérieur au minimum conventionnel ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires.
  4. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'heures supplémentaires résultant de la nullité de la convention de forfait en jours, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré que la rémunération versée, largement supérieure au minimum conventionnel, n'a pas eu pour effet de payer ce faible solde d'heures, en ce compris la majoration, compte tenu du taux horaire pratiqué par l'entreprise pour les mêmes fonctions.
  5. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. C... de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt rendu le 12 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Cour de cassation du , pourvoi n°19-15173

Commentaire de LégiSocial

La présente affaire est pour nous l’occasion de rappeler quelques principes majeurs des conventions de forfait annuels en jours, selon les dispositions issues de la loi travail.

Une forfaitisation du temps de travail

Les articles L 3121-53 à L 3121-55 confirment les points suivants :

  • La durée du travail peut être forfaitisée en heures ou en jours ;
  • Le forfait en heures est hebdomadaire, mensuel ou annuel ;
  • Le forfait en jours est annuel ;
  • La forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit.

Article L3121-53 

Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

La durée du travail peut être forfaitisée en heures ou en jours dans les conditions prévues aux sous-sections 2 et 3 de la présente section.

Article L3121-54 

Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

Le forfait en heures est hebdomadaire, mensuel ou annuel. Le forfait en jours est annuel.

Article L3121-55

Créé par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

La forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit.

La mise en place

Quelle que soit la nature de la convention de forfait, heures ou jours, le nouvel article L 3121-63 inséré dans le code du travail dans le cadre du champ de la négociation collective confirme que la mise en place d’une convention de forfait est réalisé par :

  • Un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ;
  • Ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. 

Article L3121-63 

Créé par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

Les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Les 5 clauses obligatoires de l’accord

L’article L 3121-64, créé par la loi travail, fixe désormais 5 clauses obligatoires (au lieu de 3 avant la loi) comme suit :

  1. Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait ;
  2. La période de référence du forfait, qui peut être l’année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;
  3. Le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de 218 jours s’agissant du forfait en jours ;
  4. Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;
  5. Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait.

Article L3121-64

Modifié par Ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 - art. 1

I.-L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année détermine :

1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ;

2° La période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;

3° Le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours s'agissant du forfait en jours ;

4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;

5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait.

II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;

3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-17.

L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions du titre III du présent livre relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles du titre IV relatives aux congés payés.

Salariés concernés

Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l'année :

  • Les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;
  • Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

Charge de travail

Dans le cadre d’une convention de forfait annuel en jours, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.