La rupture anticipée non autorisée d’un CDD par l’employeur peut ouvrir droit à réparation du préjudice subi

Jurisprudence
Paie CDD

La rupture anticipée, non autorisée, du contrat CDD par l'employeur, ouvre droit au paiement de dommages-intérêts à hauteur de la rémunération dont est privé le salarié, mais également à de possibles sommes au titre du préjudice subi.

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Contexte de l'affaire

Un salarié signe avec une société de l’industrie musicale, le 19 septembre 2014, un contrat à durée déterminée d'une durée minimale de 42 mois, suivant lequel ce dernier concédait à la société l'exclusivité de la fixation de ses interprétations, de la reproduction sur tous supports, par tout procédé de la communication au public de ses enregistrements audio et, ou audiovisuels d'œuvres musicales pour le monde entier en vue de la réalisation de 3 albums phonographiques, moyennant le versement d'un salaire par enregistrement, de redevances assises sur le produit de la vente des enregistrements et d'avances sur les redevances.

Après la réalisation et la commercialisation du premier album, la société met fin au contrat de façon anticipée le 25 septembre 2015.

Le salarié saisit la juridiction prud'homale pour qu'il soit jugé que le contrat avait été abusivement rompu avant le terme fixé et que lui soient allouées des sommes en conséquence. 

La cour d'appel de Paris, par arrêt du 29 mai 2019, donne partiellement raison au salarié en :

  1. Lui attribuant des dommages et intérêts à hauteur des rémunérations qu’il aurait perçues si son contrat avait été honoré ;
  2. Mais en le déboutant de sa demande de réparation d’un préjudice subi.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel sur le second point, indiquant à cette occasion que : 

En application de l’article L. 1243-3 du code du travail :

  • La rupture anticipée du contrat CDD qui intervient à l'initiative de l'employeur ;
  • En dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail ;
  • Ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de précarité ;
  • Ce qui ne prive pas le salarié de réclamer en outre la réparation d'un préjudice causé.

Extrait de l’arrêt :

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1243-3 du code du travail :

  1. Selon ce texte, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.
  2. Pour débouter le salarié de ses demandes en indemnisation d'une perte de chance, l'arrêt, après avoir dit que le contrat avait été rompu de manière illicite avant le terme fixé, retient que le contrat dit d'exclusivité conclu entre M. [S] et la société est un contrat mixte, qui prévoit, d'une part, le versement de salaires et d'avances forfaitaires assimilées à des salaires, d'autre part, la cession au producteur des différents droits moraux de l'artiste, en contrepartie de redevances qui n'ont pas la nature de salaires.
  1. Il ajoute que le préjudice subi par le salarié en raison de la rupture anticipée par la société agissant en qualité d'employeur du contrat les liant est, pour ce qui concerne cette relation contractuelle salariée, un préjudice spécifique dont la réparation est prévue par l'article L. 1243-4 du code du travail, distinct de celui causé par la partie du contrat relative à la cession de ses droits moraux au producteur.
  2. Il en déduit qu'en application de cette disposition ne peut être incluse, dans l'appréciation du préjudice du salarié, la perte économique née de la privation des redevances à percevoir sur les albums que le producteur a décidé de ne pas produire alors qu'il s'y était engagé de manière ferme, et que ce préjudice ne peut être constitué que des rémunérations à caractère salarial qui auraient été versées au salarié jusqu'à l'échéance du contrat.
  3. A ce titre il estime que n'entre pas dans ce périmètre selon l'article L. 7121-8 du code du travail, la rémunération due à l'artiste à l'occasion de la vente ou de l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation, exécution ou présentation par l'employeur ou tout autre utilisateur dès que la présence physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter cet enregistrement qui est fonction du produit de la vente ou de l'exploitation de cet enregistrement.
  4. Il en conclut qu'il y a lieu d'exclure de l'indemnisation demandée sur le fondement de l'article L. 1243-4 du code du travail les demandes se rapportant aux droits d'interprètes relatifs à l'exploitation des albums en ce que ces droits ne sont pas des salaires et ne peuvent y être assimilés en application de l'article L. 7121-8 du même code puisque la présence physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter cet enregistrement et qu'il en est de même des cachets consécutifs à des représentations publiques et scéniques contribuant au développement de sa promotion.
  5. En statuant ainsi, alors que l'article L. 1243-4 du code du travail, qui fixe seulement le montant minimum des dommages-intérêts dû au salarié, dont le contrat à durée déterminée a été rompu avant son terme de manière illicite, à un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, ne limite pas le préjudice dont il peut réclamer réparation aux seules rémunérations dont il aurait été privé, en sorte que ce dernier peut réclamer la réparation d'un préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à la vente et à l'exploitation des albums non produits dès lors qu'il rapporte la preuve du caractère direct et certain de ce préjudice et que celui-ci constitue une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention, la cour d'appel, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [S] de ses demandes en indemnisation d'une perte de chance, l'arrêt rendu le 29 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Cour de cassation du , pourvoi n°19-21311

Commentaire de LégiSocial

La présente affaire abordant la rupture anticipée d’un contrat CDD pour des motifs non autorisés, rappelons brièvement les conséquences…. 

Rupture à l’initiative du salarié

Si le salarié est à l’origine de la rupture injustifiée, la rupture ouvre droit pour l’employeur à des dommages intérêts correspondant au préjudice subi comme l’indique l’article L 1243-3 du Code du travail.

Article L1243-3

La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative du salarié en dehors des cas prévus aux articles L. 1243-1 et L. 1243-2 ouvre droit pour l'employeur à des dommages et intérêts correspondant au préjudice subi.

Rupture à l’initiative de l’employeur

Article L1243-4

Modifié par LOI n°2011-525 du 17 mai 2011 - art. 49

La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.

Toutefois, lorsque le contrat de travail est rompu avant l'échéance du terme en raison d'un sinistre relevant d'un cas de force majeure, le salarié a également droit à une indemnité compensatrice dont le montant est égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat. Cette indemnité est à la charge de l'employeur.

Si le contrat est rompu par l’employeur de façon injustifiée, il est important de connaître les sanctions qui peuvent lui être imposées.

Avant le début du contrat 

Si le contrat est rompu avant même le début de son exécution, (possible si une lettre d’engagement ou une promesse d’embauche ont été rédigées) :

L’employeur se trouvera dans l’obligation de verser des dommages intérêts (montant minimum : salaires de la totalité du contrat) ainsi que l’indemnité de précarité calculée sur la totalité du contrat. 

Quand le contrat est commencé

Si le contrat est débuté, l’employeur devra verser

  • des dommages intérêts (montant minimum : salaires de la totalité du contrat) ;
  • plus l’indemnité de précarité calculée sur la totalité du contrat ;
  • plus une indemnité compensatrice de congés payés (uniquement sur la période déjà travaillée).

Quand le contrat est signé, même s’il n’est pas commencé

L’affaire concerne une salariée qui signe un contrat CDD du 18/02 au 17/03/2008.

Elle est recrutée en qualité d’enquêteuse.

À l’issue d’une journée de formation qui se déroule le 13/02/2008, l’employeur décide oralement de ne pas donner suite au contrat de travail.

La salariée saisit le Conseil de prud’hommes afin d’obtenir le paiement de dommages et intérêts pour rupture abusive.

Dans un premier temps, le Conseil de prud’hommes déboute la salariée de sa demande, estimant que lors de la journée de formation du 13/02/2008, le contrat de travail n’avait pas débuté.

Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes, le jugement retient que la journée de formation du 13 février 2008 ne s'étant pas révélée concluante Mme X... ne peut prétendre au paiement de son salaire et des indemnités pour un contrat à durée déterminée qui n'a pas commencé à recevoir exécution ;

L’affaire se poursuit devant la Cour de cassation.

Dans son verdict du 30/11/2011, la Cour de cassation donne raison à la salariée et considère que le contrat de travail a été signé entre les deux parties, et que la rupture par l’employeur devait s’analyser comme abusive.

Les juges cassent et annulent le jugement du Conseil de prud’hommes et renvoient donc les deux parties devant le Conseil de prud’hommes de Versailles.

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 27 novembre 2008, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Saint-Germain-en-Laye ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Versailles ;

Point important dans cette affaire, les juges rappellent qu’en cas de rupture abusive du contrat CDD, ce qu’il considère en l’espèce, la salariée a droit à l’intégralité des salaires correspondant au contrat de travail CDD.

Attendu, cependant, que dès lors qu'un contrat de travail à durée déterminée a été conclu, sa rupture à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas mentionnés à l'article L. 1243-1 du code du travail, ouvre droit pour la salariée à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, peu important que l'exécution du contrat ait ou non commencé ;

Cour de cassation 30/11/2011 Pourvoi 10-11639