Contexte de l'affaire
Une salariée est engagée par une association pour la formation professionnelle continue, suivant plusieurs contrats à durée déterminée d'usage, du 9 octobre 2000 au 16 juin 2016, en qualité de formatrice.
La salariée saisit la juridiction prud'homale de demandes en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et en paiement de diverses indemnités consécutives à la requalification et à la rupture du contrat.
Dans un premier temps la cour d'appel de Paris, par arrêt du 26 mai 2020, donne raison à la salariée, mais l’employeur décide de se pourvoir en cassation.
La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel, indiquant à cette occasion que :
Ayant été constaté que :
- La salariée avait été engagée par 644 contrats CDD en tant que formateur, exercés pendant 16 années d'activité liée à la formation continue des salariés du secteur du logement social ;
- Les missions confiées à l'intéressée étaient effectuées avec régularité et sur un rythme non aléatoire correspondant aux besoins de ces organismes ;
- Il était retenu celle-ci avait eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'employeur ;
- De sorte que le contrat devait être requalifié en contrat CDI.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
5. S'il résulte de la combinaison des articles L. 1242-1, L. 1242-2 et D. 1242-1 du code du travail que dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif de travail étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, qui a pour objet, en ses clauses 1 et 5, de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l'utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.
6. Ayant constaté que la salariée avait été engagée par six cent quarante-quatre contrats de formateur exercés pendant seize années d'activité liée à la formation continue des salariés du secteur du logement social, que les missions confiées à l'intéressée étaient effectuées avec régularité et sur un rythme non aléatoire correspondant aux besoins de ces organismes, et retenu que l'emploi de celle-ci avait eu pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'employeur, la cour d'appel a pu en déduire que la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée était encourue.
7. Le moyen, qui est inopérant en ce qu'il critique des motifs surabondants en ses deux premières et deux dernières branches, n'est donc pas fondé.
Commentaire de LégiSocial
Plusieurs situations ne permettent pas l’engagement d’un salarié sous contrat CDD, l’affaire présente est pour nous l’occasion de les rappeler…
Recours interdit 1 : remplacement salariés grévistes
En aucun cas, l’employeur ne peut recourir à un salarié dans le cadre d’un CDD pour pallier la gêne qu’occasionnerait la grève de salariés au sein de l’entreprise.
Article L1242-6
Outre les cas prévus à l'article L. 1242-5, il est interdit de conclure un contrat de travail à durée déterminée :
1° Pour remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu à la suite d'un conflit collectif de travail ; (…)
Recours interdit 2 : effectuer travaux dangereux
Sont concernés les travaux dangereux pour lesquels une surveillance médicale spéciale est obligatoire.
Article L1242-6
Outre les cas prévus à l'article L. 1242-5, il est interdit de conclure un contrat de travail à durée déterminée : (…)
2° Pour effectuer certains travaux particulièrement dangereux figurant sur une liste établie par voie réglementaire, dans les conditions prévues à l'article L. 4154-1.
L'autorité administrative peut exceptionnellement autoriser une dérogation à cette interdiction dans des conditions déterminées par voie réglementaire.
La liste des travaux dangereux est fixée par un arrêté du 11/07/1977.
Arrêté du 11 juillet 1977 FIXANT LA LISTE DES TRAVAUX NECESSITANT UNE SURVEILLANCE MEDICALE SPECIALE.
Article 1
Pour les travaux énumérés au présent article, le ou les médecins chargés de la surveillance médicale du personnel effectuant d'une façon habituelle lesdits travaux consacreront à cette surveillance un temps calculé sur la base d'une heure [*nombre*] par mois pour dix salariés :
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Les travaux comportant la préparation, l'emploi, la manipulation ou l'exposition aux agents suivants : Fluor et ses composés ; Chlore ; Brome ; Iode ; Phosphore et composés, notamment les esters phosphoriques, pyrophosphoriques, thiophosphoriques, ainsi que les autres composés organiques du phosphore ; Arsenic et ses composés ; Sulfure de carbone ; Oxychlorure de carbone ; Acide chromique, chromates, bichromates alcalins, à l'exception de leurs solutions aqueuses diluées ; Bioxyde de manganèse ; Plomb et ses composés ; Mercure et ses composés ; Glucine et ses sels ; Benzène et homologues ; Phénols et naphtols ; Dérivés halogénés, nitrés et aminés des hydrocarbures et de leurs dérivés ; Brais, goudrons et huiles minérales ; Rayons X et substances radioactives.
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Les travaux suivants : Application des peintures et vernis par pulvérisation ; Travaux effectués dans l'air comprimé ; Emploi outils pneumatiques à main, transmettant des vibrations ; Travaux effectués dans les égouts ; Travaux effectués dans les abattoirs, travaux d'équarrissage ; Manipulation, chargement, déchargement, transport soit de peaux brutes, crins, soies et porcs, laine, os ou autres dépouilles animales, soit de sacs, enveloppes ou récipients contenant ou ayant contenu de telles dépouilles, à l'exclusion des os dégélatinés ou dégraissés et des déchets de tannerie chaulés ; Collecte et traitement des ordures ; Travaux exposant à de hautes températures, à des poussières ou émanations toxiques et concernant le traitement des minerais, la production des métaux et les verreries ; Travaux effectués dans les chambres frigorifiques ; Travaux exposant aux émanations d'oxyde de carbone dans les usines à gaz, la conduite des gazogènes, la fabrication synthétique de l'essence ou du méthanol ; Travaux exposant aux poussières de silice, d'amiante et d'ardoise (à l'exclusion des mines, minières et carrières) ; Travaux de polymérisation du chlorure de vinyle ; Travaux exposant au cadmium et composés ; Travaux exposant aux poussières de fer ; Travaux exposant aux substances hormonales ; Travaux exposant aux poussières de métaux durs (tantale, titane, tungstène et vanadium) ; Travaux exposant aux poussières d'antimoine ; Travaux exposant aux poussières de bois ; Travaux en équipes alternantes effectués de nuit en tout ou en partie ; Travaux d'opérateur sur standard téléphonique, sur machines mécanographiques, sur perforatrices, sur terminal à écran ou visionneuse en montage électronique ; Travaux de préparation, de conditionnement, de conservation et de distribution de denrées alimentaires ; Travaux exposant à un niveau de bruit supérieur à 85 décibels.
Recours interdit 3 : après licenciement économique
Explications
Est concerné le recours à un contrat CDD afin de répondre à un accroissement temporaire d’activité après un licenciement économique, pendant une période de 6 mois à compter de la notification du licenciement en question.
Toutefois, le code du travail (article L 1242-5) prévoit une dérogation dans 2 cas précis, permettant ainsi à l’employeur de recruter au moyen d’un CDD après un licenciement économique :
- Recruter en CDD, pour un accroissement temporaire d’activité, avec un CDD d’une durée inférieure à 3 mois (renouvellement compris),
- Recruter un salarié en CDD pour une commande destinée à l’exportation.
Pour ces deux cas précis, l’employeur doit obligatoirement veiller à informer et consulter le CE (Comité d’Entreprise) ou par défauts les DP (Délégués du Personnel).
Article L1242-5
Modifié par Ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 - art. 4
Dans les six mois suivant un licenciement pour motif économique, il est interdit de conclure un contrat de travail à durée déterminée au titre d'un accroissement temporaire de l'activité, y compris pour l'exécution d'une tâche occasionnelle, précisément définie et non durable, ne relevant pas de l'activité normale de l'entreprise. Cette interdiction porte sur les postes concernés par le licenciement dans l'établissement. L'interdiction ne s'applique pas : 1° Lorsque la durée du contrat de travail n'est pas susceptible de renouvellement et n'excède pas trois mois ; 2° Lorsque le contrat est lié à la survenance dans l'entreprise, qu'il s'agisse de celle de l'entrepreneur principal ou de celle d'un sous-traitant, d'une commande exceptionnelle à l'exportation dont l'importance nécessite la mise en oeuvre de moyens quantitativement ou qualitativement exorbitants de ceux que l'entreprise utilise ordinairement. Cette possibilité de recrutement est subordonnée à l'information et à la consultation préalables du comité social et économique, s'il existe. Les dérogations prévues aux 1° et 2° n'exonèrent pas l'employeur de respecter la priorité de réembauche prévue à l'article L. 1233-45.
Recours interdit 4 : pourvoir emploi durable
Explications
Le contrat CDD ne doit jamais pourvoir à un emploi durable, c’est d’ailleurs souvent le cas de requalification fréquent des CDD en cascade que l’on retrouve régulièrement dans les avis de jurisprudence.