Contexte de l'affaire
Un salarié est engagé le 17 juillet 1998 en qualité d'ingénieur de réalisation.
Par avenant en date du 21 mars 2012, le salarié est promu au poste de chargé de projet.
A cette occasion, il a été soumis à une convention de forfait en heures à hauteur de 38 heures 30 par semaine prévue par l'article 3.2.2 de l'accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail du 30 juin 2008 lequel renvoie aux 3 modalités d'organisation du travail prévues par les dispositions de l'accord collectif national du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail attaché à la convention collective des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec.
Le salarié saisit la juridiction prud'homale afin que la convention de forfait en heures lui soit déclarée inopposable et que lui soit alloué un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents.
Par arrêt du 17 novembre 2020, la cour d'appel de Riom condamne l’employeur au paiement d’heures supplémentaires, retenant à cette occasion que « l'accord d'entreprise du 30 juin 2008 apparaît moins favorable aux salariés que l'accord de niveau supérieur ».
Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis, elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, indiquant à cette occasion que :
- Une cour d’appel ne saurait condamner un employeur au paiement d’heures supplémentaires d’un salarié soumis à une convention de forfait en heures (institué par accord d’entreprise) ;
- Sans préciser en quoi la définition par l'accord d'entreprise des conditions d'éligibilité au forfait en heures, dérogeant aux règles de calcul de droit commun de la durée du travail, et de leur maintien dans le temps était globalement moins favorable qu'un décompte de la durée du travail selon les règles de droit commun.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 212-15-3 I devenu les articles L. 3121-38 et L. 3121-40 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, l'article 3 du chapitre 2 de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail, étendu, attaché à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 et l'article 3.2.2 de l'accord sur la réduction et l'aménagement du temps de travail (…) du 30 juin 2008 :
8. Selon l'article L. 215-15-3 I devenu l'article L. 3121-40 du code du travail, la conclusion de conventions de forfait en heures sur l'année est prévue par une convention ou un accord collectif de travail étendu ou par une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement. Cette convention prévoit les catégories de cadres susceptibles de bénéficier de ces conventions de forfait ainsi que les modalités et les caractéristiques principales des conventions de forfait susceptibles d'êtres conclues.
9. L'article 3 du chapitre 2 de l'accord du 22 juin 1999 intitulé réalisation de missions dispose que ces modalités s'appliquent aux salariés non concernés par les modalités standard ou les réalisations de missions avec autonomie complète. Tous les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale. De plus, en fonction de l'activité de l'entreprise, un accord d'entreprise doit préciser les conditions dans lesquelles d'autres catégories de personnel peuvent disposer de ces modalités de gestion.
10. Dans un arrêt rendu le 26 mai 2004 (Soc., 26 mai 2004 n° 02-10.723, Bull V n° 144), la Cour de cassation a dit que s'analysent en une convention de forfait en heures assortie de la garantie d'un nombre maximal annuel de jours de travail les dispositions du chapitre 2, article 3, de l'accord qui prévoient, d'une part, une convention horaire sur la base hebdomadaire de trente-huit heures trente avec une rémunération forfaitaire au moins égale à 115 % du salaire minimum conventionnel, d'autre part, un nombre maximum de jours travaillés dans l'année.
11. L'accord (…) sur la réduction et l'aménagement du temps de travail daté du 30 juin 2008, après avoir rappelé en son article 3.2 que les parties signataires reconnaissent l'existence au sein de l'UES de trois modalités d'organisation du temps de travail qui correspondent aux définitions de l'accord national du 22 juin 1999, dispose en son article 3.2.2 que la modalité réalisation de missions s'applique aux salariés non concernés par la modalité standard ou la modalité en autonomie complète. Plus précisément, elle concerne les ingénieurs et cadres relevant a minima de la position 2.2 et du coefficient 130 et au plus du coefficient 170, soit la position 3.1 de la convention collective nationale Syntec, et dont la rémunération au moment de leur affectation dans la modalité est au moins égale au PASS.
12. Pour condamner l'employeur au paiement d'heures supplémentaires, l'arrêt, après avoir rappelé que, pour l'appréciation du caractère plus ou moins favorable entre deux accords collectifs, il convient de procéder à une comparaison des avantages ayant le même objet ou la même cause eu égard à l'ensemble des intéressés, et non eu égard à l'un d'entre eux en particulier, retient que l'accord collectif de réduction du temps de travail annexé à la convention collective Syntec, à la différence de l'accord collectif d'entreprise, ne précise pas que la condition de rémunération au moins égale au PASS ne s'applique que pour déterminer au départ la catégorie dont relève le salarié. Il estime que l'accord d'entreprise ajoute une condition restrictive, tenant à l'applicabilité dans le temps de ce critère de rémunération plancher, qui n'est pas expressément posée par l'accord de branche. Il ajoute que, plus généralement, l'intégration des salariés à la modalité RM emporte des conséquences dérogatoires au droit commun de la durée légale du travail en ce qu'elle autorise la conclusion d'une convention de forfait hebdomadaire et que l'intérêt du salarié commande de faire une stricte application des possibilités de dérogation à la durée légale du travail, en sorte que favoriser le maintien de la convention de forfait en dépit de la constatation, après l'admission du salarié dans la catégorie RM, de l'infériorité de sa rémunération par rapport au PASS serait contraire à l'intérêt du salarié. Il en déduit que, contrairement à ce que prétend l'employeur, ne serait-ce qu'en ajoutant au texte de l'accord de branche une condition restrictive qui n'y figure pas, l'accord d'entreprise du 30 juin 2008 apparaît moins favorable aux salariés que l'accord de niveau supérieur, ce dont il résulte que l'application de sa clause 3.2.2 susvisée, qui précise que la condition tenant à une rémunération au moins équivalente au PASS s'apprécie au moment de l'affectation dans la modalité RM, doit être écartée.
13. En se déterminant ainsi, sans préciser en quoi la définition par l'accord d'entreprise des conditions d'éligibilité au forfait en heures, dérogeant aux règles de calcul de droit commun de la durée du travail, et de leur maintien dans le temps était globalement moins favorable qu'un décompte de la durée du travail selon les règles de droit commun, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation sur le chef de dispositif critiqué par le moyen, emporte, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif qui déclarent la convention de forfait inopposable au salarié, condamnent l'employeur à remettre un bulletin de salaire conforme à la condamnation, déboutent l'employeur de sa demande de remboursement des jours de réduction du temps de travail, déboutent le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour le préjudice subi, ainsi qu'à supporter la charge des entiers dépens, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare inopposable à M. [Y] la convention de forfait hebdomadaire prévue par l'avenant à son contrat de travail, condamne la société (…) à verser à M. [Y] la somme de 174,30 euros au titre d'un rappel d'heures supplémentaires outre congés payés afférents ainsi qu'à lui remettre un bulletin de salaire conforme, déboute M. [Y] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice subi, déboute la société CGI France de sa demande en remboursement des jours de réduction du temps de travail, condamne M. [Y] à supporter la charge des entiers dépens, l'arrêt rendu le 17 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Commentaire de LégiSocial
La Cour de cassation aborde dans la présente affaire les conventions de forfait en heures, l’occasion pour nous de rappeler quelques dispositions légales, modifiées notamment par la loi travail.
Les informations qui vous ici transmises constituent un extrait de notre fiche pratique publiée sur notre site concernant cette thématique.
Lire aussi : Les conventions de forfait en heures en 2024 Fiche pratique
Les conventions de forfait en heures ont connu de nombreuses modifications importantes issues de la loi travail. Découvrez leur régime en vigueur en 2024.
Mise en place
Quelle que soit la nature de la convention de forfait, heures ou jours sur l’année, l’article L 3121-63 confirme que la mise en place d’une convention de forfait est réalisée par :
- Un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ;
- Ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.
Article L3121-63
Créé par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)
Les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.
5 clauses obligatoires
L’article L 3121-64 fixe désormais 5 clauses obligatoires (au lieu de 3 avant la loi travail) comme suit :
- Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait ;
- La période de référence du forfait, qui peut être l’année civile ou toute autre période de 12 mois consécutifs ;
- Le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait (dans la limite de 218 jours s’agissant du forfait en jours) ;
- Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;
- Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait.
Article L3121-64
Modifié par Ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 - art. 1
I.-L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année détermine :
1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ;
2° La période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;
3° Le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours s'agissant du forfait en jours ;
4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;
5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait.
II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :
1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;
3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-17.
L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions du titre III du présent livre relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles du titre IV relatives aux congés payés.
Salariés concernés
Les nouveaux articles L 3121-56 et L 3121-57 créés par la loi travail confirment les points suivants :
Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en heures sur l'année :
- Les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;
- Les salariés qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps.
La rémunération du salarié ayant conclu une convention individuelle de forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l'entreprise pour le nombre d'heures correspondant à son forfait, augmentée, le cas échéant, si le forfait inclut des heures supplémentaires, des majorations prévues en conséquence.
La conclusion d’une convention individuelle de forfait en heures est ouverte à tous les salariés lorsqu’elle est sous une forme :
- Hebdomadaire ;
- Ou mensuelle.
Article L3121-56
Créé par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)
Tout salarié peut conclure une convention individuelle de forfait en heures sur la semaine ou sur le mois.
Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en heures sur l'année, dans la limite du nombre d'heures fixé en application du 3° du I de l'article L. 3121-64 :
1° Les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;
2° Les salariés qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps.
Article L3121-57
Créé par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)
La rémunération du salarié ayant conclu une convention individuelle de forfait en heures est au moins égale à la rémunération minimale applicable dans l'entreprise pour le nombre d'heures correspondant à son forfait, augmentée, le cas échéant, si le forfait inclut des heures supplémentaires, des majorations prévues aux articles L. 3121-28, L. 3121-33 et L. 3121-36.