Contexte de l'affaire
Un salarié est engagé en qualité de directeur, à compter du 15 janvier 1996, par une association.
Il est placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 14 octobre 2014 et a repris ses fonctions, en temps partiel thérapeutique, à compter du 19 mai 2015.
Le 2 avril 2015, l'employeur lui a notifié un avertissement.
Après avoir saisi, les 30 avril et 14 septembre 2015, la juridiction prud'homale de demandes tendant à l'annulation de l'avertissement et la résiliation judiciaire de son contrat de travail, le salarié est licencié pour faute grave, le 30 octobre 2015.
Par arrêt du 10 septembre 2020, la cour d'appel de Grenoble déboute le salarié de sa demande, mais ce dernier décide de se pourvoir en cassation.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt, renvoyant les parties devant la cour d’appel de Chambéry.
Elle indique à cette occasion que :
Un salarié ne saurait être débouté de sa demande de résiliation judiciaire, ayant été constaté que :
- L’employeur ne justifiait pas avoir aménagé le poste du salarié conformément aux préconisations du médecin du travail ;
- Et que l'association ne justifiait pas des suites données à l'alerte dont elle avait été saisie par le salarié en arrêt de travail depuis le 14 octobre 2014 à raison d'un état d'épuisement physique et psychique.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
- Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
- Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
- Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
- Pour rejeter la demande de résiliation judiciaire du salarié, l'arrêt retient que les éléments matériellement établis, à savoir un avertissement injustifié du 2 avril 2015, et la restriction apportée, le 17 juin 2015, à la délégation de pouvoir d'engager des dépenses afférentes à l'activité de l'association, sont insuffisants, pris dans leur ensemble, à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral.
- En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que l'employeur ne justifiait pas avoir aménagé le poste du salarié conformément aux préconisations du médecin du travail, d'autre part, que l'association ne justifiait pas des suites données à l'alerte dont elle avait été saisie par le salarié en arrêt de travail depuis le 14 octobre 2014 à raison d'un état d'épuisement physique et psychique, la cour d'appel, qui n'a pas examiné ces faits ni pris en compte le certificat médical produit afin d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
- Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de l'intégralité de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail, alors « que lorsqu'un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que son employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation était justifiée et, dans la négative seulement, statuer sur le licenciement ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur le premier moyen, relatif à la demande de résiliation judiciaire formulée par le salarié, entraînera l'annulation du chef de dispositif ayant débouté M. [M] de l'intégralité de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
- En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail et de ses demandes indemnitaires et salariales subséquentes, entraîne la cassation du chef de dispositif le déboutant de l'intégralité de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il annule l'avertissement du 2 avril 2015 et condamne l'association (…) à payer à M. [M] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Commentaire de LégiSocial
Il est assez fréquent que la Cour de cassation statue sur la résiliation judiciaire d’un contrat de travail, voici un rappel de quelques arrêts abordés sur notre site à ce sujet :
Thématiques | Références |
Une modification unilatérale du contrat de travail justifie sa résiliation judiciaire | Cour de cassation du 6 février 2019, pourvoi n°17-26562 Lire aussi : Une modification unilatérale du contrat de travail justifie sa résiliation judiciaire JurisprudenceModifier de façon unilatérale la rémunération d’un salarié, sans avoir obtenu au préalable son accord, peut avoir des conséquences fâcheuses comme le rappelle le présent arrêt de la Cour de cassation. |
Le licenciement est sans cause réelle et sérieuse lorsqu’il est motivé par une demande de résiliation judiciaire | Cour de cassation du 13 février 2019, pourvoi n° 17-23720 Lire aussi : Le licenciement est sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il est motivé par une demande de résiliation judiciaire JurisprudenceLa Cour de cassation rappelle qu’un salarié ne peut se voir infliger la rupture de son contrat de travail en raison d’une précédente demande de résiliation judiciaire. |
Le non-respect du principe « à travail égal, salaire égal » peut justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail | Cour de cassation du 2 juin 2021, pourvoi n° 19-20449 Lire aussi : Le non-respect du principe « à travail égal, salaire égal » peut justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail JurisprudenceConstatant des manquements de l'employeur dans le paiement de la prime exceptionnelle, et dans le respect, du principe « à travail égal, salaire égal », ceux-ci justifiaient la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur. |
Maintenir un salarié inapte en inactivité forcée justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail | Cour de cassation du 4 novembre 2021, pourvoi n° 19-18908 Lire aussi : Maintenir un salarié inapte en inactivité forcée justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail JurisprudenceLe salarié inapte et en attente de reclassement ou de licenciement, maintenu dans l’entreprise par l’employeur dans une situation d'inactivité forcée, ouvre droit à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur. |