La seule fixation d’une rémunération forfaitaire ne caractérise pas une convention de forfait

Jurisprudence
Paie Convention forfait

La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait.

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Contexte de l'affaire

Préambule :

La présente affaire présente un contexte identique, il s’agit de la même société et du même salarié, qu’une autre affaire abordée sur notre site et intitulée « Une période d’astreinte où le salarié ne peut vaquer à des occupations personnelles est du travail effectif ». 

Un salarié est engagé à compter du 12 décembre 1988 comme une société qui exerce une activité de dépannage de véhicules à la demande des particuliers, des professionnels ainsi que des compagnies d'assurance et d'assistance et assure une permanence pour intervenir sur une portion délimitée d'autoroute.
Les parties conviennent d'une rémunération mensuelle brute, et du paiement des heures supplémentaires et repos compensateurs au moyen d'une commission de 10 % du chiffre d'affaires du dépannage poids-lourds et d'une commission de 20 % du chiffre d'affaires du dépannage véhicules légers, pour les interventions réalisées en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise.

Le 10 décembre 2015, le salarié saisit la juridiction prud'homale de demandes en résiliation judiciaire du contrat de travail et en paiement de diverses sommes, estimant que la rémunération forfaitaire dont il bénéficie de saurait caractériser une convention de forfait. 

Finalement, le salarié est licencié le 27 juin 2017.

Dans un premier temps, la cour d’appel d'Amiens, par arrêt du 27 janvier 2021, déboute le salarié de sa demande.

Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis, elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, notamment sur ce point, et renvoie les parties devant la cour d'appel de Douai. 

Le juges de la cour d’appel indiquent à cette occasion que :

  • La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération ;
  • Ne permet pas de caractériser une convention de forfait.

Extrait de l’arrêt :

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 212-5 du code du travail, alors en vigueur, et l'article 1.09 d) de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile du cycle, du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981 :

  1. Selon le second de ces textes, lorsque des dépassements fréquents ou répétitifs de l'horaire collectif sont prévisibles, le paiement des heures supplémentaires peut être inclus dans la rémunération mensuelle sous la forme d'un forfait. Le nombre d'heures sur lequel est calculé le forfait doit être déterminé en respectant la limite du nombre d'heures prévu par le contingent annuel d'heures supplémentaires visé à l'article 1.09 bis ou, exceptionnellement, d'un nombre supérieur autorisé par l'inspecteur du travail. L'inclusion du paiement des heures supplémentaires dans la rémunération forfaitaire ne se présume pas. Elle doit résulter d'un accord de volonté non équivoque des parties, d'une disposition expresse du contrat de travail ou d'un avenant à celui-ci. La rémunération forfaitaire convenue doit être au moins égale au minimum mensuel garanti applicable au salarié, complété par une majoration pour les heures supplémentaires comprises dans le forfait, majoration calculée comme indiqué à l'annexe " Salaires minima ". Ce forfait s'accompagne d'un mode de contrôle de la durée réelle du travail, qui doit être conforme aux prescriptions de l'article 1.09 a.
  2. La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait.
  3. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que le salarié a, dans une lettre du 1er mars 2000, donné son accord pour que les heures supplémentaires soient payées sous forme d'une commission sur le chiffre d'affaires hors taxes réalisé de nuit. L'arrêt ajoute que les heures supplémentaires effectuées par le salarié et les repos compensateurs lors du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires de 220 heures ont été rémunérés sous forme d'une commission de 10 % du chiffre d'affaires du dépannage poids-lourds et d'une commission de 20 % du chiffre d'affaires du dépannage véhicules légers réalisés en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise. L'arrêt en déduit que le forfait est licite.
  4. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que le salarié avait effectué 737,47 heures supplémentaires en 2013, 873,31 en 2014 et 762,46 en 2015 hors astreinte et qu'il résultait de ses constatations que le forfait convenu entre les parties ne précisait ni le nombre d'heures incluses dans le forfait ni la rémunération mensuelle correspondante, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Cour de cassation du , pourvoi n°21-14178

Commentaire de LégiSocial

La présente affaire est pour nous l’occasion de faire quelques rappels sur les conventions de forfait, suite aux importantes modifications apportées notamment par la loi travail. 

Les informations ci-après sont extraites de notre fiche pratique, disponible sur notre site, exclusivement consacrée à cette thématique.  

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Une forfaitisation du temps de travail

Depuis la loi travail, les articles L 3121-53 à L 3121-55 proposent une nouvelle présentation des conventions de forfait.

C’est ainsi que les articles confirment les points suivants :

  • La durée du travail peut être forfaitisée en heures ou en jours ;
  • Le forfait en heures est hebdomadaire, mensuel ou annuel ;
  • Le forfait en jours est annuel ;
  • La forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit.

Article L3121-53 

Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

La durée du travail peut être forfaitisée en heures ou en jours dans les conditions prévues aux sous-sections 2 et 3 de la présente section.

Article L3121-54 

Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

Le forfait en heures est hebdomadaire, mensuel ou annuel. Le forfait en jours est annuel.

Article L3121-55

Créé par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

La forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit. 

Mise en place

Quelle que soit la nature de la convention de forfait, heures ou jours sur l’année, l’article L 3121-63 confirme que la mise en place d’une convention de forfait est réalisée par :

  • Un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ;
  • Ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. 

Article L3121-63 

Créé par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

Les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

5 clauses obligatoires

L’article L 3121-64 fixe désormais 5 clauses obligatoires (au lieu de 3 avant la loi travail) comme suit :

  1. Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait ;
  2. La période de référence du forfait, qui peut être l’année civile ou toute autre période de 12 mois consécutifs ;
  3. Le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait (dans la limite de 218 jours s’agissant du forfait en jours) ;
  4. Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;
  5. Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait. 

Article L3121-64

Modifié par Ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 - art. 1

I.-L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année détermine :

1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ;

2° La période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;

3° Le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours s'agissant du forfait en jours ;

4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;

5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait.

II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;

3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-17.

L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions du titre III du présent livre relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles du titre IV relatives aux congés payés.