Contexte de l'affaire
Un salarié est engagé en qualité de chauffeur, le 11 juin 2004, par une société de nettoyage.
Le 25 janvier 2018, l'employeur lui notifie une mise à pied disciplinaire, puis le 23 avril 2018, il est licencié pour faute grave.
Contestant ces mesures, le salarié saisit la juridiction prud'homale pour contester la sanction disciplinaire et la rupture de son contrat de travail et solliciter diverses sommes consécutives.
La cour d’appel d’Amiens, par arrêt du 1er septembre 2021, déboute le salarié de sa demande, estimant que son licenciement pour faute grave, au vu des preuves obtenues par le système de géolocalisation utilisé par l’employeur.
Mais la Cour de cassation n’approuve pas le raisonnement de la cour d’appel, dont elle casse et annule l’arrêt, renvoyant les parties devant la cour d’appel de Douai.
La Cour de cassation met pour cela en avant les éléments suivants :
Ayant été constaté que :
- La collecte des données de localisation effectuée par l'employeur à l'aide du système de géolocalisation installé sur le véhicule professionnel mis à disposition du salarié, destiné à la protection contre le vol et la vérification du kilométrage ;
- Avait été utilisé par celui-ci pour surveiller le salarié et contrôler sa localisation en dehors de son temps de travail ;
- Ce dont il résultait que l'employeur avait porté atteinte à sa vie privée et que ce moyen de preuve tiré de la géolocalisation était illicite;
- La cour d'appel ne pouvait pas admettre ce mode de preuve sans apprécier si son utilisation portait atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée du salarié à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1121-1 du code du travail :
11. Selon ce texte, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
12. Pour dire le licenciement fondé sur une faute grave et débouter le salarié de ses demandes, l'arrêt retient qu'il ne conteste pas la matérialité des faits fautifs énoncés mais soutient qu'ils ne justifient pas un licenciement dans le contexte où il devait impérativement rentrer quotidiennement au domicile de sa mère dont l'état de santé nécessitait sa présence, versant les pièces médicales corroborant ses dires.
13. Il ajoute que le salarié était soumis contractuellement à des déplacements, bénéficiant ainsi d'avril 2017 à avril 2018 d'indemnités forfaitaires de déplacement pour un montant de 5 122,07 euros, soit une moyenne de neuf découchés par mois, et que la seule interdiction posée était l'utilisation du véhicule professionnel à des fins personnelles en se rendant sur un autre lieu que le dépôt ou une station-service comportant des commodités. Il retient encore qu'il n'a pas sollicité préalablement l'autorisation de son employeur de pouvoir se rendre quotidiennement au domicile de sa mère durant les déplacements avec le véhicule de service ou l'aménagement de son poste de travail ou la prise de congés pour pouvoir s'occuper de cette dernière et ne justifie pas de sa situation familiale ou personnelle et les démarches initiées pour une telle prise en charge.
14. Il en déduit que le fait pour le salarié de ne pas respecter sciemment les consignes de son employeur dont il avait connaissance, générant des frais supplémentaires dans l'entretien des véhicules mis à disposition à raison d'un kilométrage supplémentaire, se mettant dans une situation potentielle de danger à raison des heures de conduite supplémentaires et de la fatigue accumulée, alors même qu'il avait fait l'objet de précédentes sanctions similaires et qu'il avait bénéficié d'une formation sur le risque routier professionnel, constitue une faute suffisamment grave au vu de leur réitération, peu important le motif excipé, pour empêcher le maintien de la relation de travail.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'obligation faite au salarié de découcher sur son lieu de chantier ou à proximité immédiate d'une zone de confort, l'empêchant de rentrer quotidiennement chez lui après les heures de travail, pour se rendre auprès de sa mère gravement malade, et le contrôle de sa localisation en dehors du temps de travail ne portaient pas atteinte aux droits du salarié à une vie personnelle et familiale et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit n'y avoir lieu à annulation de la sanction disciplinaire du 25 janvier 2018, dit fondé sur une faute grave le licenciement prononcé et déboute M. [R] de ses demandes indemnitaires à ces titres et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre partie pour l'ensemble de la procédure et dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 1er septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Commentaire de LégiSocial
Dans la présente affaire, le salarié est licencié pour faute grave, l’occasion pour nous de rappeler quelques arrêts récents de la Cour de cassation lorsque ce motif est invoqué.
Thématiques | Références |
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