La liquidation judiciaire ne prive pas le salarié d’invoquer une faute de l’employeur à l’origine de la cessation d’activité

Jurisprudence
Paie Prud'hommes

La cessation d'activité de l'entreprise résultant de sa liquidation judiciaire ne prive pas le salarié du droit d'invoquer une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, privant le licenciement de cause réelle et sérieuse.

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Contexte de l'affaire

Un salarié est engagé en qualité de secrétaire généalogiste voyageur, à compter du 3 juin 1991.

Il est élu délégué du personnel le 5 février 2014. 

Par jugement du 3 janvier 2017, la société est placée en liquidation judiciaire. 

Après autorisation de l'inspecteur du travail, le contrat de travail du salarié a été rompu le 3 mars 2017 par son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle. 

Contestant son licenciement, le salarié saisit la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.

Il met notamment en avant l’existence d’une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. 

La cour d'appel de Caen, par arrêt du 5 novembre 2020, déboute le salarié de sa demande, estimant présentement que :

  • Si les agissements de l'employeur se révélaient fautifs, les éléments produits ne permettaient pas pour autant de considérer qu'ils étaient à l'origine des difficultés économiques et de la liquidation judiciaire de la société dont l'activité n'était pas viable, dès lors notamment que la dette « héritiers » atteignait déjà plus de trois millions en 2012 et que rien n'établissait qu'une poursuite d'activité aurait pu s'envisager si la cessation des paiements avait été déclarée plus tôt, compte tenu de cette dette, immédiatement exigible en sa plus grande partie et dix fois supérieure, en 2012, au résultat d'exploitation. 

Le salarié décide de se pourvoir en cassation.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, et renvoie les parties devant la cour d'appel de Rouen.

Elle indique à cette occasion que : 

  • Le fait que la cessation d'activité de l'entreprise résulte de sa liquidation judiciaire;
  • Ne prive pas le salarié de la possibilité d'invoquer l'existence d'une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. 

Dans l’affaire présente :

  • Alors que le salarié soutenait dans ses écritures qu'il avait été privé du versement des commissions en raison du manque de diligence du mandataire liquidateur pour récupérer les fonds auprès des notaires en charge des dossiers, en sorte qu'il lui appartenait de rechercher si ce dernier n'avait pas, par sa faute, empêché l'accomplissement de la condition, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Extrait de l’arrêt :


Réponse de la Cour

  1. Le fait que la cessation d'activité de l'entreprise résulte de sa liquidation judiciaire ne prive pas le salarié de la possibilité d'invoquer l'existence d'une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
  1. Cependant, la cour d'appel a estimé que, si les agissements de l'employeur se révélaient fautifs, les éléments produits ne permettaient pas pour autant de considérer qu'ils étaient à l'origine des difficultés économiques et de la liquidation judiciaire de la société dont l'activité n'était pas viable, dès lors notamment que la dette « héritiers » atteignait déjà plus de trois millions en 2012 et que rien n'établissait qu'une poursuite d'activité aurait pu s'envisager si la cessation des paiements avait été déclarée plus tôt, compte tenu de cette dette, immédiatement exigible en sa plus grande partie et dix fois supérieure, en 2012, au résultat d'exploitation.
  1. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

  1. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à ce que soient fixées au passif de la liquidation judiciaire des créances de rappel de commissions et de congés payés afférents et tendant à ce que l'arrêt soit déclaré opposable à l'AGS-CGEA Ile-de-France, alors « que s'il peut être contractuellement prévu que les commandes non menées à bonne fin n'ouvrent pas droit à commission, c'est à la condition que ce soit sans faute de l'employeur et sans que le salarié soit privé des commissions qui lui étaient dues sur des contrats effectivement réalisés ; qu'en refusant en l'espèce au salarié le paiement des commissions des dossiers qu'il avait menés à bonne fin au prétexte que les honoraires de l'étude n'avaient pas été réglés par les notaires et que les commissions n'étaient dues au salarié que sur le bénéfice net de l'entreprise, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ce défaut de paiement des honoraires était dû à un manque de diligence du mandataire liquidateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail, ensemble l'article 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1304-3 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131du 10 février 2016 :

  1. Selon ce texte, la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement.
  1. Pour débouter le salarié de ses demandes tendant au paiement de rappel de commissions et des congés payés afférents, l'arrêt, ayant relevé que les documents produits établissent bien le droit du salarié à une « participation » de 3 % mais ne permettent pas de savoir à quel moment ce droit est ouvert, retient qu'il s'agit d'une commission sur un bénéfice net, ce qui suppose que l'employeur ait perçu ses honoraires et en ait déduit d'éventuels frais. Il ajoute que le salarié admet que les dossiers sur lesquels il réclame une commission sont « en attente de demande de paiement » par le mandataire liquidateur. Il conclut que les honoraires correspondants n'ont donc pas encore été perçus.
  1. En statuant ainsi, alors que le salarié soutenait dans ses écritures qu'il avait été privé du versement des commissions en raison du manque de diligence du mandataire liquidateur pour récupérer les fonds auprès des notaires en charge des dossiers, en sorte qu'il lui appartenait de rechercher si ce dernier n'avait pas, par sa faute, empêché l'accomplissement de la condition, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [Y] de ses demandes tendant à ce que soient fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société Etude généalogique [G] des créances de rappel de salaire sur commissions et d'indemnité de congés payés sur rappel de salaire afférents et tendant à ce que l'arrêt soit déclaré opposable à l'AGS-CGEA Ile-de-France, et en ce qu'il le condamne aux dépens et le déboute de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Cour de cassation du , pourvoi n°21-10133

Commentaire de LégiSocial

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer sur certaines demandes de salariés en cas de mise en liquidation judiciaire de l’entreprise au sein de laquelle ils exerçaient leur activité.

Voici un rappel de quelques arrêts proposés sur notre site à ce sujet :

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Références

La cessation d’activité ou liquidation judiciaire n’entraînent pas en elles mêmes rupture du contrat de travail

Cour de cassation du 26/10/2017, pourvoi n° 16-22468

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Cour de cassation du 7/06/2021, pourvoi n° 19-11125

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Cour de cassation du 25/07/2022, pourvoi n° 20-20898

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Cour de cassation du 18/01/2023, pourvoi n° 21-21495