Contexte de l'affaire
Une salariée est engagée le 1er mars 2012 par contrat à durée indéterminée en qualité de préparatrice en pharmacie, responsable établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).
La salariée est licenciée le 30 mars 2015, mais saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Elle met notamment en avant que le fait que son licenciement ne reposait pas sur une faute grave, et que l’employeur avait connaissance de son état de grossesse, de sorte que la salariée réclamait :
- Le paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul;
- Et d'un rappel de salaires pendant la période de protection.
La cour d'appel de Paris, par arrêt du 2 décembre 2020, déboute la salariée de sa demande :
- Relevant le fait que la salariée indique que l'employeur avait connaissance de son état de grossesse ;
- Ajoutant que la protection n'est prévue que pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail
- Et qu'il n'est pas établi que le licenciement soit intervenu pendant cette période ;
- De sorte que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.
La salariée décide de se pourvoir en cassation.
Elle obtient gain de cause, car la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel, rappelant à cette occasion que :
- Ayant été jugé que le licenciement de la salariée enceinte ne reposait pas sur une faute grave ;
- Et que la salariée invoquait la connaissance que l'employeur avait de son état de grossesse ;
Il en ressortait que la cour d'appel ne pouvait rejeter les demandes de la salariée en paiement :
- De dommages-intérêts pour licenciement nul;
- Et d'un rappel de salaires pendant la période de protection.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1225-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
- Aux termes de ce texte, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l'expiration de ces périodes. Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.
- Pour rejeter les demandes de la salariée en paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul et d'un rappel de salaires pendant la période de protection, l'arrêt relève que la salariée indique que l'employeur avait connaissance de son état de grossesse. Il ajoute que la protection n'est prévue que pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail, qu'il n'est pas établi que le licenciement soit intervenu pendant cette période. Il retient que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.
- En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait jugé que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave et que la salariée invoquait la connaissance que l'employeur avait de son état de grossesse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
- En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef du rejet de la demande au titre du licenciement nul entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif disant que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur au paiement de sommes à titre d'indemnité de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité de licenciement, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
- La cassation prononcée sur les premier et troisième moyens du pourvoi n° 21-22.281 ne remet pas en cause les dispositions de l'arrêt statuant sur les dépens et les demandes d'indemnités au titre de l'article 700 du code de procédure civile qui sont justifiées par d'autres condamnations de l'employeur et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi n° 21-22.912 formé par Mme [D] ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, en ce qu'il condamne Mme [] à payer à Mme [] les sommes de 5 763,94 euros à titre d'indemnité de préavis, 576,39 euros de congés payés afférents, 2 642,71 euros d'indemnité de licenciement, rejette les demandes de Mme [H] en dommages-intérêts pour dépassement de l'amplitude horaire journalière, en dommages-intérêts pour licenciement nul et en paiement d'un rappel de salaire au titre de la période de protection, l'arrêt rendu le 2 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Commentaire de LégiSocial
La présente affaire nous permet de faire quelques rappels importants sur la protection dont bénéficie une salariée enceinte.
Les informations ci-après transmises sont extraites d’une fiche pratique proposée sur notre site et exclusivement dédiée à cette thématique (nous n’abordons ci-après que la « période protection relative) :
Lire aussi : Le régime de protection de la salariée enceinte en 2024 Fiche pratique
La salariée enceinte bénéficie d’un régime de protection très particulier vis-à-vis du licenciement. La présente fiche pratique vous détaille cette protection en détails, selon le régime en vigueur en 2024.
La protection « relative » de la salariée enceinte
La définition
Pendant une période que l’on nomme « protection relative », la rupture du contrat de travail par l’employeur ne peut pas avoir lieu sauf pour les cas suivants :
- Faute grave ou lourde non liée à l’état de grossesse de la salariée ;
- Impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse (en cas de licenciement économique par exemple)
Une période de protection de 10 semaines
La loi travail apporte plusieurs modifications importantes, comme suit :
- La période de protection relative est portée de 4 à 10 semaines (suivant expiration congé maternité) ;
- Le début de cette période de protection relative est repoussé en cas de prise des congés payés immédiatement après le congé de maternité.
Article L1225-4
Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 10
Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes.
Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.
Pour qu’il y ait protection, il doit y avoir déclaration
Tout ce qui suit et concerne la protection de la salariée enceinte ou ayant accouché, implique l’obligation pour la salariée de déclarer son état de grossesse.
Article L1225-2
La femme candidate à un emploi ou salariée n'est pas tenue de révéler son état de grossesse, sauf lorsqu'elle demande le bénéfice des dispositions légales relatives à la protection de la femme enceinte.
Article R1225-1
Créé par Décret n°2008-244 du 7 mars 2008 - art. (V)
Pour bénéficier de la protection de la grossesse et de la maternité, prévue aux articles L. 1225-1 et suivants, la salariée remet contre récépissé ou envoie par lettre recommandée avec avis de réception à son employeur un certificat médical attestant son état de grossesse et la date présumée de son accouchement ou la date effective de celui-ci, ainsi que, s'il y a lieu, l'existence et la durée prévisible de son état pathologique nécessitant un allongement de la période de suspension de son contrat de travail.
Positionnement de la période de « protection relative »
Avant l’annonce « état de grossesse médicalement constatée » | Annonce « état de grossesse médicalement constatée » | Début congé maternité |
Régime de droit commun, pas de protection en lien avec la grossesse | Protection relative |
Cas particulier des 4 semaines de « pathologie postnatale »
La protection relative concerne les 4 semaines de « pathologie postnatale » prévues à l’article L 1225-21 qui pourtant font partie du congé de maternité !!
2 semaines | 6 semaines | 4 semaines |
Congé de maternité |
Article L1225-21
Lorsqu'un état pathologique est attesté par un certificat médical comme résultant de la grossesse ou de l'accouchement, le congé de maternité est augmenté de la durée de cet état pathologique dans la limite de deux semaines avant la date présumée de l'accouchement et de quatre semaines après la date de celui-ci.
Cas particulier de la période d’essai
La protection contre le licenciement de l’article L 1225-4 du Code du Travail ne joue pas pendant la période d’essai.
Mais la rupture ne doit avoir pour origine l’état de grossesse de la salariée, seule son « insuffisance professionnelle » doit être à l’origine de la rupture.
Arrêt de la Cour de cassation du 21/12/2006 arrêt 05-44.806P
En cas de litige, c’est à l’employeur que revient la charge de la preuve que la rupture de la période d’essai n’est pas liée à l’état de grossesse de la salariée en cours de période d’essai comme l’indique l’article L 1225-3 du code du travail.
Lorsqu’un doute subsiste, il profite à la salariée enceinte.
Interruption de grossesse
La protection prend fin en cas d’interruption de la grossesse
Arrêt de la Cour de cassation du 28/02/1980
Exemples de fautes graves reconnues par la Cour de cassation
- Le fait d’injurier et de bousculer son supérieur hiérarchique au point de le faire tomber ;
Arrêt de la Cour de cassation du 13/03/1980
- Pour une secrétaire à la mosquée de Paris, le fait d’assimiler la mosquée à un lieu de débauche ;
Arrêt de la Cour de cassation du 03/04/1979
- De refuser d’exécuter un travail qui ne « lui plaisait pas » ;
Arrêt de la Cour de cassation du 12/06/1986
- De signer un document à la place de l’employeur afin d’obtenir un complément de prestations.
Arrêt de la Cour de cassation du 09/12/1998
Rappel de jurisprudences
- Jurisprudence 1 :
Une salariée est licenciée pour faute grave alors qu’elle était enceinte.
La salariée saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir l’annulation de son licenciement.
La Cour d’appel et la Cour de cassation donnent raison à l’employeur, considérant dans cette affaire que le licenciement était motivé par de multiples erreurs reprochées à la salariée (dont la plupart étaient antérieures à son état de grossesse) révélateurs d’une mauvaise volonté délibérée de cette dernière.
De plus, le licenciement était sans rapport avec l’état de grossesse de la salariée et ne pouvait donc être annulé pour cette raison.
Arrêt de la Cour de cassation du 21/03/2012 Pourvoi n° 11-10944
Vous pouvez retrouver cet arrêt en détails en cliquant ici.
Lire aussi : Licenciement d'une salariée enceinte : la faute ne doit pas être en lien avec sa grossesse Jurisprudence
Une salariée est engagée en qualité d’employé du service administratif le 16/06/2005. Elle devient par la suite coordonatrice (catégorie techniciens et agents de maîtrise) le 1/11/2006. Elle est ...
- Jurisprudence 2 :
Dans cette affaire, l’employeur pensait pouvoir procéder au licenciement d’une salariée rentrant de congé de maternité.
Ce licenciement avait pourtant dans un 1er temps été autorisé par le juge-commissaire dans le cadre d’une procédure de redressement judiciaire ouverte à l’égard de la société.
Mais, selon la Cour de cassation, le fait que l’entreprise soit en redressement judiciaire ne suffisait pas à justifier de l’impossibilité pour l’employeur de maintenir le contrat de travail de la salariée.
Cour de cassation du 28/09/2004 pourvoi n° 02-40055
- Jurisprudence 3 :
La présente affaire concerne une salariée engagée par contrat du 16 mai 2005, en qualité de négociateur VRP.
Convoquée par lettre recommandée du 7 juillet 2008 à un entretien préalable en vue de son licenciement fixé au 18 juillet suivant, elle a été licenciée pour faute grave par lettre du 22 juillet 2008 après avoir informé son employeur de son état de grossesse par lettre du 9 juillet 2008.
La salariée saisit la juridiction prud’homale, estimant que son licenciement doit être considéré comme nul.
Dans un premier temps, la cour d’appel déboute la salariée de sa demande, estimant que faute d’avoir informé l’employeur de son état de grossesse médicalement constaté avant l’engagement de la procédure de licenciement, la salariée ne peut revendiquer le bénéfice de la protection légale pour maternité.
Extrait de l’arrêt :
Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouter la salariée de ses demandes de paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif et de salaires dus pendant la période couverte par la nullité du licenciement, l'arrêt retient que faute d'avoir informé l'employeur de son état et en l'absence de connaissance de ce dernier par l'employeur avant l'engagement de la procédure de licenciement, la salariée ne peut revendiquer le bénéfice de la protection légale pour maternité ;
Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis.
Les juges rappellent qu’aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée, lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté sauf s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de l'impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement.
Les juges tiennent à préciser que la date de licenciement est celle à laquelle est expédiée la lettre de licenciement.
En conséquence, la salariée avait informé son employeur de son état bien avant le licenciement, et en l’absence de faute grave, la cour d'appel ne pouvait pas considérer que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse.
Compte tenu de tous ces points, l’arrêt de la cour d’appel est cassé et annulé par la Cour de cassation dans le présent arrêt.
Extrait de l’arrêt :
Attendu cependant, d'une part, qu'aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté sauf s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de l'impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement ;
Attendu, d'autre part, que la date du licenciement est celle à laquelle est expédiée la lettre de licenciement ;
D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait alors qu'elle retenait que l'employeur ne justifiait pas d'une faute grave de l'intéressée et qu'il résultait de ses propres constatations que la salariée avait informé l'employeur de son état de grossesse par lettre du 9 juillet 2008 et que ce dernier n'avait expédié la lettre de licenciement que le 22 juillet 2008, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 octobre 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Cour de cassation du 24/04/2013, pourvoi 11-28729