Quand l’employeur est condamné à verser un rappel de salaire pour « temps de trajet inter-vacations »

Jurisprudence
Paie Temps de déplacement professionnel

Ayant été constaté que la salariée produisait un grand nombre d’informations concernant les heures non rémunérées de travail effectif, l’employeur se trouvait condamné à payer un rappel de salaire pour le temps de trajet inter-vacations.

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Contexte de l'affaire

Une salariée est engagée en qualité d'aide à domicile par une association d'aide aux personnes âgées à compter du 1er décembre 2002. 

La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile du 21 mai 2010. 

Le 13 février 2019, la salariée saisit la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail.

Elle produit à cette occasion de nombreux documents comme :

  • Des tableaux mois par mois, de février 2016 à décembre 2018, mentionnant, pour chaque jour, le nombre de bénéficiaires, l'amplitude horaire et le temps inter-vacation à raison de 15 quinze minutes, qu'elle assortissait chaque tableau du planning indiquant les horaires d'intervention et l'adresse des bénéficiaires ainsi que le bulletin de paie correspondant, mentionnant le paiement d'heures inter-vacations, et qu'elle avait déduit de sa demande les heures inter-vacations lui ayant déjà été réglées.

Elle demande à ce titre un rappel de salaire notamment pour le temps de trajet inter-vacations.

La cour d'appel de Metz, par arrêt du 14 décembre 2021, donne raison à la salariée estimant qu’elle produisait suffisamment de documents à l’appui de sa demande. 

Mais l’employeur décide de se pourvoir en cassation, estimant présentement que certains temps de trajet ne sauraient être considérés comme du temps de travail effectif (« seul étant assimilé à un temps de travail effectif le temps de déplacement entre deux séquences consécutives de travail effectif, à l'exclusion du temps de déplacement entre deux séquences non consécutives de travail effectif ») 

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel, rejetant le pourvoi formé par l’association.

Elle argumente de la manière suivante : 

La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Ayant été constaté que :

  • La salariée produisait des tableaux mois par mois, de février 2016 à décembre 2018, mentionnant, pour chaque jour, le nombre de bénéficiaires, l'amplitude horaire et le temps inter-vacation à raison de 15 quinze minutes, qu'elle assortissait chaque tableau du planning indiquant les horaires d'intervention et l'adresse des bénéficiaires ainsi que le bulletin de paie correspondant, mentionnant le paiement d'heures inter-vacations, et qu'elle avait déduit de sa demande les heures inter-vacations lui ayant déjà été réglées ;
  • Cela faisait ressortir que la salariée produisait des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées de travail effectif, au sens de la loi, qu'elle prétendait avoir accomplies entre les interventions successives sur la période revendiquée ;
  • Afin de permettre à l'employeur de répondre, le condamnant à payer à la salariée une certaine somme brute à titre de rappel de salaire pour le temps de trajet inter-vacations.

Extrait de l’arrêt :


Réponse de la Cour

  1. La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
  1. Ayant constaté que la salariée produisait des tableaux mois par mois, de février 2016 à décembre 2018, mentionnant, pour chaque jour, le nombre de bénéficiaires, l'amplitude horaire et le temps inter-vacation à raison de quinze minutes, qu'elle assortissait chaque tableau du planning indiquant les horaires d'intervention et l'adresse des bénéficiaires ainsi que le bulletin de paie correspondant, mentionnant le paiement d'heures inter-vacations, et qu'elle avait déduit de sa demande les heures inter-vacations lui ayant déjà été réglées, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que la salariée produisait des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées de travail effectif, au sens de la loi, qu'elle prétendait avoir accomplies entre les interventions successives sur la période revendiquée afin de permettre à l'employeur de répondre, a, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen pris en sa première branche, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Cour de cassation du , pourvoi n°22-11909

Commentaire de LégiSocial

La présente affaire aborde la notion de « temps de trajet », rappelons quelques notions à ce sujet en retenant la terminologie propre « temps de déplacement professionnel » et non « temps de trajet inter-vacations » qui est une particularité abordée par la Cour de cassation présentement.

Les informations ci-après proposées sont extraites d’une de nos fiches pratiques exclusivement consacrée à cette thématique : 

Rappel de la jurisprudence de 2004

Avant de donner la définition du temps de déplacement, il est bon d’avoir à l’esprit une jurisprudence de la cour de cassation de 2004. Les juges avaient indiqué alors que :

  • Si le temps de déplacement est supérieur aux temps habituels, alors ce dépassement constitue du temps de travail.

Extrait de l’arrêt :

Mais attendu, d'abord, que le temps de trajet pour se rendre d'un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue un temps de travail effectif ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté que les salariés devaient se rendre pour l'embauche et la débauche à l'entreprise et qu'ils étaient dès lors à la disposition de l'employeur et ne pouvaient vaquer à des occupations personnelles, a exactement décidé que le temps de transport entre l'entreprise et le chantier constituait un temps de travail effectif ;

Attendu, ensuite, que c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que le temps de travail effectif ne peut être rémunéré sous forme de primes et a refusé de déduire de la créance des salariés au titre des heures supplémentaires les sommes payées au titre d'indemnités de transport ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 16 juin 2004 
N° de pourvoi: 02-43685 02-43690 Publié au bulletin 

La loi du 18 janvier 2005

La loi de 2005 met fin à cette position afin de donner une définition légale du temps de déplacement.

C’est l’article 69 de la dite de « cohésion sociale » qui donne la définition du temps de déplacement comme suit :

Loi n°2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale

Article 69

Après le troisième alinéa de l'article L. 212-4 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière, déterminée par convention ou accord collectif ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'ils existent. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail ne doit pas entraîner de perte de salaire. »

Conclusions:

  1. Le temps de déplacement professionnel correspond au temps passé par le salarié pour se rendre de son domicile à son travail et vice versa ;
  2. Le temps de déplacement professionnel n’est pas du temps de travail effectif ;
  3. Toutefois, lorsque le temps de déplacement dépasse le « temps normal », il doit faire l’objet d’une contrepartie.