Contexte de l'affaire
Un salarié est engagé, en qualité de responsable grands comptes, à compter du 22 juin 2015, moyennant un salaire de base annuel brut de 80.000 € payé en douze mensualités et une part variable annuelle brute équivalente à 20 % de la rémunération annuelle brut à objectifs atteints.
Contestant son licenciement, qui lui avait été notifié le 5 février 2016, il saisit la juridiction prud'homale, réclamant également un rappel de salaires au titre de la part variable.
La cour d'appel de Paris, par arrêt du 7 septembre 2022, déboute le salarié de sa demande vis-à-vis du rappel de salaires au titre de la part variable, retenant pour cela le fait que :
- Le salarié ne conteste pas le tableau produit par son employeur, à l’appui de sa part variable.
La Cour de cassation ne partage pas l’avis de la cour d’appel de Paris, dont elle casse et annule l’arrêt, renvoyant les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
Selon la Cour de cassation :
- Lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, ceux-ci doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d'exercice;
- A défaut, le montant maximum prévu pour la part variable doit être payé intégralement comme s'il avait réalisé ses objectifs.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la CourRecevabilité du deuxième moyen
- L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que celui-ci est contraire à la thèse soutenue devant la cour d'appel par le salarié lequel avait reconnu, dans ses conclusions, que son employeur l'avait informé de ses objectifs par un courrier du 13 juillet 2015 puis soutenait avoir pleinement remplis ses objectifs pour 2015.
- Cependant, si le salarié avait reconnu que des objectifs lui avaient été fixés par un courrier du 13 juillet 2015, il soutenait qu'aucun objectif précis ne lui avait été communiqué lors de son entrée dans l'entreprise, malgré la relance effectuée auprès de son employeur, et affirmait avoir rempli ses objectifs qualitatifs, en considérant que les objectifs financiers ne pouvaient pas être pris en compte.
- Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé des moyens
Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 1221-1 du code du travail :
- Il résulte de ces textes que, lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, ceux-ci doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d'exercice. A défaut, le montant maximum prévu pour la part variable doit être payé intégralement comme s'il avait réalisé ses objectifs.
- Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de la part variable de sa rémunération au titre de l'année 2015, l'arrêt retient qu'il ne conteste pas le tableau produit par son employeur.
- Pour rejeter ensuite la même demande au titre de l'année 2016, l'arrêt énonce, d'une part, que le salarié a été informé dès novembre 2015 que les objectifs seraient revus en janvier 2016, et, d'autre part, que manifestement ces objectifs n'ont pas été remplis.
- En statuant ainsi, par des motifs impropres, sans constater que les objectifs avaient été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le salarié de ses demandes en paiement de la part variable de sa rémunération au titre des exercices 2015 et 2016 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 7 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Commentaire de LégiSocial
L’affaire présente aborde le cas d’une « part variable » de la rémunération, l’occasion pour nous de rappeler quelques principes généraux concernant la « clause d’objectif ».
Les informations ci-après proposées sont extraites d’une de nos fiches pratiques exclusivement consacrée à cette clause particulière du contrat de travail.
Lire aussi : La clause d'objectif en 2024 Fiche pratique
Quelles sont les conditions de validité d’une clause « d’objectifs » ? Dans quelle langue doit-être rédigée cette clause ?
Principe et objectif
Le contrat de travail peut organiser une variation future de la rémunération dès lors que les modalités de variation sont clairement définies dans le contrat.
Les objectifs peuvent être :
- Quantitatif : chiffre d’affaires réalisé, nombre de contrats réalisés, quantité de produits vendus, etc. ;
- Qualitatif : mise en place d’une organisation, réalisation d’un projet, taux de marge, taux satisfaction clientèle, etc.
7 Conditions de validité
Ce sont les différents arrêts de jurisprudence qui ont délimité les conditions de validité de cette clause.
On peut en dénombrer 7 :
Condition 1 : l’employeur doit respecter les minimas légaux
En aucun cas, l’employeur ne pourra rémunérer son salarié en deçà du SMIC mensuel (si le salarié est à temps plein) ou d’un minimum conventionnel par l’application de cette clause.
Condition 2 : ne pas faire peser les risques
L’employeur ne doit pas faire peser sur le salarié les risques de l’entreprise (par exemple : imputer au salarié les pertes comptables)
Condition 3 : une transparence des calculs
L’employeur doit être capable de justifier les différents calculs aboutissant au chiffrage de la prime d’objectif déterminée par la clause.
Condition 4 : pas d’indexation des calculs sur des valeurs « étalons »
Il est interdit de baser les calculs sur :
- Le niveau général des prix ;
- L’indice INSEE ;
- La valeur du SMIC horaire ;
- Un nombre de kilomètres parcourus (afin de ne pas porter atteinte à la santé ou sécurité du salarié).
À consulter, une actualité abordant un arrêt de la Cour de cassation sur l’indexation d’une rémunération sur l’indice INSEE, en cliquant ici.
Lire aussi : Pas de clause d'indexation des rémunérations sur la base de l'indice INSEE Jurisprudence
La présente affaire concerne la clause d’une convention collective, conclue au niveau d’une UES, comportant un mécanisme d'augmentation générale des salaires dépendant à la fois des résultats de l’UES mais ...
Condition 5 : des critères d’évaluation indépendants de la volonté de l’employeur
Il n’est pas autorisé de prévoir une modification de façon discrétionnaire des éléments de calculs de la rémunération variable prévue sur le contrat de travail.
Condition 6 : le respect de la convention collective
Comme toutes les clauses du contrat de travail, la clause d’objectif doit respecter les dispositions conventionnelles.
Condition 7 : pas de clause couperet
L’employeur n’a pas le droit de prévoir une rupture automatique du contrat de travail si les objectifs ne sont pas réalisés.
Cour de cassation du 14/11/2000 n° 98-42371
Si un contentieux intervient, ce sont les juges qui décideront si le fait incriminé doit faire l’objet ou non d’un licenciement, dans le respect de l’article L 1235-1 du Code du travail (modifié par la loi dite « Macron »).
Article L1235-1
Modifié par Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 - art. 2
En cas de litige, lors de la conciliation prévue à l'article L. 1411-1, l'employeur et le salarié peuvent convenir ou le bureau de conciliation et d'orientation proposer d'y mettre un terme par accord. Cet accord prévoit le versement par l'employeur au salarié d'une indemnité forfaitaire dont le montant est déterminé, sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles, en référence à un barème fixé par décret en fonction de l'ancienneté du salarié.
Le procès-verbal constatant l'accord vaut renonciation des parties à toutes réclamations et indemnités relatives à la rupture du contrat de travail prévues au présent chapitre.
A défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie.
Si un doute subsiste, il profite au salarié.
NOTA :
Conformément à l'article 40-I de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, ces dispositions sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à la publication de ladite ordonnance.