Une entreprise utilisatrice recourant à un contrat de mission en méconnaissance des cas de recours : le salarié est en CDI

Jurisprudence
Paie Intérim

Une entreprise utilisatrice ayant recours à un salarié d'une ETT en méconnaissance des dispositions liés aux motifs de recours, le salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un CDI

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Contexte de l'affaire

Une ETT met une salariée à la disposition d’une société, en qualité d'opératrice d'assemblage, suivant contrats de mission temporaire entre les 8 avril et 23 décembre 2015.

Le 13 janvier 2016, l'entreprise de travail temporaire et la salariée ont conclu un contrat à durée indéterminée intérimaire.

La salariée saisit la juridiction prud'homale le 26 septembre 2019 à l'effet d'obtenir la requalification de ses missions d'intérim en contrat à durée indéterminée auprès de la société utilisatrice et de contester la rupture de la relation de travail avec cette dernière.

Le 26 novembre 2019, elle est licenciée par l'entreprise de travail temporaire. 

La cour d'appel de Grenoble, par arrêt du 16 juin 2022, donne raison à la salariée.

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel, comme suit : 

  • Lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions, notamment, des articles L. 1251-5 et L. 1251-6 (NDLR : motifs de recours à un contrat de mission) ;
  • Ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au 1er jour de sa mission.

Extrait de l’arrêt :


Réponse de la Cour

  1. Selon l'article 56 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, une entreprise de travail temporaire peut conclure avec le salarié un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions successives. Chaque mission donne lieu à la conclusion d'un contrat de mise à disposition entre l'entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit entreprise utilisatrice, et à l'établissement, par l'entreprise de travail temporaire, d'une lettre de mission. Le contrat de travail est régi par les dispositions du code du travail relatives au contrat à durée indéterminée, sous réserve des dispositions du présent article. Les missions effectuées par le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée avec l'entreprise de travail temporaire sont régies notamment par les articles L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du code du travail. Pour l'application des dispositions de l'article L. 1251-5, les mots : « contrat de mission » sont remplacés par les mots : « lettre de mission ».
  1. Aux termes de l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.
  1. Selon l'article L. 1251-6 du même code, sous réserve des dispositions de l'article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans les cas énumérés, parmi lesquels l'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise.
  1. Selon l'article L. 1251-40 du même code, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions, notamment, des articles L. 1251-5 et L. 1251-6, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
  1. Il résulte de ces textes que, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions visées par l'article L. 1251-40, le salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière, y compris lorsqu'il a conclu avec l'entreprise de travail temporaire un contrat à durée indéterminée intérimaire.
  1. Il en résulte en outre que, nonobstant l'existence d'un contrat à durée indéterminée intérimaire, la rupture des relations contractuelles à l'expiration d'une mission à l'initiative de l'entreprise utilisatrice s'analyse, si le contrat est requalifié à son égard en contrat à durée indéterminée, en un licenciement qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture.
  1. La cour d'appel a d'abord énoncé à bon droit que, nonobstant la signature d'un contrat à durée indéterminée intérimaire par le salarié, ce dernier peut solliciter, d'une part, la requalification des missions qui lui sont confiées en contrat à durée indéterminée de droit commun à l'égard de l'entreprise utilisatrice, au motif qu'elles ont eu pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de celle-ci, d'autre part, à l'égard de l'entreprise utilisatrice, par suite de cette requalification, comme de l'entreprise de travail temporaire en raison de son licenciement dans le cadre du contrat à durée indéterminée intérimaire, diverses sommes au titre des deux ruptures injustifiées, dès lors que l'objet des contrats n'est pas le même, y compris lorsque les ruptures interviennent à des périodes concomitantes après la fin d'une mission auprès de l'entreprise utilisatrice.
  1. Ensuite, après avoir constaté que le motif de recours n'était pas justifié pour la période antérieure à l'année 2016, la cour d'appel a exactement retenu que les missions exercées par la salariée auprès de l'entreprise utilisatrice devaient être requalifiées en contrat à durée indéterminée à compter du 8 avril 2015.
  1. Enfin, après avoir relevé que l'entreprise utilisatrice avait mis fin aux relations contractuelles le 31 mai 2019, elle a exactement décidé que la rupture du contrat de travail, intervenue sans procédure de licenciement, s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse justifiant que soient allouées à la salariée des sommes au titre des indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
  1. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Cour de cassation du , pourvoi n°22-20258

Commentaire de LégiSocial

L’affaire présente aborde le cas particulier d’une requalification d’un contrat de mission. 

Rappelons quelques informations à ce sujet, extraites d’une de nos fiches pratiques exclusivement consacrée à cette thématique. 

Requalification des contrats au sein de l’entreprise utilisatrice

Dispositions légales : en cas de non-respect de certaines règles du contrat temporaire

Le code du travail indique dans son article L 1251-40 que le contrat peut être requalifié en contrat CDI dans l’entreprise utilisatrice dans les cas où le recours au contrat de travail temporaire se fait en dehors des cas autorisés.

Article L1251-40 

Modifié par Ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 - art. 1

Lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10, L. 1251-11, L. 1251-12-1, L. 1251-30 et L. 1251-35-1, et des stipulations des conventions ou des accords de branche conclus en application des articles L. 1251-12 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

La méconnaissance de l'obligation de transmission du contrat de mission au salarié dans le délai fixé par l'article L. 1251-17 ne saurait, à elle seule, entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée. Elle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

NOTA : 

Conformément à l'article 40-I et 40-VIII de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, ces dispositions sont applicables aux licenciements prononcés et aux contrats de travail conclus postérieurement à la publication de ladite ordonnance.

Sont concernées plus précisément les règles suivantes :

  • Les cas de recours au travail temporaire (articles L 1251-5 à L 1251-7) ;
  • Cas interdits de recours au travail temporaire (article L 1251-10) ;
  • Fixation d’un terme précis, sauf cas dérogatoires restreints (article L 1251-11) ;
  • Durées maximales des contrats (article L 1251-12) ;
  • Les possibilités d’aménagement du contrat (article L 1251-30) ;
  • Conditions de renouvellement (article L 1251-35).

Rappel :

La méconnaissance de l'obligation de transmission du contrat de mission au salarié dans le délai fixé par l'article L. 1251-17 ne saurait, à elle seule, entraîner la requalification en contrat à durée indéterminée.

Elle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Article L1251-6

Modifié par Ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 - art. 4

Sous réserve des dispositions de l'article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée " mission " et seulement dans les cas suivants :

1° Remplacement d'un salarié, en cas :

  1. a) D'absence ;
  2. b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ;
  3. c) De suspension de son contrat de travail ;
  4. d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité social et économique, s'il existe ;
  5. e) D'attente de l'entrée en service effective d'un salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;

2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ;

3° Emplois à caractère saisonnier définis au 3° de l'article L. 1242-2 ou pour lesquels, dans certains secteurs définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;

4° Remplacement d'un chef d'entreprise artisanale, industrielle ou commerciale, d'une personne exerçant une profession libérale, de son conjoint participant effectivement à l'activité de l'entreprise à titre professionnel et habituel ou d'un associé non salarié d'une société civile professionnelle, d'une société civile de moyens d'une société d'exercice libéral ou de toute autre personne morale exerçant une profession libérale ;

5° Remplacement du chef d'une exploitation agricole ou d'une entreprise mentionnée aux 1° à 4° de l'article L. 722-1 du code rural et de la pêche maritime, d'un aide familial, d'un associé d'exploitation, ou de leur conjoint, mentionné à l'article L. 722-10 du même code dès lors qu'il participe effectivement à l'activité de l'exploitation agricole ou de l'entreprise.

Article L1251-7 

Modifié par LOI n°2011-893 du 28 juillet 2011 - art. 7

Outre les cas prévus à l'article L. 1251-6, la mise à disposition d'un salarié temporaire auprès d'une entreprise utilisatrice peut intervenir :

1° Lorsque la mission de travail temporaire vise, en application de dispositions légales ou d'un accord de branche étendu, à favoriser le recrutement de personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières ;

2° Lorsque l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice s'engagent, pour une durée et dans des conditions fixées par décret ou par accord de branche étendu, à assurer un complément de formation professionnelle au salarié ;

3° Lorsque l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice s'engagent à assurer une formation professionnelle au salarié par la voie de l'apprentissage, en vue de l'obtention d'une qualification professionnelle sanctionnée par un diplôme ou un titre à finalité professionnelle enregistré au répertoire national des certifications professionnelles. Cette formation est dispensée pour partie dans l'entreprise utilisatrice et pour partie en centre de formation d'apprentis ou section d'apprentissage en application de l'article L. 6221-1.

Article L1251-10 

Outre les cas prévus à l'article L. 1251-9, il est interdit de recourir au travail temporaire :

1° Pour remplacer un salarié dont le contrat de travail est suspendu à la suite d'un conflit collectif de travail ;

2° Pour effectuer certains travaux particulièrement dangereux figurant sur une liste établie par voie réglementaire, dans les conditions prévues à l'article L. 4154-1. L'autorité administrative peut exceptionnellement autoriser une dérogation à cette interdiction, dans des conditions déterminées par voie réglementaire ;

3° Pour remplacer un médecin du travail.

Article L1251-11 

 Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 86 (V)

Le contrat de mission comporte un terme fixé avec précision dès la conclusion du contrat de mise à disposition.

Toutefois, le contrat peut ne pas comporter de terme précis lorsqu'il est conclu dans l'un des cas suivants :

1° Remplacement d'un salarié absent ;

2° Remplacement d'un salarié dont le contrat de travail est suspendu ;

3° Dans l'attente de l'entrée en service effective d'un salarié recruté par contrat à durée indéterminée ;

4° Emplois à caractère saisonnier définis au 3° de l'article L. 1242-2 ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;

5° Remplacement de l'une des personnes mentionnées aux 4° et 5° de l'article L. 1251-6.

Le contrat de mission est alors conclu pour une durée minimale. Il a pour terme la fin de l'absence de la personne remplacée ou la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu.

Article L1251-12 

Modifié par Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 - art. 26

La convention ou l'accord de branche étendu de l'entreprise utilisatrice peut fixer la durée totale du contrat de mission. Cette durée ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

NOTA : 

Conformément à l'article 40-VIII de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, ces dispositions sont applicables aux contrats de travail conclus postérieurement à la publication de ladite ordonnance.

Article L1251-12-1 

 Créé par Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 - art. 26

A défaut de stipulation dans la convention ou l'accord de branche conclu en application de l'article L. 1251-12, la durée totale du contrat de mission ne peut excéder dix-huit mois compte tenu, le cas échéant, du ou des renouvellements intervenant dans les conditions prévues à l'article L. 1251-35 ou, lorsqu'il s'applique, à l'article L. 1251-35-1. 
Cette durée est réduite à neuf mois lorsque le contrat est conclu dans l'attente de l'entrée en service effective d'un salarié recruté par contrat à durée indéterminée ou lorsque son objet consiste en la réalisation de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité. 
Elle est également de vingt-quatre mois : 
1° Lorsque la mission est exécutée à l'étranger ; 
2° Lorsque le contrat est conclu dans le cas du départ définitif d'un salarié précédant la suppression de son poste de travail ; 
3° Lorsque survient dans l'entreprise, qu'il s'agisse de celle de l'entrepreneur principal ou de celle d'un sous-traitant, une commande exceptionnelle à l'exportation dont l'importance nécessite la mise en œuvre de moyens quantitativement ou qualitativement exorbitants de ceux que l'entreprise utilise ordinairement. Dans ce cas, la durée initiale du contrat ne peut être inférieure à six mois. 
Elle est portée à trente-six mois afin d'être égale à celle du cycle de formation effectué en apprentissage conformément à l'article L. 6222-7-1.

NOTA : 

Conformément à l'article 40-VIII de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, ces dispositions sont applicables aux contrats de travail conclus postérieurement à la publication de ladite ordonnance.