La clause de non-concurrence prévoyant une indemnité en cas de non-respect par le salarié est une clause pénale

Jurisprudence
Paie Contrat de travail

La clause de non-concurrence prévoyant une indemnité en cas de non-respect par le salarié est une clause pénale, que le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

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Contexte de l'affaire

Un salarié est engagé le 19 juin 2006, en qualité de consultant commercial.

Il exerce en dernier lieu les fonctions de responsable d'agence.

Par lettre du 1er avril 2016, le salarié est licencié pour faute grave.

Le 11 mai 2016, l'employeur saisit la juridiction prud'homale afin notamment que le salarié soit condamné à lui payer des dommages-intérêts pour violation de la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail. 

A titre reconventionnel, le salarié a demandé que son employeur soit condamné à lui payer diverses sommes notamment au titre de la rupture injustifiée du contrat de travail et d'heures supplémentaires non rémunérées.

La cour d'appel de Paris, par arrêt du 07 avril 2022 : 

  • Condamne le salarié à verser à son ancien employeur une somme au titre de la violation de la clause de non-concurrence ;
  • En refusant de modérer cette indemnité. 

Pour cela, la cour d’appel retient que :

  • La contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui a la nature d'une indemnité compensatrice de salaire stipulée en conséquence de l'engagement du salarié de ne pas exercer, après la cessation du contrat de travail, d'activité concurrente à celle de son ancien employeur ;
  • Ne constitue pas une indemnité forfaitaire prévue en cas d'inexécution d'une obligation contractuelle et ne peut donc être qualifiée de clause pénale.

La Cour de cassation n’est pas sensible aux arguments de la cour d’appel dont elle casse et annule l’arrêt. 

Elle confirme à cette occasion que :

  • La clause du contrat prévoyant une indemnité en cas de non-respect par le salarié de la clause de non-concurrence est une clause pénale ;
  • Le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. 

Extrait de l’arrêt :


Réponse de la Cour

Vu l'article 1231-5 du code civil :

  1. Selon ce texte, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
  1. Pour condamner le salarié à verser à son ancien employeur une somme au titre de la violation de la clause de non-concurrence en refusant de modérer cette indemnité, l'arrêt retient que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui a la nature d'une indemnité compensatrice de salaire stipulée en conséquence de l'engagement du salarié de ne pas exercer, après la cessation du contrat de travail, d'activité concurrente à celle de son ancien employeur, ne constitue pas une indemnité forfaitaire prévue en cas d'inexécution d'une obligation contractuelle et ne peut donc être qualifiée de clause pénale.
  1. En statuant ainsi, alors que la clause du contrat prévoyant une indemnité en cas de non-respect par le salarié de la clause de non-concurrence est une clause pénale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

  1. La cassation prononcée n'emporte pas cassation du chef de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens, justifié par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement est fondé sur une faute grave, rejette les demandes afférentes à la rupture du contrat, condamne M. (…) à verser à la société (…) la somme de 62 820 euros au titre de la violation de la clause de non-concurrence et dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 7 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ; 

Cour de cassation du , pourvoi n°22-17332

Commentaire de LégiSocial

La présente affaire abordant la clause de non-concurrence, c’est l’occasion pour nous d’en rappeler quelques principes de base.

Les informations ci-après proposées sont extraites d’une de nos fiches pratiques exclusivement consacrée à cette thématique : 

Principe et objectif

La clause de non-concurrence a pour but d'interdire au salarié, après la rupture de son contrat, l'exercice d'une activité qui porterait préjudice à son ancien employeur.

5 Conditions de validité 

Condition 1 : elle doit être insérée clairement dans le contrat de travail (sauf dispositions conventionnelles contraires).

Condition 2 : elle doit respecter les dispositions conventionnelles si celles-ci sont plus favorables.

La clause de non-concurrence doit respecter très exactement les conditions de fond et de forme éventuellement prévues par la convention collective.  Une clause de non-concurrence non conforme aux dispositions de la convention collective n'est pas nulle pour autant : elle doit être rapportée aux conditions conventionnelles prévues.

Cour de cassation du 2/12/1998.

Lorsqu'une convention collective stipule que l'employeur à la possibilité de convenir d'une clause de non-concurrence avec certains salariés, il lui est alors impossible de conclure une telle clause avec d'autres salariés que ceux visés par la convention collective.

 Cour de cassation du 12/11/1997.

Condition 3 : elle doit nécessairement être justifiée par l'intérêt de l'entreprise et ne pas empêcher le salarié de retrouver un emploi

Cour de cassation du 2/12/1997

Condition 4 : la clause de non-concurrence doit être limitée

Dans le temps

  • Une clause comportant une durée illimitée n’est pas valable.
  • Les conventions collectives peuvent parfois encadrer la durée pendant laquelle peut s’exercer la clause.
  • Si ce n’est pas le cas, les juges apprécieront la durée insérée avec les intérêts de l’entreprise.

Dans l'espace

  • La limitation de la zone de non-concurrence varie selon que la clientèle est « locale » ou « mondialisée ».
  • Dans tous les cas de figure, cette délimitation géographique doit être précise et ne pas empêcher encore une fois le salarié de retrouver un emploi.

Dans l'objet (nature des activités interdites)

  • La clause doit préciser la nature des activités concernées
  • Signalons que la jurisprudence n'exige pas que la clause obéisse cumulativement à ces trois conditions (temps, espace et objet), l'une ou l'autre de ces limitations, temps ou espace, peut suffire si le salarié conserve la possibilité de poursuivre " son " activité professionnelle.

Condition 5 : la clause doit comporter une contrepartie financière

Si la clause ne prévoit aucune contrepartie financière pour le salarié, elle est considérée comme nulle.

Petite particularité, une clause ne prévoyant aucune contrepartie financière MAIS renvoyant vers la contrepartie financière prévue par la convention collective est acceptable, le renvoi vers l’article de la convention collective est alors nécessaire.

Une contrepartie financière jugée « dérisoire » par les juges peut aboutir au même résultat.

Cour de cassation du 15/11/2006 n° 04-46721

Une contrepartie financière versée en cours de contrat rend la clause totalement nulle et sans effet.

Cour de cassation du 17/11/2010 pourvoi M 09-42.389

La clause prévoyant que la contrepartie financière ne serait pas payée en cas de licenciement pour faute grave ou lourde est nulle

Cour de cassation du 28/06/2006 pourvoi 05-40990 

Une affaire concernant un salarié qui percevait une compensation financière pendant le contrat et aussi après la rupture du contrat permet de préciser que la valeur éventuellement dérisoire s’évalue uniquement sur la partie versée après la rupture du contrat.

Cour de cassation du 22/06/2011 pourvoi 09-71567 FSPB