Contexte de l'affaire
Une salariée est engagée en qualité de gardienne d'immeuble catégorie 2, non logée à compter du 14 décembre 1993.
A l'issue de deux examens en date des 11 et 28 avril 2016, la salariée est déclarée inapte à son poste de gardienne d'immeuble selon avis du médecin du travail, lequel précisait que la salariée était « apte à un poste administratif et/ou d'accueil à condition que la frappe sur ordinateur ne [fût] pas permanente et qu'un repose-poignet au niveau du clavier et de la souris [était] indispensable tout comme un siège ergonomique. »
La salariée est licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 2 novembre 2016 et saisit la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
La cour d'appel de Versailles, par arrêt du 28 octobre 2021, donne raison à la salariée à l’exception du droit aux congés payés au titre de la période d’éviction.
La Cour de cassation rejette le pourvoi principal mais casse et annule l’arrêt de la cour d’appel concernant les congés payés.
De façon détaillée, la Cour de cassation confirme les points suivants :
Vu les articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 :
- Toute rupture du contrat de travail prononcée à l'égard d'un salarié en raison de son état de santé est nulle ;
- Dès lors qu'il caractérise une atteinte au droit à la protection de la santé, garanti par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
- Le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et sa réintégration, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou revenus de remplacement pendant cette période.
Concernant l’aspect des congés payés, la Cour de cassation apporte les précisions suivantes :
- Le salarié peut prétendre à ses droits à congé payéau titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration effective dans son emploi ;
- Dans l'hypothèse où il a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration, il ne peut toutefois pas prétendre, à l'égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la CourVu les articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 :
- Il résulte de ces textes que toute rupture du contrat de travail prononcée à l'égard d'un salarié en raison de son état de santé est nulle.
- Dès lors qu'il caractérise une atteinte au droit à la protection de la santé, garanti par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et sa réintégration, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou revenus de remplacement pendant cette période.
- Le salarié peut prétendre à ses droits à congé payé au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration effective dans son emploi en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail. Dans l'hypothèse où le salarié a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration, il ne saurait toutefois prétendre, à l'égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi.
- Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'indemnité de congé payé pour les périodes de référence courant du 2 novembre 2016 à la date de sa réintégration effective, l'arrêt, après avoir jugé que le licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail, retient que la période d'éviction pendant laquelle la salariée n'a pas travaillé ne constitue pas du temps de travail effectif et que, créancière d'une indemnité qui a le caractère de dommages-intérêts, elle ne peut prétendre au paiement d'une indemnité de congé payé afférente.
- En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
- La cassation du chef de dispositif déboutant la salariée de sa demande d'indemnité compensatrice de congé payé n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [Z] de sa demande au titre des congés payés afférents à l'indemnité d'éviction, l'arrêt rendu le 28 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Commentaire de LégiSocial
Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation aborde l’éventuel rappel de salaires au titre d’une période d’éviction faisant suite au prononcé d’un licenciement.
Voici quelques arrêts sur le sujet, abordés sur notre site :
Thématiques | Références |
Licenciement nul : sont à déduire les salaires et revenus de remplacement perçus dans la période d’éviction | Cour de cassation du 16 octobre 2019, pourvoi n° 17-31624 Lire aussi : Licenciement nul : sont à déduire les salaires et revenus de remplacement perçus dans la période d'éviction JurisprudenceEn cas de licenciement nul, le salarié ouvre à la réparation du préjudice subi, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé, déduction faite des salaires et revenu de remplacement perçus durant cette période. |
Quand la Cour de cassation aborde l’indemnité d’éviction dont bénéficie un salarié en cas de licenciement nul | Cour de cassation du 9 décembre 2020, pourvoi n° 19-16448 Lire aussi : Quand la Cour de cassation aborde l'indemnité d'éviction dont bénéficie un salarié en cas de licenciement nul JurisprudenceEn cas de licenciement nul, le salarié qui demande sa réintégration ouvre droit au paiement d’une indemnité réparant le préjudice subi du fait de sa perte de salaire pendant la durée de son éviction. |
Nullité licenciement d’une salariée enceinte : droit à réintégration et rémunération période éviction hors revenus de remplacement | Cour de cassation du 17 février 2021, pourvoi n° 19-21331 Lire aussi : Nullité licenciement d'une salariée enceinte : droit à réintégration et rémunération période éviction hors revenus de remplacement JurisprudenceEn cas de nullité d’un licenciement motivé par un état de grossesse, la salariée ouvre droit à réintégration ainsi que la rémunération de la période d’éviction de l’entreprise sans déduire les revenus de remplacement perçus durant cette même période. |
Durant la période d’éviction, le droit aux congés payés se poursuit en l’absence d’un nouvel emploi | Cour de cassation du 1er décembre 2021, pourvoi n° 19-24766 Lire aussi : Durant la période d'éviction, le droit aux congés payés se poursuit en l'absence d'un nouvel emploi JurisprudenceSauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d'éviction comprise entre le licenciement nul et la réintégration, il peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période. |
Licenciement nul et période d’éviction : le salarié ouvre droit aux congés payés sauf s’il a occupé un autre emploi | Cour de cassation du 1er mars 2023, pourvoi n° 21-16008 Lire aussi : Licenciement nul et période d'éviction : le salarié ouvre droit aux congés payés sauf s'il a occupé un autre emploi JurisprudenceEn cas de licenciement nul, le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi. |
En cas d’atteinte au droit à la protection de la santé, la réintégration ouvre droit au paiement des salaires de la période d’éviction | Cour de cassation du 27 septembre 2023, pourvoi n° 21-22449 Lire aussi : En cas d'atteinte au droit à la protection de la santé, la réintégration ouvre droit au paiement des salaires de la période d'éviction JurisprudenceEn cas d’atteinte au droit à la protection de la santé, le salarié demandant sa réintégration a droit au paiement de la rémunération qu'il aurait dû percevoir, peu importe qu’il ait reçu des salaires ou revenus de remplacement durant son éviction. |