Contexte de l'affaire
Un salarié est engagé en qualité de directeur général, statut cadre dirigeant, par une mutuelle à compter du 21 mai 2013.
Il a été élu, le 2 octobre 2013, membre du conseil d'administration de l'Union nationale mutualiste interprofessionnelle (UNMI) et, le 24 juin 2015, membre du conseil d'administration du Centre informatique des mutuelles (CIMUT).
Le 12 avril 2017, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire.
Il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 21 avril 2017 et, par lettre du 26 avril 2017, a prévenu l'employeur qu'il bénéficiait du statut de salarié protégé.
Le 27 avril suivant, l'employeur a sollicité auprès de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier le salarié ; cette autorisation a été accordée par décision du 3 juillet 2017.
Le salarié a été licencié pour faute grave par lettre du 5 juillet 2017.
Le 25 juillet 2017, le salarié a formé un recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail.
Le ministre du travail, par décision du 28 mars 2018, a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 3 juillet 2017 et a autorisé le licenciement du salarié.
Le 6 septembre 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de réintégration, de paiement d'un rappel de salaire jusqu'au jour de sa réintégration effective et de diverses sommes à titre de dommages-intérêts.
Par jugement du 3 juillet 2019, le tribunal administratif a annulé l'autorisation du ministre du travail de licencier le salarié. Ce jugement a été confirmé par la cour administrative d'appel par arrêt du 3 novembre 2020.
Par arrêt du 23 juin 2021, le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi formé par l'employeur.
La cour d'appel de Paris, par arrêt du 4 octobre 2022, déboute le salarié de sa demande de réintégration et de paiement d’un rappel de salaire, retenant pour cela l’argument suivant :
- En cas d'annulation de l'autorisation de licencier, l'article L. 2422-1 ne vise pas le salarié membre d'un conseil d'administration d'une mutuelle comme ayant le droit de solliciter sa réintégration dans son emploi et que le membre élu d'un conseil d'administration d'une mutuelle ne disposant pas du droit à réintégration ;
- C’est à juste titre que les premiers juges ont débouté le salarié de sa demande de réintégration et de sa demande de rappel de salaire.
La Cour de cassation ne partage pas l’avis de la cour d’appel, dont elle casse et annule l’arrêt, renvoyant les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée
Au sein de son arrêt, la Cour de cassation indique:
A la suite de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement :
- Le salarié exerçant un mandat d'administrateur d'une mutuelle ;
- Ouvre droit à réintégration dans son emploi ou dans un emploi équivalent ;
- Ainsi qu'au paiement de l'indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 114-24 du code de la mutualité et les articles L. 2411-3, L. 2422-1 et L. 2422-4 du code du travail :
9. Selon le premier de ces textes, le licenciement par l'employeur d'un salarié exerçant le mandat d'administrateur d'une mutuelle, union ou fédération ou ayant cessé son mandat depuis moins de six mois est soumis à la procédure prévue aux articles L. 2411-3 et L. 2421-9 du code du travail.
10. Selon l'article L. 2411-3 susvisé, le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.
11. Selon l'article L. 2422-1 du code du travail, lorsque le ministre compétent annule, sur recours hiérarchique, la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement d'un salarié investi de l'un des mandats énumérés par ce texte, ou lorsque le juge administratif annule la décision d'autorisation de l'inspecteur du travail ou du ministre compétent, le salarié concerné a le droit, s'il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d'être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent. Cette disposition s'applique, notamment, aux salariés investis d'un mandat de délégué syndical.
12. Aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail, lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire.
13. L'article L. 114-24 du code de la mutualité soumettant le licenciement d'un salarié exerçant le mandat d'administrateur d'une mutuelle, union ou fédération à la procédure prévue à l'article L. 2411-3, il en résulte que le salarié exerçant le mandat d'administrateur doit bénéficier de la protection du salarié mentionné à l'article L. 2411-3 au sens de l'article L. 2422-1, auquel les dispositions de ce dernier texte sont applicables.
14. Pour débouter le salarié de ses demandes de réintégration et de paiement d'un rappel de salaire, l'arrêt retient qu'en cas d'annulation de l'autorisation de licencier, l'article L. 2422-1 ne vise pas le salarié membre d'un conseil d'administration d'une mutuelle comme ayant le droit de solliciter sa réintégration dans son emploi et que le membre élu d'un conseil d'administration d'une mutuelle ne disposant pas du droit à réintégration, c'est à juste titre que les premiers juges ont débouté le salarié de sa demande de réintégration et de sa demande de rappel de salaire.
15. En statuant ainsi, alors qu'à la suite de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement, le salarié exerçant un mandat d'administrateur d'une mutuelle avait droit à réintégration dans son emploi ou dans un emploi équivalent, ainsi qu'au paiement de l'indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans les conditions prévues à l'article L. 2422-4 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation des chefs de dispositif de l'arrêt rejetant la demande de réintégration et déboutant le salarié de sa demande de rappel de salaire subséquente n'entraîne pas la cassation du chef de dispositif déboutant le salarié du surplus de ses demandes que la critique formée par le moyen du pourvoi du salarié n'est pas susceptible d'atteindre.
17. Cette cassation n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt et non remises en cause.
18. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt rejetant la demande de réintégration et déboutant le salarié de sa demande de rappel de salaire subséquente, entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant la Mutuelle générale des cheminots à verser au salarié une indemnité de 100 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de réintégration, déboute M. [F] de sa demande de rappel de salaire subséquente à sa demande de réintégration et en ce qu'il condamne la Mutuelle générale des cheminots à verser à M. [F] une indemnité de 100 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 4 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Commentaire de LégiSocial
Une de nos fiches pratiques aborde les conséquences d’un licenciement nul, voici un extrait des informations dévoilées dans notre publication.
Lire aussi : Quelles sont les conséquences d'un licenciement nul en 2024 ? Fiche pratique
Suite à une action prud’homale, un licenciement est parfois considéré « nul ». La présente fiche pratique vous éclaire à la fois sur les cas de nullités ainsi que sur les conséquences.
Les cas de nullité
Il existe de nombreux cas pour lesquels le juge peut prononcer la nullité du licenciement :
- Licenciement pour victimes de harcèlement, de discrimination ou personnes ayant relaté ou témoigné de tels agissements (articles L 1132-1 à L 1132-4, L 1152-2 et L 1152-3, L 1153-2 à L 1153-4 du Code du travail) ;
- Violation du principe d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (article L 1144-3 du Code du travail) ;
- Licenciement prononcé en méconnaissance du droit de grève (articles L 1132-2 et L 1132-4 du Code du travail) ;
- Licenciement prononcé pendant un arrêt de travail consécutif à un accident du travail ou maladie professionnelle (sauf faute grave sans rapport avec l’arrêt de travail) (articles L 1226-13, L 1226-9 et L 1226-18 du Code du travail) ;
- Licenciement prononcé en méconnaissance de la protection des représentants du personnel, représentants syndicaux (articles L 1132-1 à L 1132-4 du Code du travail) ;
- Licenciement prononcé en méconnaissance de la protection des femmes enceintes (articles L 1225-4 et L 1225-5 du Code du travail) ;
- Licenciement prononcé pour des opinions religieuses, syndicales, situation de famille (articles L 1132-1 à L 1132-4, du Code du travail).
Rappelons que la prise d’acte de rupture du contrat de travail par un salarié protégé produit les effets d’un licenciement nul.
Signalons également que la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l’employeur, notamment pour des faits de harcèlement moral produit alors les effets d’un licenciement nul.
Cour de cassation du 20/02/2013 pourvoi 11-26560