Contexte de l'affaire
Une salariée est engagée en qualité de gestionnaire sinistres, le 30 janvier 2017, par contrat à durée déterminée courant jusqu'au 31 octobre 2017 et renouvelé jusqu'au 28 février 2018.
Le 20 décembre 2017, la salariée a dénoncé auprès de son employeur les propos racistes dont elle disait avoir fait l'objet de la part de sa supérieure hiérarchique.
Elle a été arrêtée pour maladie du 21 décembre 2017 au 31 janvier 2018 puis jusqu'au 28 février 2018.
Le 12 février 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée, le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail et le paiement de diverses sommes.
La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (la Licra) est intervenue volontairement dans la procédure au soutien des demandes de la salariée et a demandé la condamnation de l’employeur à lui verser une certaine somme en réparation de son préjudice moral.
La Défenseure des droits a présenté des observations.
La cour d'appel de Versailles, par arrêt du 27 janvier 2022, déboute la salariée de ses demandes tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.
La cour d’appel retient pour cela que :
- La référence à la couleur de peau de la salariée a été évoquée par sa supérieure hiérarchique dans le contexte très particulier d'un repas festif, indépendant de l'activité professionnelle et dans le cadre d'une discussion relative aux avantages que la salariée expliquait pouvoir obtenir dans le cadre de réclamations, qu'au surplus, il n'est pas démontré que de tels propos, à connotation raciste, ont été réitérés, alors que l'article L. 1152-1 du code du travail définit le harcèlement moral comme des « agissements répétés » qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié ;
- Qu’en conséquence, en l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée.
Elle ajoute que les propos litigieux ne peuvent davantage caractériser des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail qui vise le cas d'un salarié écarté d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, sanctionné, licencié ou victime de mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008.
La salariée décide de se pourvoir en cassation.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel.
Elle indique à cette occasion que :
Ayant été constaté que :
- Des propos à caractère raciste, tenant à la couleur de la peau de la salariée, avaient été tenus par la supérieure hiérarchique au cours d'un repas de Noël avec des collègues de travail, organisé par le comité d'entreprise ;
- Il s’en déduisait que de tels propos relevaient de la vie professionnelle de la salariée et que cette dernière présentait des éléments laissant supposer une discrimination en raison de ses origines.
Extrait de l’arrêt :
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
14. La salariée conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit, le (…) n'ayant pas contesté l'application qu'elle sollicitait de l'article 46 de la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances du 2 juin 2003.
15. Cependant, si dans ses conclusions d'appel la salariée demandait la somme de 6 666 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et invoquait dans les motifs de ces conclusions « l'article 46 de la convention collective », elle ne précisait pas la convention collective dont elle se prévalait de sorte que le (…) n'était pas en mesure de contester l'application de la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances du 2 juin 2003.
16. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 12 du code de procédure civile :
17. Aux termes de ce texte, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
18. Pour condamner le (...) à payer à la salariée une somme de 6 666 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents soit 666 euros, l'arrêt fait référence à la rémunération mensuelle de la salariée, à son ancienneté dans l'entreprise et aux dispositions de l'article 46 de la convention collective applicable fixant à deux mois le préavis des salariés en classe 4.
19. En statuant ainsi, alors quelle avait relevé que le contrat de travail était régi par la convention collective nationale des sociétés d'assurances du 27 mai 1992 et non par la convention collective nationale du personnel des agences générales d'assurances du 2 juin 2003 dont elle a fait application, la cour d'appel a méconnu son office et violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation des chefs de dispositif déboutant, d'une part, la salariée de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts du (...) produisant les effets d'un licenciement nul et de ses demandes d'indemnité à ce titre et de dommages-intérêts pour harcèlement moral discriminatoire et manquement à l'obligation de sécurité et condamnant, d'autre part, le (...) à payer à la salariée une somme de 6 666 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant le (…) aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [U] de
ses demandes en paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral discriminatoire et tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul ainsi qu'à la condamnation du (...) La Réunion aérienne à des dommages-intérêts à ce titre et en ce qu'il condamne le (...) à payer à Mme [U] les sommes de 6 666 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 666 euros au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 27 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Commentaire de LégiSocial
L’affaire présente nous rappelle celle pour laquelle la Cour de cassation a rendu un arrêt, le 8 novembre 2023.
Elle avait considéré à cette occasion que :
- Des propos blessants à connotation raciste et sexiste vis-à-vis de subordonnées justifient un licenciement pour faute grave
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Des propos blessants à connotation raciste et sexiste, tenus par le salarié vis à vis de ses subordonnés les plus vulnérables de nature à les impressionner et nuire à leur santé, justifient un licenciement pour faute grave.