Une liquidation judiciaire de la société ne prive pas le salarié d’invoquer une faute de l’employeur

Jurisprudence
Paie Indemnité de licenciement

Le fait que la cessation d'activité de l'entreprise résulte de sa liquidation judiciaire, ne prive pas le salarié de la possibilité d'invoquer l'existence d'une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité.

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Contexte de l'affaire

Un salarié est engagé en qualité de vendeur le 9 octobre 2005. 

Par jugement du 8 octobre 2014, la société a été mise en liquidation judiciaire.

Le contrat de travail a été rompu après que le salarié a adhéré le 21 novembre 2014 au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé.

Contestant le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail et revendiquant la classification de son emploi en responsable de rayon en application de la convention collective nationale des jardineries et graineteries, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

La cour d'appel de Caen, par arrêt du 7 avril 2022, déboute le salarié retenant pour cela : 

  • Que si l'existence d'agissements frauduleux est établie pour la période de juin à septembre 2014, il ressort des soldes intermédiaires de gestion de la société que celle-ci présentait déjà un déficit brut d'exploitation de 167 334 euros au 30 juin 2012, de 227 198 euros au 30 juin 2013 et qu'elle avait décidé de ne pas se dissoudre bien que ses capitaux propres soient devenus, au 10 avril 2012, inférieurs à la moitié du capital social ;
  • Il s’en déduit que ces éléments établissent l'existence de difficultés perdurant depuis plusieurs années, antérieures au rachat des parts sociales par la société (…) et donc aux agissements frauduleux des derniers dirigeants de la société de sorte qu'il n'est pas établi que la liquidation judiciaire de la société soit due aux agissements frauduleux de ses dirigeants.

La Cour de cassation ne partage pas l’avis de la cour d’appel, dont elle casse et annule l’arrêt, renvoyant les parties devant la cour d'appel de Rouen.

Le fait que la cessation d'activité de l'entreprise résulte de sa liquidation judiciaire :

  • Ne prive pas le salarié de la possibilité d'invoquer l'existence d'une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Dans l’affaire présente :

  • Il était constaté que les dirigeants de la société avaient effectué des virements de juin à septembre pour un montant de 224 000 euros au profit de la société (…) ;
  • Et que le 22 septembre 2014 des marchandises appartenant à la société avaient été commercialisées au profit d'autres sociétés ;
  • Ce dont il résultait que ces agissements frauduleux étaient en partie à l'origine de la cessation d'activité de la société. 

Extrait de l’arrêt :



Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

11. Le fait que la cessation d'activité de l'entreprise résulte de sa liquidation judiciaire ne prive pas le salarié de la possibilité d'invoquer l'existence d'une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.

12. Pour rejeter les demandes du salarié, l'arrêt retient que si l'existence d'agissements frauduleux est établie pour la période de juin à septembre 2014, il ressort des soldes intermédiaires de gestion de la société que celle-ci présentait déjà un déficit brut d'exploitation de 167 334 euros au 30 juin 2012, de 227 198 euros au 30 juin 2013 et qu'elle avait décidé de ne pas se dissoudre bien que ses capitaux propres soient devenus, au 10 avril 2012, inférieurs à la moitié du capital social.

13. Il en déduit que ces éléments établissent l'existence de difficultés perdurant depuis plusieurs années, antérieures au rachat des parts sociales par la société Bi Invest et donc aux agissements frauduleux des derniers dirigeants de la société de sorte qu'il n'est pas établi que la liquidation judiciaire de la société soit due aux agissements frauduleux de ses dirigeants.

14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que les dirigeants de la société avaient effectué des virements de juin à septembre pour un montant de 224 000 euros au profit de la société (..)  et que le 22 septembre 2014 des marchandises appartenant à la société avaient été commercialisées au profit d'autres sociétés, ce dont il résultait que ces agissements frauduleux étaient en partie à l'origine de la cessation d'activité de la société, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Cour de cassation du , pourvoi n°22-19811

Commentaire de LégiSocial

Dans l’affaire présente la Cour de cassation considère le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

Profitons de cette affaire pour rappeler quelques principes à ce sujet.

Les informations ci-après proposées sont extraites d’une de nos fiches pratiques consacrée à cette thématique : 

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Les raisons d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles le licenciement peut être considéré sans cause réelle et sérieuse :

  • Lorsque le motif énoncé dans la lettre de licenciement n’est pas valable ;
  • Le motif du licenciement repose sur des faits dont l’existence reste douteuse pour les juges ;
  • Le motif du licenciement n’est pas suffisamment grave pour rompre le contrat de travail ;
  • L’absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement.

Les raisons d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse : cas particuliers

Selon la Cour de cassation, certaines règles de procédure s’apparentent à des « règles de fond ».

C’est ainsi que des licenciements qui semblent être « irréguliers », et pour lesquels les règles de procédure non respectées sont de très grande importance, deviennent réellement des licenciements sans cause réelle et sérieuse.

Les exemples qui peuvent être proposés sont les suivants :

Le licenciement pour motif disciplinaire est prononcé plus d’un mois après l’entretien préalable

Dans ce cas, c’est l’article L 1332-2 du code du travail qui n’est pas respecté.

Article L1332-2

Modifié par LOI n°2012-387 du 22 mars 2012 - art. 48

Lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.

Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise.

Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé.

La Cour de cassation s’est également prononcée sur cette situation particulière. 

Cour de cassation du 16/03/1995, pourvoi 90-41213

Cour de cassation du 21/03/2000 pourvoi 98-40345

Notification imprécise du licenciement

Cour de cassation du 29/11/1990 pourvoi 88-44308

Cour de cassation du 17/01/2001, pourvoi 98-46447

Licenciement « verbal » 

Cour de cassation du 30/09/1992 pourvoi 88-44080

Licenciement notifié à la mauvaise adresse 

Précisons dans ce cas, que l’erreur commise est du fait de l’employeur. 

Cour de cassation du 7/07/2004 pourvoi 02-43100

Le non-respect de certaines procédures conventionnelles 

Concrètement, sont visées certaines procédures prévues par la convention collective applicable dans l’entreprise.

La Cour de cassation considère alors qu’il ne s’agit pas d’une irrégularité de procédure (dans ce cas, le licenciement serait considéré comme irrégulier) mais bel et bien d’un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse.

Les exemples sont nombreux, nous vous proposons les références suivantes :

Cour de cassation du 5/03/2010, pourvoi 08-42844 ;

Cour de cassation du 21/10/2008, pourvoi 07-42170 ;

Cour de cassation du 18/05/2011, pourvoi 09-72787 ;

Cour de cassation du 27/03/2013, pourvoi 11-20737.

Le non-respect de l’engagement de l’employeur lors d’un licenciement économique 

La Cour de cassation vient de se prononcer à ce sujet, très récemment.

L’affaire concernait un salarié qui avait adhéré à une convention de congé de reconversion après avoir signé un protocole d’accord stipulant qu’un cabinet de reclassement devait proposer au minimum 3 offres d’emploi valables par salarié.

Licencié au terme du congé de conversion, sans avoir eu d’offres d’emploi, le salarié saisit la juridiction prud’homale.

La Cour de cassation considère que le licenciement est alors dépourvu de cause réelle et sérieuse. 

Cour de cassation du 30/09/2013 pourvoi 12-13439

Nota : depuis les ordonnances Macron, l’irrégularité de procédure (sauf exceptions) ne conduit plus à la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais à un licenciement irrégulier.

Lettre de licenciement signée par une personne étrangère à l’entreprise 

Prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, celui pour lequel la lettre de licenciement est signée par une personne étrangère à l’entreprise.

Cour de cassation du 26/04/2006, pourvoi 04-42860