Contexte de l'affaire
La présente affaire concerne un salarié engagé le 25/10/2004, en qualité d’expert comptable et commissaire aux comptes.
Il est licencié pour faute lourde le 18/10/2006.
Il saisit la juridiction prud’homale afin d’obtenir le remboursement de sommes qu’il considère injustement retenues sur son salaire, en vertu d’une clause de dédit-formation.
Dans un premier temps, la Cour d’appel déboute le salarié de sa demande, estimant que l’employeur était tout à fait en droit de retenir la somme de 4.900 € au titre de la clause de dédit-formation.
Extrait de l’arrêt :
Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en remboursement de la somme retenue sur son bulletin de salaire au titre d'une clause de dédit-formation, l'arrêt retient que ce rejet est parfaitement justifiée au regard de la date et de la cause de la rupture du contrat de travail ;
Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis, les juges estiment en effet que la clause de dédit-formation n’est en aucune façon applicable, lorsque la rupture du contrat de travail est à l’origine de l’employeur.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, et renvoie les deux parties devant une nouvelle cour d’appel.
Extrait de l’arrêt :
Qu'en statuant ainsi alors que la clause de dédit-formation stipulée au contrat de travail n'était pas applicable en cas de rupture à l'initiative de l'employeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le salarié de sa demande au titre des prélèvements indus en application de la clause de dédit-formation, l'arrêt rendu le 19 novembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Commentaire de LégiSocial
Profitons de l’affaire présente pour rappeler quelques principes concernant la clause de dédit-formation.
Principe et objectif
C’est une clause par laquelle le salarié s’engage à restituer à l’employeur tout ou partie des frais de formation engagés pour lui s’il vient à quitter l’entreprise avant le délai fixé par la clause.
Donc le salarié s’engage à :
- Rester au sein de l’entreprise pendant un certain temps
OU
- Rembourser tout ou partie des frais de formation en cas de départ « anticipé ».
Cette clause est autorisée sous réserve que la Convention collective ne l’interdise pas.
Conditions de validité
5 conditions doivent être remplies pour que cette clause soit valide.
1. Avant le début de la formation
Cette clause doit être rédigée avant le début de la formation en précisant :
- La date ;
- La nature ;
- La durée de la formation ;
- Son cout réel pour l’entreprise ;
- Le montant des pénalités et remboursement à la charge du salarié en cas de départ anticipé.
2. Cout formation
Le cout de la formation doit être supérieur aux frais réels imposés par la loi ou la convention collective.
3. Clause de remboursement
La clause de remboursement doit porter sur des frais réels (frais d’inscription et annexes par exemples).
4. Obligation proportionnelle
L’obligation du salarié doit être proportionnelle aux dépenses engagées par l’employeur.
5. Démission
Le salarié doit garder la possibilité de démissionner, il n’est donc pas possible d’interdire au salarié de démissionner, il sait seulement qu’il s’engage à rembourser les frais de formation.
De nombreux cas de jurisprudence confirment ce point.
Cour de cassation du 17/07/1991 n° 88-40201
Cour de cassation du 21/05/2002 n° 00-42909
Cour de cassation du 5/06/2002 n° 00-44327
Nota : il est impossible d’insérer une clause de dédit-formation dans les contrats de professionnalisation.
Remboursement « progressif »
La clause doit prévoir un remboursement étalonné en fonction du temps de présence du salarié dans l’entreprise.
Cette clause pourrait ainsi prévoir :
- Un remboursement de x % des frais de formation engagés pour un temps de présence minimum de ...
Remboursement même pendant la période d’essai
Sous réserves que l’action de formation ait été engagée pendant la période d’essai, le salarié peut être amené à rembourser les frais de formation engagés par lui lorsqu’il rompt la période d’essai.
Cour de cassation du 5/06/2002 n° 00-44327
Il semble prudent de prévoir ce cas particulier dans la clause elle-même.
Pas d’application de la clause de dédit-formation en cas de licenciement
C’est ainsi que l’on doit prendre l’affaire jugée en l’espèce.
L’employeur argumentait en indiquant la gravité de la faute, ce que les juges ne retiennent pas en l’occurrence.
Extrait de l’arrêt :
2°) ALORS QUE la clause de dédit-formation ne s'applique au salarié que s'il prend l'initiative de rompre le contrat de travail ; qu'en appliquant à Monsieur X... la clause de dédit formation au motif inopérant que la rupture de son contrat de travail reposait sur une faute grave et lui était imputable, quand il était constant que l'employeur avait pris l'initiative de la rupture en procédant au licenciement de Monsieur X..., la cour d'appel a derechef violé l'article 1134 du Code civil.
Pas d’application de la clause de dédit-formation en cas de licenciement : pas toujours !
Les choses ne sont pas toujours aussi simples et définitives en matière de droit du travail.
C’est ainsi qu’il convient d’avoir à l’esprit un arrêt de la Cour de cassation, qui avait indiqué dans une précédente affaire que la clause de dédit-formation était valable, y compris en cas de licenciement.
Dans cette affaire, la clause de dédit-formation était prévue en cas de démission ou de licenciement pour faute grave.
Extrait de l’arrêt
(…) prévoyant une formation professionnelle du 21 octobre 2002 au 15 novembre 2002, prise en charge par l'employeur, le salarié s'engageant en contrepartie à accepter un poste de conducteur-livreur et, en cas de démission ou de licenciement pour faute grave dans les trois ans suivant la fin de cette formation, à rembourser les frais de formation
Cour de cassation du 14/12/2005 n° 04-42660
Et en cas de prise d’acte ?
Le salarié qui prend acte de la rupture du contrat de travail et dont les griefs sont fondés, voit la prise d’acte prendre les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
On peut imaginer alors que la clause de dédit-formation ne lui est pas opposable.
Ce ne serait pas le cas si la prise d’acte reposait sur des griefs infondés, la rupture produirait alors les effets d’une démission.
Cour de cassation chambre sociale
Audience publique du mercredi 11 janvier 2012
N° de pourvoi: 10-15481