Un mail pour prouver un licenciement verbal…

Jurisprudence
Indemnité de licenciement

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Contexte de l'affaire

La présente affaire, assez particulière, concerne une salariée engagée le 14 avril 2009 en qualité de technicienne financière.

Elle est licenciée pour faute grave par lettre du 7 septembre 2009, pour non reprise du travail après un arrêt de maladie.

La salariée conteste son licenciement et saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Elle indique en effet avoir reçu plusieurs jours avant l’entretien préalable au licenciement, un courriel daté du 20/08/2009  dans lequel son employeur lui demande de ne plus revenir travailler (enfin c’est un très doux résumé du courriel qui suit et dont nous ne reproduisons qu’un extrait…). 

Extrait de l’arrêt 

Si l'employeur a demandé à Mme X..., par courrier du 7 septembre 2009, de justifier son absence depuis la fin de son arrêt maladie, le 25 juillet 2009, il apparaît, cependant, que cette version des faits est réfutée par la salariée qui soutient qu'à l'issue de l'arrêt de travail, le gérant de la société, M. Y..., lui avait demandé de ne plus revenir travailler. »

« A l'appui de cette allégation, elle produit aux débats un courriel signé de A…Y... du 20 août 2009 et portant l'adresse électronique de W….

 Ce document est rédigé en ces termes :

" Salut grosse vache Alors t'es contente que M… t'ai appelé ?

En tous cas sache que ca ne changera rien du tout ! ! ! ! j'attends toujours ta lettre de démission car après mon comportement tu dois bien comprendre que je ne veux plus voir ta gueule et qu'il est hors de question que je débourse un centime pour ton licenciement ! ! ! ! ! Et pas la peine que tu me casses les couilles avec tes conneries de prud'homme parce que moi j'ai un avocat et je t'enfoncerai encore plus que je l'ai déjà fais et crois moi c'est possible "

Alors ? ? ? toujours pas les boules d'avoir quitté …et ton petit cdi tranquille !  (…)

Alors je te préviens envoie moi ta lettre et plus vite que ça, tu vas enfin bouger ton gros cul pour quelque chose ! ! ! ! !

(…) Juste pour info change de secteur je t'ai grillé chez toutes les banques tu feras plus rien dans ce métier.
A bon entendeur salut ! ! ! ! ! ! !
PS : tes heures sup tu peux te les foutre au cul.

A… " ».

L’employeur conteste la véracité du mail et considère que les juges ne doivent pas retenir pour preuve d’un licenciement « verbal » ledit document. 

Mais la cour d’appel et la Cour de cassation donnent raison à la salariée.

La Cour de cassation estime en effet que les dispositions relatives à la validité des écrits électroniques (argument de l’employeur) ne sont pas applicables au courrier électronique produit pour faire la preuve d’un fait, en l’occurrence le licenciement, dont l’existence peut être établie par tout moyen. 

Extrait de l’arrêt 

Mais attendu que les dispositions invoquées par le moyen ne sont pas applicables au courrier électronique produit pour faire la preuve d'un fait, dont l'existence peut être établie par tous moyens de preuve, lesquels sont appréciés souverainement par les juges du fond ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cour de cassation du , pourvoi n°11-25884

Commentaire de LégiSocial

Profitons de l’affaire présente pour dégager quelques éléments importants concernant le licenciement verbal et l’appréciation des preuves par les juges en cas de litige dans la relation de travail. 

L’appréciation des preuves par les juges en cas de litige dans la relation de travail 

Le courriel produit par la salariée dans la présente affaire est reconnu par les juges.

L’employeur invoquait de son côté les articles 1316-1 et 1316-4 du code civil, considérant que les juges ne devaient pas tenir compte du courrier électronique produit par la salariée, car celui-ci ne respectait pas les dispositions spécifiques aux modes de preuve électroniques visées par ces deux articles.

L’argument n’est pas retenu. 

Article 1316-1 

Créé par Loi n°2000-230 du 13 mars 2000 - art. 1 JORF 14 mars 2000

L'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité.

Article 1316-4 

Créé par Loi n°2000-230 du 13 mars 2000 - art. 4 JORF 14 mars 2000

La signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie celui qui l'appose. Elle manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l'authenticité à l'acte.

Lorsqu'elle est électronique, elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'intégrité de l'acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

L’argument n’est pas retenu, pas plus que le fait que le courriel soit produit le jour de l’audience de conciliation et qu’il ait été tardivement édité.

La Cour de cassation indique que la date d'édition du mail ainsi que sa communication dans le cadre du débat judiciaire sont sans incidence sur l'appréciation de sa validité.  

Extrait de l’arrêt 

« L'employeur prétend qu'il n'est pas l'expéditeur du courriel compte tenu de son caractère outrancier. Il s'étonne, en outre, qu'il ait été communiqué seulement au jour de l'audience de conciliation, le 13 janvier 2010, et qu'il ait été tardivement édité, soit le 19 octobre 2009. »

« La date d'édition de ce document et de sa communication dans le cadre du débat judiciaire sont sans incidence sur l'appréciation de sa validité. » 

Afin de pouvoir contester l’authenticité du présent mail, l’employeur devait alors rapporter la preuve que l'adresse de l'expéditeur mentionnée sur le mail était erronée ou que la boîte d'expédition de la messagerie de l'entreprise avait été détournée, ce qui n’a pas été le cas présentement.

Licenciement verbal = licenciement sans cause réelle et sérieuse

Selon la Cour de cassation, certaines règles de procédure s’apparentent à des « règles de fond ».

Il en est ainsi du licenciement « verbal » invoqué dans l’affaire présente et qui conduit à considérer le licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse. 

Le licenciement est sans cause réelle et sérieuse : les sanctions

Les sanctions varient selon la taille et l’ancienneté du salarié dans l’entreprise.

On distingue ainsi 2 situations :

  • Le salarié a moins de 2 ans d’ancienneté et/ou se situe dans une entreprise de moins de 11 salariés ;
  • Le salarié justifie d’une ancienneté d’au moins 2 ans et l’entreprise compte 11 salariés et plus.  

Le salarié a moins de 2 ans d’ancienneté et/ou se situe dans une entreprise de moins de 11 salariés

  • Pas de réintégration possible ;
  • Paiement d’une indemnité dont le montant est fixé souverainement par le juge, il n’existe pas de valeur minimale ou maximale. 
  • Le salarié a au moins 2 ans d’ancienneté et l’entreprise compte 11 salariés et plus
  • Réintégration possible mais totalement facultative, laissant ainsi la possibilité pour l’employeur ou le salarié de la refuser ;
  • Paiement d’une indemnité dont la valeur minimale est fixée 6 mois de salaires (plus précisément, salaires bruts des 6 derniers mois) ;
  • Circonstance aggravante, l’employeur peut être condamné à rembourser tout ou partie des allocations chômage versées au salarié depuis le licenciement jusqu’au jugement, dans la limite de 6 mois. 

Pour la présente affaire

L’extrait de l’arrêt indique un paiement de 5.000 € au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 4.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des circonstances brutales et vexatoires du licenciement. 

Extrait de l’arrêt

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Madame X... était dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamné la société Y…à lui payer les sommes de 5. 000 ¿ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 4. 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des circonstances brutales et vexatoires du licenciement,