Quand une prime de « bonne organisation » est jugée illicite

Jurisprudence
Contrat de travail

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Contexte de l'affaire

La présente affaire concerne un salarié engagé le 11 octobre 1999, en qualité de coursier.

Il est licencié le 23 octobre 2008, mais saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes, notamment une portant sur une prime de « bonne organisation » en vigueur dans l’entreprise et qu’il souhaite voir reconnaitre comme clause illicite du contrat de travail. 

A l’appui de sa demande, le salarié fait remarquer que cette prime dépendait notamment des distances parcourues et des délais de livraison. 

Dans un premier temps, la cour d’appel déboute le salarié de sa demande.

Certes cette prime était calculée en fonction de la distance parcourue et du temps passé par l’intéressé pour la livraison, mais elle dépendait également du temps d’attente chez le client ou des éventuelles difficultés pour trouver le destinataire. 

Cette prime était ,selon les juges de la cour d’appel, licite.

Extrait de l’arrêt :

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'un rappel de salaire, l'arrêt retient que si la prime de bonne organisation était calculée en fonction de la distance parcourue et du temps passé par l'intéressé pour la livraison, elle dépendait également du temps d'attente, la course étant majorée d'un certain nombre de bons lorsque le client demandait au coursier d'attendre le retour d'un document transmis au destinataire, ou le retour du contrat signé, ou encore en cas de difficultés pour trouver le destinataire, et qu'ainsi, l'illicéité de cette prime n'était pas établie ;

Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis, elle casse et annule l’arrêt de la cour d’appel renvoyant les deux parties devant une nouvelle cour d’appel, autrement composée.

Les juges considèrent que la prime en litige devait être considérée comme illicite, tenant compte au fait qu’elle dépendait notamment des distances parcourues et des délais de livraison. 

Extrait de l’arrêt :

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la prime en litige dépendait notamment des distances parcourues et des délais de livraison, ce dont elle aurait dû en déduire le caractère illicite nonobstant la prise en compte des temps d'attente, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; (…)

PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. X... de sa demande en paiement d'un rappel de salaire, des honoraires d'expert-comptable et de dommages-et-intérêts pour communication erronée d'attestations de salaire, l'arrêt rendu le 9 octobre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Cour de cassation du , pourvoi n°12-29235

Commentaire de LégiSocial

La présente affaire est pour nous l’occasion d’aborder les clauses interdites ou réglementées.

Les clauses interdites

S’il est important de connaître la manière dont certaines clauses doivent être rédigées, il est plus qu’important de connaître celles qui sont formellement interdites. 

Clauses d’indexation 

L’indexation des salaires consiste à conditionner l’augmentation du salaire par rapport à un indice extérieur, qui se traduit le plus souvent par l’insertion d’une clause dans le contrat de travail. 

Il est interdit d’indexer la rémunération du salarié sur: 

  • Le SMIC ;
  • Le niveau général des prix ;
  • Le niveau général des salaires ;
  • Le prix des biens et services sans rapport avec l’activité de l’entreprise. 

Article L3231-3

Sont interdites, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le salaire minimum de croissance ou des références à ce dernier en vue de la fixation et de la révision des salaires prévus par ces conventions ou accords.

  

Clause « transfert de charges patronales » 

Est interdite toute clause transférant le poids des contributions patronales sur le salaire versé.

Exemple :

Une clause qui prévoyait la déduction des cotisations patronales sur les commissions versées à un salarié est déclarée nulle par la Cour de cassation.

Cour de cassation du 17/10/2000 n° 98-45669

Article L241-8

Modifié par Loi n°88-16 du 5 janvier 1988 - art. 1 (V) JORF 6 janvier 1988

La contribution de l'employeur reste exclusivement à sa charge, toute convention contraire étant nulle de plein droit. 

 

Prise d’acte justifiée quand le contrat de travail prévoit la prise en charge par le salarié des frais professionnels 

C’est ainsi que la Cour de cassation s’est prononcée récemment, l’affaire concernait un salarié VRP pour lequel le contrat de travail prévoyait la prise en charge des frais professionnels par le salarié, ainsi que l’éventuelle prise en charge des cadeaux offerts à la clientèle.

Extrait de l’arrêt

Qu'en statuant ainsi, alors que la clause, qui faisait dépendre le montant du remboursement de frais exposés par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle dans l'intérêt de l'employeur d'un élément sans rapport avec leur coût, était nulle, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le principe susvisé ;

Cour de cassation du 19/09/2013, pourvoi n° 12-15996 

Vous pouvez retrouver cet arrêt en détails en cliquant ici.  

Clause « couperet »

La clause couperet est celle qui prévoit la mise à la retraite automatique du salarié dès lors qu’il a atteint un certain âge.

Cette clause est interdite comme le confirme un arrêt de la Cour de cassation.

Cour de cassation du 1/02/1995 n° 90-42365

Clause portant atteinte aux droits fondamentaux 

Sont visées ici toutes les clauses prévoyant le renoncement du salarié à l’exercice d’un droit fondamental.

Tel est le cas d’une clause qui prévoirait que le salarié renonce à l’exercice du droit de grève.

Clause portant atteinte aux libertés fondamentales 

La Cour de cassation s’est prononcée sur une clause stipulant que des conjoints ne pouvaient être employés au sein de la même entreprise et les juges ont considéré que cette clause devait être annulée.

Cour de cassation du 10/06/1982 BC V n° 392

On pourra bien entendu ajouter à cette liste toutes les clauses discriminatoires ayant pour objectif de traiter différemment les salariés en fonction de leur sexe, nationalité, opinions politiques, religieuses, etc. 

Les clauses « réglementées »

Sans être interdites, certaines clauses doivent être utilisées avec beaucoup de prudence, sous peine de violer éventuellement certains droits des salariés.

Les clauses concernées sont (liste non exhaustive bien entendu) : 

Clause de résidence 

Légalement, tout salarié doit résider à l’endroit qu’il souhaite. 

Il peut arriver néanmoins que certaines entreprises insèrent une clause contraignant un salarié à résider dans une région ou une ville généralement proche de son lieu de travail, afin d’être joint rapidement.

Cette clause ne peut être valable qu’à la condition d’être :

  • Indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’employeur ;
  • Proportionné au but recherché, compte tenu de l’emploi exercé et du travail demandé. 

La clause d’exclusivité pour les salariés à temps partiel 

Il est recommandé aux employeurs de « manier » la clause d’exclusivité avec beaucoup de prudence sous peine de voir la clause frappée de nullité. 

A signaler que la nullité de la clause n’entraîne pas la requalification du contrat partiel à temps plein mais ouvre droit pour le salarié au bénéfice du paiement de dommages et intérêts.

Clause de mobilité : possibilité d’abus

Les juges de la Cour de cassation ont rappelé aux employeurs qu’ils ne devaient pas abuser de la clause de mobilité.

Cour de cassation du 10/01/2001 n° 98-46226

Il peut y avoir situation d’abus lorsque :

  • L’employeur ne respecte pas un délai de prévenance lors de la mutation d’un salarié ;
  • L’employeur ne tient pas compte de la situation personnelle du salarié ;
  • La mutation se fait avec un intérêt discutable pour l’entreprise ;
  • Lorsque la zone géographique définit par la mobilité est très étendue. 

Nota : c’est au salarié de prouver qu’il y a en l’espèce situation d’abus et que sa mutation a été faite en violation du délai de prévenance, ou qu’elle a été prise pour des raisons étrangères à l’intérêt de l’entreprise.