Contexte de l'affaire
Un salarié est engagé le 13 octobre 2003 en qualité de chef d'atelier.
Licencié le 4 avril 2008, il saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes notamment à titre d'heures supplémentaires, de repos compensateurs et d'indemnité pour travail dissimulé.
A l’appui de sa demande, le salarié indique que les salariés prenaient leurs pauses-repas, en fonction des exigences du travail et restaient en tenue de travail.
Ces heures devaient alors être considérées comme représentant du temps de travail effectif, conduisant à leur rémunération et leur prise en compte au titre des heures supplémentaires, repos compensateur et indemnité pour travail dissimulé.
Dans un premier temps, la cour d’appel donne raison au salarié, estimant que le salarié demeurait à la disposition de son employeur, durant le créneau horaire [12h-12h30], ces heures devenant alors de véritables heures prises en compte dans le temps de travail effectif et à inclure dans le décompte des heures supplémentaires.
Extrait de l’arrêt :
Attendu que pour dire fondée la demande du salarié au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que les salariés de l'atelier aluminium prenaient leurs pauses-repas en fonction des exigences du travail et restaient, ce qui n'est pas contesté, en tenue de travail, ce qui signifie qu'en réalité ils restaient dans le créneau horaire de 12 h à 13 h 30 prévu par le contrat de travail à la disposition de l'employeur, que ces heures de présence s'analysent donc comme des heures de travail effectif et doivent donner lieu à paiement d'heures supplémentaires ;
Mais la Cour de cassation ne partage pas le même avis.
Elle rappelle que le temps consacré aux pauses n’est considéré comme temps de travail effectif, que lorsque le salarié est à la disposition de son employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
Que la seule circonstance que le salarié soit astreint au port d’une tenue de travail durant ce temps de pause, n’avait pas pour conséquence son assimilation à du temps de travail effectif.
L’arrêt de la cour d’appel et donc cassé et annulé, les deux parties renvoyées devant une nouvelle cour d’appel, autrement composée.
Extrait de l’arrêt :
Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le temps consacré aux pauses est considéré comme du temps de travail effectif lorsque le salarié est à la disposition de son employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles et alors que la seule circonstance que le salarié soit astreint au port d'une tenue de travail durant la pause ne permet pas de considérer que ce temps constitue un temps de travail effectif, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qui concerne les dommages-intérêts pour charges sociales retenues à tort et en ce qu'il déboute M. X... de sa demande de dommages-intérêts pour conditions de travail anormales et pertes de salaire à la suite de la rupture du contrat de travail pour inaptitude, l'arrêt rendu le 27 février 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Commentaire de LégiSocial
Le présent arrêt de la Cour de cassation n’est pas dénué d’intérêt et nous permet de vous rappeler quelques notions fondamentales sur le temps de travail effectif, mais également des rappels utiles concernant les temps de pause et de repas.
Temps de travail effectif
Notion très importante, car tout temps de travail effectif doit obligatoirement être rémunéré par l’employeur.
Le temps de travail effectif se définit comme répondant cumulativement à 3 critères cumulatifs :
- Le salarié est à la disposition de l’employeur ;
- Il est soumis à son autorité ;
- Il ne peut vaquer à des occupations personnelles.
Article L3121-1
La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
Cette notion de « temps de travail effectif » est très importante, elle sera ainsi :
- A distinguer de certains temps particuliers comme les temps de repos, de pause, de repas, d’astreinte, etc. ;
- Prise en considération pour le décompte des différentes durées maximales du travail énoncées par le code du travail.
Les temps de pause et de repas
Le temps minimum de pause
Le code du travail prévoit que tout salarié doit bénéficier d’un temps de pause ou de repas de :
20 minutes au minimum au bout de 6 heures de travail
Article L3121-33
Dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes.
Des dispositions conventionnelles plus favorables peuvent fixer un temps de pause supérieur.
Rien n’est indiqué sur le code du travail sur le temps prévu pour la restauration, ce sont les usages, conventions collectives ou accords collectifs qui réglementent fréquemment ces temps particuliers.
Il n’existe donc pas légalement de temps de restauration minimum à respecter.
Le temps minimum de pause des mineurs
Bénéficiant d’un régime de protection, les salariés de moins de 18 ans doivent avoir un temps de repos de 30 minutes au bout de 4 ½ h de travail.
Article L3162-3
Aucune période de travail effectif ininterrompue ne peut excéder, pour les jeunes travailleurs, une durée maximale de quatre heures et demie. Lorsque le temps de travail quotidien est supérieur à quatre heures et demie, les jeunes travailleurs bénéficient d'un temps de pause d'au moins trente minutes consécutives.
Temps de pause et de restauration ≠ travail effectif
Par défaut, les temps de pause et de restauration ne sont reconnus comme du temps de travail effectif que si les 3 critères sont réunis cumulativement (voir chapitre sur le travail effectif).
Néanmoins, le code du travail prévoit la possibilité pour ces temps, même s’ils ne sont pas reconnus comme temps de travail effectif, d’ouvrir droit à rémunération selon un accord collectif, convention collective ou contrat de travail.
Article L3121-2
Le temps nécessaire à la restauration ainsi que les temps consacrés aux pauses sont considérés comme du temps de travail effectif lorsque les critères définis à l'article L. 3121-1 sont réunis.
Même s'ils ne sont pas reconnus comme du temps de travail effectif, ces temps peuvent faire l'objet d'une rémunération prévue par une convention ou un accord collectif de travail ou par le contrat de travail.
Temps de pause = temps de travail effectif
Un récent arrêt de la Cour de cassation a reconnu que les temps qualifiés de « temps de pause » devaient être requalifiés en temps de travail effectif et donc être rémunérés comme tels dans certaines situations...
L’affaire jugée par la Cour de cassation concerne un salarié d’une station-service.
Ce salarié travaille seul pendant la nuit et saisit la justice afin de faire reconnaître son temps de pause de 30 minutes (pause prévue par la convention collective du commerce et de la réparation automobile) comme un temps de travail effectif.
Son employeur prétendait au contraire que le salarié pouvait prendre son temps de pause « entre deux clients » compte tenu du fait que son poste de travail contenait d’importantes plages d’inaction.
La Cour de cassation donne raison au salarié considérant que les temps de pauses accordées au salarié devaient être requalifiés en temps de travail effectif.
Cour de cassation du 13/01/2010 n° 08-42.716
Quand la Cour de cassation précise le temps de pause : 3 arrêts importants
La pause minimale prévue par le Code du travail vient d’être précisée par la Cour de cassation dans 3 arrêts récents.
Pas de fractionnement du temps de pause légalement prévu
Dans la première affaire, un accord collectif (du 22/10/2000) prévoyait l’attribution de 2 pauses par jour comme suit :
- Pour les équipes du matin travaillant de 5 heures 30 à 12 heures 30 : une pause de 15 minutes de 9 heures à 9 heures 15 et une pause de 15 minutes en fin de vacation ;
- Pour les équipes de l'après-midi travaillant de 12 heures 25 à 19 heures 25 une pause de 15 minutes de 16 heures à 16 heures 15 et une pause de 15 minutes en fin de vacation.
Extrait de l’arrêt :
que l'accord d'entreprise du 22 décembre 2000 prévoyait pour les équipes du matin travaillant de 5 heures 30 à 12 heures 30 une pause de 15 minutes de 9 heures à 9 heures 15 et une pause de 15 minutes en fin de vacation, et pour les équipes de l'après-midi travaillant de 12 heures 25 à 19 heures 25 une pause de 15 minutes de 16 heures à 16 heures 15 et une pause de 15 minutes en fin de vacation, ce dont il résultait que les salariés bénéficiaient d'une pause de 30 minutes pour 6 heures 30 de travail quotidien
Pour l’employeur, une pause de 30 minutes pour 6 heures 30 de travail quotidien était ainsi attribuée aux salariés, constituant une disposition plus favorable que la disposition légale.
La Cour de cassation n’est pas du même avis, considérant que l’accord d’entreprise contrevenait aux dispositions légales.
Extrait de l’arrêt :
Et attendu qu'ayant constaté que le temps de travail effectif quotidien des salariés était supérieur à six heures, la cour d'appel a exactement décidé que l'accord d'entreprise qui prévoyait l'octroi de deux pauses d'une durée inférieure à vingt minutes contrevenait aux dispositions légales, peu important que le temps de travail effectif soit fractionné par une interruption de quinze minutes ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :REJETTE les pourvois ;
Cour de cassation Audience publique du mercredi 20 février 2013 N° de pourvoi: 11-28612 11-28613 11-28614 11-28615 11-28616 11-28617
Attribution d’une pause pour un temps de travail inférieur à 6 heures
La seconde affaire concerne 3 accords collectifs accordant aux salariés :
- Une pause de 7 minutes payée par demi-journée d’une durée inférieure ou égale à six heures.
Pour l’employeur ce temps de pause « conventionnel » était visiblement plus favorable que les dispositions légales, partant du principe que le salarié bénéficiait d’un temps de pause, y compris lorsque le temps de travail n’atteignait pas 6 heures.
Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis, cassant et annulant l’arrêt de la cour d’appel sur ce point.
Les juges estimant en l’espèce que « alors qu'une interruption du travail d'une durée de sept minutes au cours d'une période de six heures ne dispensait pas l'employeur d'accorder à la salariée les vingt minutes de pause obligatoires à partir de six heures de travail quotidien ».
En d’autres termes, pause « conventionnelle » et pause « légale » devaient se cumuler.
Extrait de l’arrêt :
Vu l'article L. 3121-33 du code du travail ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que dès que le travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes ; que des dispositions conventionnelles plus favorables peuvent fixer un temps de pause supérieur ;
Attendu que pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l'article L. 3121-33 du code du travail relatif au temps de pause obligatoire, l'arrêt retient qu'en application de trois accords collectifs, les salariés de la société Y… bénéficient d'une pause de sept minutes payées par demi-journée d'une durée inférieure ou égale à six heures, et qu'il ressort des bulletins de salaire de la salariée que celle-ci a été mensuellement rémunérée au titre de cette pause ; Qu'en statuant ainsi, alors qu'une interruption du travail d'une durée de sept minutes au cours d'une période de six heures ne dispensait pas l'employeur d'accorder à la salariée les vingt minutes de pause obligatoires à partir de six heures de travail quotidien, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a débouté Mme X... de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, l'arrêt rendu le 21 septembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges que la Cour d'appel, qui a relevé qu'au sein de la société Y… , les tranches horaires de six heures consécutives de travail n'étaient entrecoupées que d'une pause de sept minutes, et non de vingt minutes, aurait dû en déduire que la demande de dommages et intérêts formulée par la salariée pour non-respect des temps de pause étaient fondée ; que la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 3121-33 du Code du travail.Cour de cassation Audience publique du mercredi 20 février 2013 N° de pourvoi: 11-26793
La charge de la preuve pèse sur l’employeur
La troisième affaire concerne la charge de la preuve du respect ou non temps d’un temps de pause.
Pour la Cour de cassation, la preuve du respect du temps de pause repose intégralement sur l’employeur.
C’est donc à dernier qu’il revient de prouver que le salarié a réellement bénéficié du temps de pause légalement prévu, et non au salarié et à l’employeur de le faire conjointement.
Extrait de l’arrêt :
Attendu, ensuite, que les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds, prévus tant par le droit de l'Union européenne que par le droit interne, qui incombe à l'employeur ;
Et attendu qu'ayant relevé que l'employeur qui détenait les plannings de la salariée et disposait de l'ensemble des éléments de preuve concernant l'organisation du temps de travail dans ses établissements ne démontrait pas, ni ne prétendait pas avoir respecté les temps de pause prévus par l'article L. 3121-33 du code du travail, la cour d'appel, qui n'a pas modifié les termes du litige, a, par ses seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;Cour de cassation Audience publique du mercredi 20 février 2013 N° de pourvoi: 11-21599 11-21848