Contexte de l'affaire
Un salarié est engagé en qualité de comptable le 1er juin 1968.
Le 18 juillet 2007, il est mis à la retraite par son employeur (après 39 ans d’ancienneté de 39 ans), et dispensé de l'exécution de son préavis.
En outre, l’entreprise lève la clause de non-concurrence à laquelle aurait été soumis le salarié.
Le 30 mai 2011, son ancien employeur saisit la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
A l’appui de sa demande, le fait que le salarié à la suite de sa mise à la retraite avait démarché la clientèle de son ancienne entreprise suite à quoi plusieurs clients avaient résilié leur contrat, pour suivre le salarié retraité au sein d’un nouveau cabinet dans lequel il s’était engagé (NDLR : dans le cadre d’un cumul emploi-retraite).
L’entreprise ajoute que la dispense de préavis n’avait pas pour effet d’avancer la date à laquelle le salarié était libéré de son obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur, donc le fait de travailler pour la concurrence pendant le préavis était une attitude reprochable.
Extrait de l’arrêt :
1°/ qu'ayant constaté qu'à la suite de son départ à la retraite, M. X..., ancien comptable salarié de la société (…), avait positivement démarché sa clientèle pour le suivre dans son nouvel emploi, la cour d'appel, en jugeant que M. X... n'avait pas engagé sa responsabilité quasi délictuelle, a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ que l'inexécution du préavis n'a pas pour conséquence d'avancer la date à laquelle le contrat prend fin, et que l'obligation de loyauté qui découle du contrat de travail se poursuit pendant cette période, même si le salarié est dispensé de l'effectuer ; qu'en jugeant que le salarié, dispensé d'exécuter son préavis, était libéré de toute obligation de non-concurrence à l'égard de l'employeur (…)
Mais la cour d’appel et la Cour de cassation ne sont pas sensibles aux argumentations de l’employeur.
Il est rappelé que :
- Le salarié n’était plus soumis à la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail ;
- Qu’il avait été dispensé d'effectuer son préavis ;
- Donc il pouvait entrer au service d'une entreprise concurrente, y compris pendant la durée du délai-congé non effectué (NDLR autre nom pour période de préavis).
Extrait de l’arrêt :
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel, qui a constaté que le salarié n'était plus soumis à la clause de non-concurrence insérée dans son contrat de travail et qu'il avait été dispensé d'effectuer son préavis, a décidé à bon droit que l'intéressé pouvait ainsi, pendant la durée du délai-congé non effectué, entrer au service d'une entreprise concurrente ;
Attendu, ensuite, qu'elle a relevé que l'employeur n'était pas plus fondé, pour pallier l'échec d'une action en concurrence déloyale, à faire état, sur un fondement contractuel cette fois, d'une quelconque déloyauté du salarié, ne pouvant pas plus invoquer l'obligation de respect de clientèle dont faisait état la lettre de mise à la retraite s'analysant en une clause de non-concurrence radicalement nulle à défaut de contrepartie financière ;
Attendu enfin qu'ayant retenu, par motifs adoptés, qu'aucune preuve de quelque nature que ce soit n'avait été apportée par la société Fiducial, d'acte de concurrence déloyale et que, par motifs propres, l'allégation selon laquelle le salarié aurait lui-même établi les lettres par lesquelles les clients quittaient la société Fiducial n'était étayée par aucun élément, la cour d'appel, appréciant les éléments de fait et de preuves qui lui était soumis, a pu débouter l'employeur de sa demande au titre de la concurrence déloyale ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et sur le second moyen :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Commentaire de LégiSocial
En élargissant l’affaire présente, nous pourrions en profiter pour répondre à une question récurrente que se posent parfois employeurs et salariés : peut-on cumuler une indemnité compensatrice de préavis avec une rémunération d’activité ?
Pour répondre à cette question, nous nous permettons de rappeler 2 arrêts intéressants à ce sujet rendus par la Cour de cassation.
Arrêt du 22 décembre 1988
Dans son arrêt du 22/12/1998, la Cour de cassation considère que le salarié dispensé de l’exécution de son préavis par son ancien employeur, a tout à fait la faculté de cumuler par la suite l’indemnité compensatrice qui lui est due avec les rémunérations perçues chez le nouvel employeur.
Au passage, nous remarquerons que la cour d’appel avait un avis contraire, raison pour laquelle la Cour de cassation cassait et annulait l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse
Extrait de l’arrêt :
Vu l'article L. 122-8, alinéa 3, du Code du travail ; Attendu que la cour d'appel, après avoir relevé que la rupture était imputable à l'employeur et que celui-ci avait dispensé son salarié de l'exécution du préavis, a décidé que ce dernier, qui avait été engagé sur une autre exploitation dès le 14 février 1983, ne pouvait prétendre à titre d'indemnité de préavis qu'à la somme de 4 000 francs correspondant au salaire de la courte période pendant laquelle il était resté sans emploi ; Qu'en statuant ainsi, alors que l'indemnité de préavis ne pouvait être réduite du fait que le salarié avait retrouvé un emploi en cours de préavis, les juges d'appel ont violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement dans sa disposition concernant l'indemnité de préavis, l'arrêt rendu le 7 novembre 1985, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du jeudi 22 décembre 1988
N° de pourvoi: 86-43506
Arrêt du 28 mars 2007
Dans cet arrêt, constatant qu’en raison de l’absence de contrepartie financière, la clause de non-concurrence était nulle, la cour d’appel cette fois approuvée par la Cour de cassation donnait des précisions importantes :
- L’employeur ne pouvait interdire à son salarié de travailler pour la concurrence ;
- Que le salarié dispensé de préavis par son employeur (d’une durée de 6 mois) n’était plus tenu par une obligation de loyauté envers son ancien employeur ;
- Que tous ces éléments rendaient tout à fait admissible le cumul de l’indemnité compensatrice de préavis avec les revenus issus d’une activité professionnelle chez un nouvel employeur.
Extrait de l’arrêt :
Et attendu, d'abord, qu'ayant constaté qu'en raison de l'absence de contrepartie financière, la clause de non-concurrence figurant dans le contrat de travail était nulle, la cour d'appel qui a retenu sans dénaturer la lettre de licenciement que, sauf à le soumettre à la clause de non-concurrence illicite, l'employeur ne pouvait, pendant le délai-congé, interdire au salarié de travailler pour la concurrence, a estimé à bon droit que le salarié dispensé de l'exécution de son préavis, nétait plus tenu par une obligation de loyauté envers son employeur ;
Attendu, ensuite, que n'étant pas démontré que le salarié s'était livré à des actes de concurrence déloyale, la société ne pouvait imposer au salarié, libre de toute obligation, de cesser sa nouvelle activité, fut-elle concurrente ; que la cour d'appel qui a souverainement apprécié le préjudice causé par cet abus de pouvoir, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 28 mars 2007
N° de pourvoi: 05-45423