L’employeur, même s’il est à l’origine du fractionnement, peut demander aux salariés de renoncer aux jours supplémentaires de fractionnement

Jurisprudence
Congés payés

Publié le
Mis à jour le
Télécharger en PDF

Contexte de l'affaire

54 salariés d’une entreprise saisissent la juridiction prud’homale d’une demande concernant l’attribution de jours de congés supplémentaires au titre du fractionnement.

Concrètement, les salariés contestaient le fait que l’employeur ait subordonné l'autorisation de prendre pour convenance personnelle une partie des congés payés en dehors de la période légale à la présentation d'une demande mentionnant la renonciation du salarié aux jours de congé supplémentaires. 

Dans un premier temps, le Conseil de prud’hommes donne raison aux salariés, indiquant même que l’article du code du travail se rapportant à l’octroi des jours de fractionnement était « d’ordre public » , et que toute mention y dérogeant serait nulle et de nul effet, quand bien même elle aurait été signée. 

Extrait de l’arrêt :

Attendu, selon ce texte, que des jours supplémentaires de congés sont dus quand des congés d'une certaine durée sont pris en dehors de la période légale, à moins que des dérogations ne soient intervenues par accord individuel du salarié, ou par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement ;

Attendu que pour condamner l'employeur au paiement de sommes au titre des congés payés supplémentaires de fractionnement, les jugements retiennent qu'en droit, conformément aux dispositions de l'article L. 3141-19 du code du travail, deux jours supplémentaires pour fractionnement du congé principal de quatre semaines sont dus, que le fractionnement ait été proposé par l'employeur ou demandé par le salarié, que cette position a été confirmée par la jurisprudence de la Cour de Cassation, que cet article du code du travail est d'ordre public, toute mention y dérogeant serait nulle et de nul effet, quand bien même elle aurait été signée ; 

Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis, elle casse et annule le jugement du Conseil de prud’hommes, renvoyant les parties devant le conseil de prud'hommes du Havre. 

Extrait de l’arrêt :

Attendu que pour condamner l'employeur au paiement de sommes au titre des congés payés supplémentaires de fractionnement, les jugements retiennent qu'en droit, conformément aux dispositions de l'article L. 3141-19 du code du travail, deux jours supplémentaires pour fractionnement du congé principal de quatre semaines sont dus, que le fractionnement ait été proposé par l'employeur ou demandé par le salarié, que cette position a été confirmée par la jurisprudence de la Cour de Cassation, que cet article du code du travail est d'ordre public, toute mention y dérogeant serait nulle et de nul effet, quand bien même elle aurait été signée ;

Qu'en statuant ainsi, le conseil de prud'hommes a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article 624 du code de procédure civile ;

Attendu que la cassation à intervenir des chefs de rappels de salaire au titre du SMIC et des congés payés supplémentaires de fractionnement entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le troisième moyen et relatif aux dommages-intérêts pour résistance abusive ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la Société (…) à payer aux cinquante-cinq salariées des rappels de salaire au titre du SMIC et des congés payés supplémentaires de fractionnement et des dommages-intérêts pour résistance abusive, les jugements rendus le 28 mai 2014, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Dieppe ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le conseil de prud'hommes du Havre ;

Cour de cassation du , pourvoi n°14-21168 à pourvoi n°14-21222

Commentaire de LégiSocial

Des précisions nous semblent utiles dans la présente affaire, et nous permettent de vous rappeler quelques notions concernant les jours de fractionnement.

Le principe fondamental

Selon le solde du congé principal 

Le code du travail fixe au 31 octobre de chaque année une obligation concernant le décompte du congé principal utilisé.

3 cas de figure peuvent se présenter :

  1. le solde des congés payés est inférieur à 3 jours : pas de jours de fractionnement à attribuer ;
  2. le solde des congés payés est entre 3 et 5 jours : 1 jour de fractionnement à attribuer ;
  3. le solde des congés payés est de 6 jours minimum : 2 jours de fractionnement à attribuer. 

Solde du congé principal

Jours de fractionnement acquis

Inférieur à 3 jours

0 jour

3 à 5 jours

1 jour

6 jours au minimum

2 jours

Ce calcul doit être fait uniquement sur le congé principal (sauf dispositions collectives ou conventionnelles plus favorables).

Sous réserve d’avoir utilisé 12 jours ouvrables consécutifs 

L’employeur ou le salarié peut fractionner le congé principal d’une durée continue supérieure à 12 jours ouvrables et au plus égale à 24 jours ouvrables, sous réserve toutefois qu’une prise minimale de 12 jours ouvrables soit effectuée durant la période « estivale », soit entre le 1er mai et le 31 octobre.

Article R7213-5

Créé par Décret n°2008-244 du 7 mars 2008 - art. (V)
Le congé annuel d'une durée supérieure à douze jours ouvrables peut être fractionné par l'employeur avec l'accord du salarié. En cas de fractionnement, l'une des fractions est de deux semaines civiles au moins.

Article L3141-18

Lorsque le congé ne dépasse pas douze jours ouvrables, il doit être continu.

Lorsque le congé principal est d'une durée supérieure à douze jours ouvrables et au plus égale à vingt-quatre jours ouvrables, il peut être fractionné par l'employeur avec l'accord du salarié. Dans ce cas, une des fractions est au moins égale à douze jours ouvrables continus compris entre deux jours de repos hebdomadaire.

Article L3141-19

Lorsque le congé est fractionné, la fraction d'au moins douze jours ouvrables continus est attribuée pendant la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année.

Les jours restant dus peuvent être accordés en une ou plusieurs fois en dehors de cette période.

Il est attribué deux jours ouvrables de congé supplémentaire lorsque le nombre de jours de congé pris en dehors de cette période est au moins égal à six et un seul lorsque ce nombre est compris entre trois et cinq jours.

Les jours de congé principal dus en plus de vingt-quatre jours ouvrables ne sont pas pris en compte pour l'ouverture du droit à ce supplément.

Des dérogations peuvent être apportées aux dispositions du présent article, soit après accord individuel du salarié, soit par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement.

Possibilité de déroger à l’obligation de poser « 12 jours ouvrables consécutifs » 

Comme le confirme l’article L 3141-19 précité, peuvent déroger à la règle selon laquelle 12 jours en continu doivent être pris entre le 1er mai et le 31 octobre :

  • Un accord collectif ;
  • Un accord d’entreprise ;
  • Un accord entre l’employeur et le salarié. 

Cette possibilité de déroger a également été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation.

Extrait de l’arrêt (ancienne codification du Code du travail)

Mais attendu que l'article L. 223-8, alinéa 4, du Code du travail prévoit que des dérogations peuvent être accordées par convention collective aux dispositions selon lesquelles la fraction de 12 jours ouvrables continus doit être attribuée pendant la période du 1er mai au 31 octobre de chaque année ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Cour de cassation du 6/07/1994, pourvoi 93-42360

Qui est à l’origine ?

Employeur 

Rappelons que lorsque le fractionnement est décidé par l’employeur, l’accord du salarié est requis ce qui sous entend que le salarié est en droit de refuser.

Article L3141-18

Lorsque le congé ne dépasse pas douze jours ouvrables, il doit être continu.

Lorsque le congé principal est d'une durée supérieure à douze jours ouvrables et au plus égale à vingt-quatre jours ouvrables, il peut être fractionné par l'employeur avec l'accord du salarié. Dans ce cas, une des fractions est au moins égale à douze jours ouvrables continus compris entre deux jours de repos hebdomadaire.

Cette disposition légale a été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation

Extrait de l’arrêt (ancienne codification du Code du travail)

Mais attendu qu'ayant rappelé que selon l'article L. 223-8 du Code du travail le fractionnement du congé principal qui relève de la décision finale de l'employeur ne peut être pratiqué qu'avec l'agrément du salarié

Cour de cassation du 19/04/2000 pourvoi 98-40790

 Les jours de fractionnement sont alors attribués de façon automatique. 

Salarié 

La situation est beaucoup moins simple et différentes situations sont alors à envisager, en précisant que des dispositions conventionnelles, accords collectifs, accords d’entreprises, accords d’établissement ou usages peuvent prévoir des règles différentes : 

  • Le salarié demande à fractionner : l’employeur refuse, le salarié renonce au fractionnement ;
  • Le salarié demande à fractionner ses congés : l’employeur accepte sans conditions, des jours de fractionnement sont alors attribués selon le solde du congé principal ;
  • Le salarié demande à fractionner ses congés : l’employeur accepte sous réserve que le salarié renonce à ses jours de fractionnement, le salarié peut alors renoncer à fractionner ses congés ou bien fractionner ses congés sans bénéficier de jours éventuels de fractionnement. 

Nota : la renonciation aux jours de fractionnement, pour être reconnue, doit être exprimée de façon expresse et écrite.

L’arrêt de la Cour de cassation du 17/12/1997 concernait un salarié qui avait refusé de signer l’accord individuel de renonciation aux jours de congé supplémentaire et réclamait, à bon droit, le bénéfice des jours de fractionnement. 

Extrait de l’arrêt (ancienne codification du Code du travail)

Mais attendu qu'après avoir relevé que M. X... avait obtenu l'accord de l'employeur en ce qui concerne le fractionnement de ses congés annuels et rappelé qu'il résulte des dispositions de l'article L. 223-8 du Code du travail que des jours supplémentaires de congé sont dus quand des congés d'une certaine durée sont pris en dehors de la période légale, à moins que des dérogations ne soient intervenues par accord individuel, convention collective ou accord collectif d'établissement, le jugement attaqué qui a énoncé qu'aucun accord collectif n'avait été réalisé, a constaté que le salarié avait refusé de signer l'accord individuel de renonciation aux jours de congé supplémentaire et que cette disposition de la note de service ne lui était donc pas applicable, en a déduit à bon droit que sa demande était fondée.

Que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Cour de cassation du 17/12/1997 pourvoi 85-41979

Lorsque c’est un accord collectif qui prévoit la renonciation aux jours supplémentaires de congés en cas de fractionnement, l’accord du salarié devient alors totalement inutile.

Extrait de l’arrêt

Attendu que pour faire droit à cette demande, les jugements retiennent que le salarié en position de demande de congés se trouve avisé sur son écran informatique des conséquences : - du clic sur le « oui » : j'accepte que le fractionnement ne donne pas lieu à l'attribution de congés supplémentaires auxquels je renonce expressément, - du clic sur le « non » : je reconnais poser mes congés payés en dehors de la période légale pour convenance personnelle, motif qui ne donne pas lieu à l'attribution de congés supplémentaires, qu'il n'existe aucune possibilité pour le salarié d'exprimer dans ce cadre qu'il souhaite prendre des congés de fractionnement sans renoncer pour autant au bénéfice des jours supplémentaires ;
Attendu, cependant, qu'il résulte de l'article 20 de l'accord d'entreprise, pris en application de l'article L. 3141-19 du code du travail, que le fractionnement des congés payés en dehors de la période légale à la demande du salarié ne lui ouvre pas droit aux jours de congés supplémentaires prévus par ce texte ;
Qu'en statuant comme il l'a fait, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés ;
Et attendu qu'en vertu de l'article 627 du code de procédure civile, la Cour de cassation est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige par application de la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes leurs dispositions, les jugements rendus le 9 juin 2010, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Paris 

Cour de cassation du 23/11/2011 pourvoi 10-21973 10-21973 10-21978 10-21979 10-21980 10-21981 10-21982 10-21983 10-21984 10-21985 10-21986 10-21987 etc.

L’avis de la Cour de cassation 

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation que le bénéfice des jours supplémentaires de congés payés (selon le solde du congé principal) nait automatiquement du seul fait que les congés aient été fractionnés, peu importe que ce soit le salarié ou l’employeur qui en soit à l’origine, c’est d’ailleurs cet arrêt que mettait en avant le Conseil de prud’hommes dans l’affaire présente. 

Extrait de l’arrêt (ancienne codification du Code du travail)

Vu l'article L. 223-8 du code du travail ;

Attendu que le droit à des congés supplémentaires naît du seul fait du fractionnement, que ce soit le salarié ou l'employeur qui en ait pris l'initiative

Cour de cassation du 9/04/2008 pourvoi 06-46123