Priver le salarié de son véhicule de fonction justifie la prise d’acte

Jurisprudence
Prise acte rupture contrat travail

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Contexte de l'affaire

Un salarié est engagé à compter du 1er septembre 1994 en qualité d'apprenti.

Puis il est promu technicien.

Suivant avenant du 22 novembre 2007, il est nommé chargé d'affaires et bénéficiaire de l'attribution d'un véhicule de déplacement.

Par avenant du 18 février 2009, dans le cadre d’un plan social, le salarié change à nouveau de fonction pour être affecté sur le poste de chef de ligne de produit avec cette précision : " la société maintient au salarié le bénéfice d'un véhicule de déplacement pour l'année 2009 ".

Finalement, en 2011 son employeur lui demande par courrier la restitution du véhicule, dont le salarié bénéficierait « à tort » selon l’entreprise mais laisse au salarié jusqu’au 31 décembre de l’année pour restituer le véhicule.

La société justifie sa demande par sa politique interne, consistant à octroyer un véhicule seulement en faveur des salariés effectuant au moins 20.000 kilomètres par an à titre professionnel et non sur un parcours domicile-travail. 

Extrait de l’arrêt :

AUX MOTIFS QU'« il résulte des pièces et conclusions des parties que M. X... a été engagé par la société (…) , le 1er septembre 1994, en qualité d'apprenti ; qu'à la faveur d'avenants successifs, il est devenu technicien puis, chef de produit et chef de projet ; qu'en 2007, époque à laquelle la société a transféré ses locaux, de RUNGIS (91) à RAMBOUILLET (78), il a demandé à bénéficier du plan social, élaboré à cette occasion par l'entreprise, mais est finalement resté salarié de celle-ci après avoir signé un avenant en date du 22 novembre 2007 aux termes duquel il est devenu chargé d'affaires, avec une rémunération de 45 500 euros annuels sur 13 mois ; que M. X... a également obtenu le bénéfice d'un « véhicule de déplacement » « compte tenu de sa fonction » mais aussi, voire surtout-comme il le conclut sans être contredit par l'intimée-en raison de l'éloignement de son domicile (situé à Villiers sur Orge, 91), du nouveau site de Rambouillet ; Qu'alors qu'elle mettait en place un second plan social, la société (…) -qui entre temps était venue aux droits de la société (…) -signait, le 18 février 2009, un nouvel avenant avec M. X... qui faisait de celui-ci un « Product Lifecycle Manager »- ou chef de ligne de produit-au salaire de 48 243 euros par an ; qu'en ce qui concerne le véhicule de service, l'avenant précisait : « la société maintient au salarié le bénéfice d'un véhicule de déplacement pour l'année 2009 » ; que durant l'année 2010 M. X... a conservé l'usage du véhicule, son employeur lui indiquant à ce propos, dans un courrier électronique du 4 février 2011 : « vous bénéficiez actuellement d'un véhicule de déplacement (...) considéré par l'URSSAF comme un avantage en nature (...) dont l'assiette des cotisations correspond à 12 % du prix TTC d'achat du véhicule (...) à compter de janvier 2011, le montant brut de l'avantage en nature figurant sur votre bulletin de paie a été calculé conformément à cette règle » ; que, néanmoins, par lettre du 20 octobre 2011, la société (…)  a écrit à M. X... « depuis le 1er janvier 2010, vous bénéficiez à tort d'un véhicule de déplacement » ; qu'elle demandait à M. X... la restitution du véhicule en lui laissant jusqu'au 31 décembre 2011 « de façon à (lui) permettre de (s') organiser au mieux » ; que la société justifiait sa décision par référence aux termes de l'avenant de 2008 et à la pratique interne suivie en matière d'attribution de véhicule ; (…) 

que l'appelant était informé du caractère provisoire et exceptionnel de ce maintien car ses nouvelles fonctions, sédentaires, n'autorisaient plus cette mise à disposition, prévue, d'après les règles en vigueur dans l'entreprise, seulement en faveur des salariés effectuant au moins 20 000 kilomètres par an à titre professionnel et non, sur un parcours domicile-travail

Finalement, le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 25 novembre 2011 après que l'employeur lui ait fait part de sa décision de supprimer le bénéfice du véhicule, et saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes en paiement, notamment que cette prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

Dans un premier temps, la cour d’appel donne raison au salarié, estimant que l'attribution du véhicule de déplacement revêtait une importance déterminante pour le salarié compte tenu du déménagement de la société et de l'éloignement de son lieu de travail, et que cet avantage consenti en 2009 et perdurant jusqu'en 2011 ne pouvait lui être retiré.

Les griefs invoqués contre son employeur étaient ainsi considérer comme justifiés, empêchant la poursuite du contrat de travail. 

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel et rejette le pourvoi formé par l’employeur en l’espèce.

Extrait de l’arrêt :

Attendu qu'appréciant souverainement la portée des éléments de fait et de preuve, la cour d'appel, qui, hors toute dénaturation, a retenu que l'attribution du véhicule de déplacement revêtait une importance déterminante pour le salarié compte tenu du déménagement de la société et de l'éloignement de son lieu de travail, et que cet avantage consenti en 2009 et perdurant jusqu'en 2011 ne pouvait lui être retiré, a pu décider que les manquements de l'employeur à ses engagements contractuels étaient suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail ; que le moyen n'est pas fondé ; 
PAR CES MOTIFS : 
REJETTE le pourvoi ; 

Cour de cassation du , pourvoi n°14-19794

Commentaire de LégiSocial

Le présent arrêt de la Cour de cassation est l’occasion pour nous de rappeler quelques principes importants concernant la prise d’acte par le salarié. 

Notions de principe

La prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié implique que ce dernier invoque des griefs envers son employeur. 

Ainsi les griefs invoqués doivent être suffisamment importants pour qu’ils puissent ensuite être reconnus « fondés » par le conseil de prud’hommes. 

Les conséquences (qui seront abordées en détail dans les chapitres qui suivent) sont importantes :

  • Les griefs sont fondés : la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d’un licenciement nul ;
  • Les griefs ne sont pas fondés : la prise d’acte produit les effets d’une démission. 

C’est en quelque sorte une sorte de « pari sur l’avenir » que prend le salarié en rompant le contrat de travail par ce mode. 

Les griefs invoqués sont fondés

De nombreux arrêts ont été rendus par la Cour de cassation, citons quelques griefs reconnus fondés par la Cour de cassation : 

  • Le salarié qui reproche à l'employeur le non-respect du droit au repos hebdomadaire ;

Cour de cassation 7 octobre 2003, n° 01-44635 D

  • Le salarié qui reproche à son employeur de ne pas lui avoir versé les salaires qui lui étaient conventionnellement garantis pendant son arrêt maladie ;

Cour de cassation du 06/07/2004 n° 02-42642 FD

  • Le salarié qui reproche à son employeur le non-paiement d’heures supplémentaires ;

Cour de cassation du 25/05/2004 n° 02-43042 FD et 01/12/2004 n° 02-46231 FD

  • Le salarié qui voit le contrat de travail modifié malgré son refus de modification.

Cour de cassation du 03/04/2007 n° 05-43008 FD

Extraits « Abécédaire social et paye 2010 » (éditions INDICATOR)

Des prises d’acte de rupture de contrat qui ont été reconnues justifiées :

Petit commentaire de l’auteur: Lorsque la prise d’acte de rupture du contrat porte sur des griefs que les juges du fond considèrent fondés, la prise d’acte s’analyse alors en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ! Les conséquences sont fâcheuses pour l’employeur !

Le salarié qui reproche à l'employeur le non-respect du droit au repos hebdomadaire.

Cour de cassation 7 octobre 2003, n° 01-44635 D

Le salarié qui reproche à son employeur de ne pas lui avoir versé les salaires qui lui étaient conventionnellement garantis pendant son arrêt maladie

Cour de cassation du 06/07/2004 n° 02-42642 FD

Le salarié qui reproche à son employeur le non-paiement d’heures supplémentaires.

Cour de cassation du 25/05/2004 n° 02-43042 FD et 01/12/2004 n° 02-46231 FD

Le salarié qui voit le contrat de travail malgré son refus de modification.

Cour de cassation du 03/04/2007 n° 05-43008 FD

Les griefs invoqués ne sont pas fondés

  • Le salarié qui reproche à l'employeur des retards dans le paiement des salaires alors que ce retard provenait en fait de la présence de jours fériés dans le calendrier et que cela avait décalé le paiement d’une journée ou deux ;

Cour de cassation du 19/01/2005 n° 03-45018

  • Le salarié qui reproche le non-paiement d'heures supplémentaires, alors qu’il dispose en outre d’une totale autonomie pour organiser son travail et que la réalité des heures supplémentaires n'a pas été établie ;

Cour de cassation du 17/07/2007 n°06-40630

  • Le salarié qui conteste des frais professionnels (contestation qui ne s’appuie sur aucun élément) ainsi que le reproche d’un incident de paiement de salaire (le seul en 30 ans) , incident qui avait été résolu avant la prise d’acte de rupture du contrat de travail.

Cour de cassation du 23/05/2007 n° 05-45740