Contexte de l'affaire
Un salarié est engagé à compter du 1er mars 2007 en qualité de conducteur poids lourds avec une reprise d'ancienneté au 8 juillet 2004.
Le 18 juin 2008, il est désigné en qualité de représentant syndical au comité d'entreprise.
Le 1er décembre 2008, la société engage une procédure de licenciement à l'encontre du salarié, qui avait refusé la modification de son contrat de travail, le contrat ayant été suspendu jusqu'au 12 octobre 2009, date de sa reprise de travail.
L’autorisation de licenciement est refusée le 25 février 2009 par l'inspecteur du travail.
Après avoir été successivement confirmée le 8 septembre 2009 par le ministre du travail, puis le 3 mars 2011 par le tribunal administratif, cette décision a été annulée par arrêt de la cour administrative d'appel du 31 mai 2012.
Entre-temps le salarié fait l'objet d'un avertissement le 17 février 2010, de 2 mises à pied les 8 octobre et 13 décembre 2010 avant d'être de nouveau convoqué le 2 novembre 2011 à un entretien préalable à une mesure de licenciement dont l'autorisation a été donnée le 5 janvier 2012 par l'inspecteur du travail.
Il est finalement licencié le 10 janvier 2012.
Mais le salarié saisit la juridiction prud’homale, réclamant le paiement de ses salaires pendant la période de suspension du contrat de travail, période pendant laquelle il a été laissé sans activité, du fait de son refus d’exécuter le contrat de travail aux nouvelles conditions proposées.
Dans un premier temps, la Cour d’appel de Lyon dans son arrêt du 17 septembre 2013, déboute le salarié de sa demande.
Elle estime que pendant la période du 1er décembre 2008 au 30 septembre 2009, relevant que par arrêt du 31 mai 2012 la cour administrative avait indiqué que le refus du salarié d’accepter la modification de ses conditions de travail était fautif.
De ce fait, la suspension du contrat de travail pendant cette période était imputable au salarié et qu’il ne pouvait de ce fait prétendre à la rémunération correspondante.
La Cour de cassation ne l’entend pas ainsi, cassant et annulant l’arrêt de la cour d’appel sur ce point.
Elle estime qu’il appartenait à l'employeur de maintenir tous les éléments de rémunération que le salarié protégé percevait avant décembre 2008 aussi longtemps que l'inspecteur du travail n'avait pas autorisé son licenciement.
Extrait de l’arrêt :
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il appartenait à l'employeur de maintenir tous les éléments de rémunération que le salarié protégé percevait avant décembre 2008 aussi longtemps que l'inspecteur du travail n'avait pas autorisé son licenciement, la cour d'appel a violé les dispositions sus-visées ; (…)
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. X... de ses demandes en rappel de salaire sur la période du 1er décembre 2008 au 30 septembre 2009 et en indemnisation pour harcèlement moral, l'arrêt rendu le 17 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Commentaire de LégiSocial
Cette affaire aborde la modification du contrat de travail, que le salarié refusait présentement.
Rappelons quelques éléments concernant la modification du contrat de travail.
Modification du contrat de travail
La modification du contrat de travail consiste à modifier un élément essentiel ou jugé essentiel.
Exemples d’éléments considérés par nature comme « essentiels » :
- La rémunération contractuelle (y compris les accessoires de la rémunération comme un avantage en nature) ;
- Le lieu de travail dans la mesure où il se situerait dans un secteur géographique différent, sous réserve d’une clause relative à un lieu de travail ;
- La durée de travail (comme l’augmentation de la durée du travail contractuelle, quand bien même elle conduirait à une augmentation de la rémunération, notion à ne pas confondre avec le fait d’effectuer des heures supplémentaires) ;
- Une modification de la qualification professionnelle ;
- L’affectation à un poste de nuit.
2 motifs : personnel ou économique
Lorsque la modification est désirée pour un motif personnel :
- L’employeur n’est pas en droit de l’imposer au salarié ;
- Le salarié est en droit de refuser ;
- Le refus par le salarié n’est pas, en lui-même, une faute pouvant entrainer une sanction disciplinaire.
Lorsque la modification est envisagée pour un motif économique :
- La modification est alors motivée dans l’intérêt de l’entreprise ;
- Elle s’intègre dans le cadre d’un licenciement économique ;
- L’employeur n’est pas en droit de l’imposer au salarié.
Modification du contrat de travail pour motif personnel
Cela consiste à la modification d’un élément essentiel par nature (salaire) OU d’un élément jugé essentiel par les parties lors de la signature.
Même si aucun formalisme n’est imposé, il est recommandé à l’employeur de notifier sa volonté par lettre recommandée avec avis de réception.
Dans ce cas, la procédure suivante est généralement observée :
- L’employeur avise le salarié de la modification souhaitée du contrat de travail ;
- Il doit laisser au salarié un délai « suffisant » (l’administration a considéré qu’un délai de 15 jours était nécessaire pour la modification de la rémunération) (Circulaire DRT du 30 juillet 1993);
- Si le salarié accepte, un nouveau contrat de travail est établi (ou un avenant au contrat initial) et les deux parties continuent sur la base d’une nouvelle relation contractuelle ;
- Si le salarié refuse, l’employeur prend acte du refus et renonce à la modification du contrat de travail ou prononce un licenciement pour motif personnel.
- Précision sur la motivation du licenciement :
Le licenciement prononcé suite à un refus du salarié, n’est justifié que si la proposition de modification l’est aussi.
Concrètement, le seul refus du salarié d’accepter la modification du contrat de travail ne constitue pas en lui-même une cause réelle et sérieuse pouvant motiver le licenciement.
Extrait de l’arrêt :
Attendu, cependant, que le seul refus d'un salarié d'accepter une modification de son contrat de travail ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement; qu'il appartenait dès lors à la cour d'appel de rechercher si la nécessité pour l'employeur de procéder à la modification du contrat de M. X... était justifiée ; que l'arrêt est dès lors dépourvu de base légale ;
Et attendu que la cassation du chef du licenciement entraîne par voie de conséquence la cassation sur le second moyen ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour procédés vexatoires, l'arrêt rendu le 5 décembre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du vendredi 28 janvier 2005 N° de pourvoi: 03-40639
Nota : si la modification du contrat de travail a une origine disciplinaire, le respect d’une procédure particulière est obligatoire, à savoir notamment le respect d’un entretien préalable.
- Précision sur l’accord du salarié:
L’accord du salarié doit être « explicite » (faire l’objet par exemple d’un avenant, dûment signé par le salarié).
Ainsi, la Cour de cassation a considéré dans un arrêt du 8/10/1997, que le seul fait que le salarié continuait à exercer son activité en se conformant aux nouvelles dispositions ne signifiait pas concrètement qu’il avait donné pleinement son accord.
Extrait de l’arrêt :
Attendu que, pour débouter MM. Y... et Z... de leur demande en paiement de rappels de salaires et de sommes représentant l'incidence qui devait en résulter sur le montant des indemnités de rupture et de la prime annuelle, la cour d'appel énonce que s'il n'appartient pas au salarié, qui refuse de donner son accord à la réduction de salaire, d'imposer à l'employeur le maintien des conditions antérieures, en revanche il lui incombe de tirer les conséquences de ce désaccord en prenant, s'il l'estime utile, l'initiative de la rupture du lien contractuel ;
Attendu qu'en statuant par ces motifs, alors que l'acceptation par MM. Y... et Z... de la modification substantielle qu'ils avaient refusée, du contrat de travail ne pouvait résulter de la poursuite par eux du travail, et alors que c'était à l'employeur de prendre la responsabilité d'une rupture, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il soit besoin de statuer sur la première branche du premier moyen :
CASSE ET ANNULE mais seulement en celles de leurs dispositions relatives au paiement de rappels de salaires et de sommes représentant l'incidence en résultant sur le montant des indemnités de rupture et de la prime annuelle, les arrêts rendus le 9 mars 1984, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du jeudi 8 octobre 1987 N° de pourvoi: 84-41902 84-41903
Modification du contrat de travail pour motif économique
Il s’agit alors de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail, dans l’intérêt de l’entreprise. Elle s’intègre dans le cadre d’un licenciement économique.
Le déroulé est alors le suivant :
- L’employeur avise le salarié de la modification souhaitée du contrat de travail ;
- Il doit laisser au salarié un délai d’un mois pour se prononcer ;
- Si le salarié refuse la modification avant que le délai d’un mois soit expiré, l’employeur doit néanmoins attendre que le délai d’un mois soit achevé pour agir ;
- L’employeur prend acte du refus et renonce à la modification du contrat de travail ou prononce un licenciement pour motif économique.