Suivre la charge de travail d’un salarié sous convention de forfait jours par un relevé déclaratif

Jurisprudence
Convention forfait

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Contexte de l'affaire

Un salarié est engagé en 2010, d'abord en contrat à durée déterminée puis, à compter du 1er juillet 2011, en contrat à durée indéterminée, en qualité de directeur du plan stratégique et des analyses.

Il est licencié le 30 octobre 2012 pour motif économique et saisit la juridiction prud'homale de diverses demandes, notamment au titre d'un rappel d'heures supplémentaires.

Plus précisément, le salarié considère dans la présente affaire que la convention de forfait jours doit être déclarée nulle, son employeur n’ayant pas procédé (comme la loi l’y contraint) à assurer correctement le suivi de sa charge de travail.

Dans la présente entreprise, existe un relevé déclaratif mensuel, co-signé par le salarié et son N+1 et validé par le service RH. 

Dans un premier temps, la Cour d’appel de Versailles donne raison au salarié dans son arrêt du 16 septembre 2014. 

Elle retient dans son argumentation que :

  • L'accord d'entreprise prévoit un relevé déclaratif mensuel co-signé par le salarié et son N+1 et validé par le service RH ;
  • Ledit relevé déclaratif figurant dans l'annexe comporte seulement l'indication de la présence du salarié cadre matérialisée par une croix dans un tableau calendaire et en cas d'absence les initiales correspondant au motif de celle-ci ;
  • Mais ce relevé porte donc seulement sur le nombre de jours travaillés ou non chaque mois mais qu'il n'existe pas de dispositif permettant de contrôler effectivement la durée maximale de travail ;
  • En d’autres termes, l’employeur ne respecte pas, par la réalisation de ce relevé déclaratif mensuel, son obligation d’assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. 

Extrait de l’arrêt :

Attendu que pour dire que la convention de forfait est nulle et de nul effet, l'arrêt retient que pour assurer le suivi du temps de travail et de présence, l'accord d'entreprise prévoit un relevé déclaratif mensuel co-signé par le salarié et son N+1 et validé par le service RH, que ledit relevé déclaratif figurant dans l'annexe comporte seulement l'indication de la présence du salarié cadre matérialisée par une croix dans un tableau calendaire et en cas d'absence les initiales correspondant au motif de celle-ci, mais qui porte donc seulement sur le nombre de jours travaillés ou non chaque mois mais qu'il n'existe pas de dispositif permettant de contrôler effectivement la durée maximale de travail en l'absence de toute mention dans l'accord collectif de l'obligation de déclarer la durée de travail tant quotidienne qu'hebdomadaire, que si l'annexe prévoit que le contrôle du repos journalier de 11 heures minimum s'effectue par l'indication du non-respect de cette durée de temps de repos sur le relevé déclaratif, ce dispositif ne prévoit donc rien pour le contrôle effectif de l'amplitude de travail, que le relevé déclaratif mensuel comporte une zone de commentaires, mais qu'aucune disposition conventionnelle ne prévoit que ces commentaires peuvent aussi porter sur la durée du temps de travail, qu'en effet l'annexe prévoit seulement que cette zone de commentaire spécifique sert au cadre pour alerter sa hiérarchie en cas de difficulté s'agissant du suivi et du contrôle de la charge de travail, ce dont elle déduit que ce dispositif conventionnel n'est pas de nature à garantir à tout le moins que l'amplitude de travail reste raisonnable et assure une bonne répartition dans le temps de travail de l'intéressé et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié ;

La Cour de cassation ne partage pas l’avis de la cour d’appel, et casse et annule son arrêt et renvoie les deux parties devant une cour d’appel autrement composée.

Elle considère que le relevé mensuel déclaratif signé par le supérieur hiérarchique et validé par le service RH répond aux exigences relatives au droit à la santé et au repos des salariés.

En effet, le relevé déclaratif mensuel était assorti d'un dispositif d'alerte de la hiérarchie en cas de difficulté, et avec une possibilité de demander un entretien auprès du service des ressources humaines, permettant ainsi de bien assurer le droit à la santé et à la sécurité du salarié concerné.

La convention de forfait annuel jours ne devrait donc pas être déclarée nulle. 

Extrait de l’arrêt :

Qu'en statuant ainsi, alors que répond aux exigences relatives au droit à la santé et au repos, l'avenant du 10 novembre 2008 dont les dispositions assurent la garantie du respect des repos, journalier et hebdomadaire, ainsi que des durées maximales raisonnables de travail en organisant le suivi et le contrôle de la charge de travail selon une périodicité mensuelle par le biais d'un relevé déclaratif signé par le supérieur hiérarchique et validé par le service de ressources humaines, assorti d'un dispositif d'alerte de la hiérarchie en cas de difficulté, avec possibilité de demande d'entretien auprès du service de ressources humaines, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge nulle et de nul effet la convention de forfait jours conclue en application des accords collectifs et condamne la société (…) à verser à M. X..., avec intérêts de droit, les sommes de 44 456,11 euros de rappel d'heures supplémentaires au cours de la période 2010 à 2012, 4 445,61 euros de congés payés afférents, 12 048,59 euros de dommages-intérêts au titre du repos compensateur, l'arrêt rendu le 16 septembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Cour de cassation du , pourvoi n°14-26256

Commentaire de LégiSocial

Profitons du présent arrêt pour rappeler les nouvelles dispositions concernant les conventions de forfait annuels jours, depuis la loi travail.

Mise en place

Quelle que soit la nature de la convention de forfait, heures ou jours, le nouvel article L 3121-63 inséré dans le code du travail dans le cadre du champ de la négociation collective confirme que la mise en place d’une convention de forfait est réalisé par :

  • Un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ;
  • Ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. 

Article L3121-63 

Créé par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

Les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

5 clauses obligatoires

Un nouvel article L 3121-64 est créé par la loi travail.

Il fixe désormais 5 clauses obligatoires (au lieu de 3 avant la loi) comme suit :

  1. Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait ;
  2. La période de référence du forfait, qui peut être l’année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;
  3. Le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de 218 jours s’agissant du forfait en jours ;
  4. Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;
  5. Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait.

Suivi régulier charge de travail et droit à la déconnexion 

En partie II de l’article L 3121-64, le code du travail rappelle que l'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

  1. Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
  2. Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;
  3. Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion. 

Article L3121-64 

Créé par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 8 (V)

I.-L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année détermine :

1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ;

2° La période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ;

3° Le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dix-huit jours s'agissant du forfait en jours ;

4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;

5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait.

II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine :

1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;

2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ;

3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-8.

L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions du titre III du présent livre relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles du titre IV relatives aux congés payés.