Contexte de l'affaire
La présente affaire concerne une salariée engagée en qualité d'agent de service en contrat CDD, du 17 au 30 juin 2010 afin de pourvoir au remplacement d'une personne en congé maladie.
Après 2 contrats de remplacement conclus du 8 au 29 juillet 2010 puis du 1er au 29 août 2010, elle est à nouveau sollicitée en avril 2011 et a conclu entre le 26 avril 2011 et le 27 février 2014, 104 contrats à durée déterminée.
La salariée saisit la juridiction prud'homale d'une demande de requalification du contrat conclu le 24 avril 2011 en un contrat à durée indéterminée.
Dans son arrêt du 4 avril 2016, la Cour d'appel de Limoges donne raison à la salariée, confirmant au passage le jugement du Conseil de prud’hommes.
À cette occasion, la cour d’appel rappelle les termes de l'article L. 1243-3, alinéa 3, du code du travail, selon lesquels « la mise en œuvre de contrats à durée déterminée successifs pour remplacer des salariés absents ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ».
En l’espèce, l’association qui dispose d'un nombre de salariés conséquent est nécessairement confrontée à des périodes de congés, maladie, stage, maternité qui impliquent un remplacement permanent des salariés absents pour diverses causes ponctuelles, que dès lors que les remplacements prévisibles et systématiques assurés par la salariée pendant trois années constituent un équivalent à plein temps pour faire face à un besoin structurel de l'association.
C’est donc « à juste titre que le conseil de prud'hommes a procédé à la requalification sollicitée même si ces contrats sont formellement réguliers (cause de l'absence, nom et qualification professionnelle du salarié remplacé, durée) ».
Extrait de l’arrêt :
Attendu que pour prononcer la requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, l'arrêt, après avoir énoncé qu'en application des dispositions de l'article L. 1243-3, alinéa 3, du code du travail, la mise en oeuvre de contrats à durée déterminée successifs pour remplacer des salariés absents ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, retient qu'une entreprise telle que l'association (…) qui dispose d'un nombre de salariés conséquent est nécessairement confrontée à des périodes de congés, maladie, stage, maternité qui impliquent un remplacement permanent des salariés absents pour diverses causes ponctuelles, que dès lors que les remplacements prévisibles et systématiques assurés par la salariée pendant trois années constituent un équivalent à plein temps pour faire face à un besoin structurel de l'association (…) , c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a procédé à la requalification sollicitée même si ces contrats sont formellement réguliers (cause de l'absence, nom et qualification professionnelle du salarié remplacé, durée) ;
Mais la Cour de cassation ne partage pas le même avis, cassant et annulant l’arrêt de la cour d’appel, renvoyant les deux parties devant la Cour d’appel de Poitiers.
Elle prend notamment en considération le fait que l’association justifiait d’un effectif important, rendant inévitable l’obligation de procéder à de nombreux remplacements.
Extrait de l’arrêt :
Attendu que la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 26 janvier 2012 (CJUE, 26 janv. 2012, Bianca Z... c/Land Nordrhein-Westfalen, n°C-586/10), a dit pour droit : "La clause 5, point 1, sous a), de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l'accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, doit être interprétée en ce sens que le besoin temporaire en personnel de remplacement, prévu par une réglementation nationale telle que celle en cause au principal peut, en principe, constituer une raison objective au sens de ladite clause. Le seul fait qu'un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l'embauche de salariés en vertu de contrats de travail à durée indéterminée n'implique pas l'absence d'une raison objective au sens de la clause 5, point 1, sous a), dudit accord-cadre ni l'existence d'un abus au sens de cette clause. Toutefois, lors de l'appréciation de la question de savoir si le renouvellement des contrats ou des relations de travail à durée déterminée est justifié par une telle raison objective, les autorités des États membres, dans le cadre de leurs compétences respectives, doivent prendre en compte toutes les circonstances de la cause, y compris le nombre et la durée cumulée des contrats ou des relations de travail à durée déterminée conclus dans le passé avec le même employeur" ; (…)
Qu'en statuant ainsi, par des motifs insuffisants pour caractériser, au regard de la nature des emplois successifs occupés par la salariée et de la structure des effectifs de l'association, que ces contrats avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'association, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu que la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif critiqués par le deuxième et le troisième moyens en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute l'employeur de sa demande reconventionnelle, l'arrêt rendu le 4 avril 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, sur les points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Commentaire de LégiSocial
C’est un arrêt important que rend présentement la Cour de cassation.
Dans son arrêt, elle fait référence notamment à un arrêt de la CJUE, et adopte présentement une position plus souple que celle qu’elle avait l’habitude d’avoir en la matière.
C’est ainsi qu’elle indique qu’une entreprise disposant d’un effectif important doit inévitablement procéder à des remplacements temporaires de façon fréquente et que dès lors « que le seul fait pour l'employeur, qui est tenu de garantir aux salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, à congés payés ou repos que leur accorde la loi, de recourir à des contrats à durée déterminée de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d'œuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ».
En conséquence, la requalification des nombreux contrats CDD de remplacement en contrat CDI n’est plus désormais « automatique ».
Il serait bien entendu hâtif d’en conclure que la conclusion de CDD de remplacement puisse bénéficier d’une totale largesse, il restera toujours au juge de vérifier les circonstances de conclusion de tels contrats…